Passionnante redécouverte
Peu jouée, I Due Foscari, œuvre méconnue de Verdi, a connu un beau succès au Théâtre des Champs-Elysées pour deux concerts; la partition a été l’occasion, pour une grande partie du public, d’une belle découverte.
Créés en février 1845, entre Ernani et Giovanna d’Arco, I Due Foscari narrent, en moins de deux heures, la tragique histoire des Foscari, Francesco, doge de Venise, voyant son fils, Jacopo, condamné à l’exil, sans que sa femme, Lucrezia, puisse agir pour empêcher son époux d’être emmené en Crête. Le sujet ne peut que faire penser à Simon Boccanegra, qui verra le jour douze ans plus tard, mais avec un style musical très différent. Concise et d’une superbe efficacité dramatique, concentrant sa force sur les sentiments humains, notamment la douleur du père perdant son fils, la partition s’avère digne des ouvrages ultérieurs du compositeur, et semble annoncer déjà le Trouvère. Cavatines, cabalettes, trios et quatuors se succèdent sans longueur, toujours avec une vraie tension dramatique et musicale, pour le plus grand bonheur des spectateurs, l’écriture orchestrale et vocale se révélant très excitante à travers la beauté des phrasés qu’elle déploie, la virtuosité qu’elle exige et l’héroïsme qu’elle permet.
La distribution réunie ici rend pleinement justice à l’ouvrage.
Ramón Vargas affronte crânement la vaillance de Jacopo, ouvrant la soirée, dans son air aux longues lignes et surtout dans sa cabalette électrisante, soulevant l’enthousiasme du public. La voix semble bien appartenir davantage à un Duc de Mantoue qu’à un Manrico en devenir, et l’instrument semble à ses limites dans cette écriture déjà large, notamment dans l’aigu, parfois surcouvert, manquant de lumière et de hauteur de résonance, mais le ténor mexicain se donne sans compter, avec franchise, payant comptant, et se tire avec les honneurs des pièges de la partition.
Son épouse, Lucrezia, trouve en Manon Feubel une interprète de choix. Si l’agilité terrifiante des cabalettes la trouve parfois à court de souplesse, obligée d’escamoter quelques notes, elle ne fait qu’une bouchée du reste du rôle, dominant de sa voix large et puissante aussi bien le chœur que l’orchestre, semblant se promener sur la tessiture étendue du personnage, des graves sonores aux aigus triomphants, des uts émis sans effort, emplissant la salle de leur richesse harmonique. Elle offre également une leçon de chant contrôlé et aérien dans sa prière, superbement accompagnée par la harpe, avec des piani superbes d’apesanteur. Le public conquis, lui a réservé une véritable ovation aux saluts.
En doge déchiré entre son devoir politique et son amour paternel, Anthony Michaels-Moore déconcerte. L’émission de la voix est belle, les voyelles claires et pures, le texte magnifiquement intelligible, mais c’est le soutien qui semble lui demander des efforts considérables, rendant parfois ses grandes phrases legato quelque peu irrégulières. C’est dans la seconde partie du concert qu’il se livre tout entier, magnifiquement expressif et très émouvant dans sa douleur sincère.
Grande impression également avec le court rôle de Loredano, superbement imposant, grâce à la voix puissante et sombre de Marco Spotti, saisissant d’impact et d’autorité.
Mention spéciale pour le Barbarigo de Ramtin Ghazavi, très bien chantant, qu’on aimerait entendre dans un rôle plus important.
D’une cohésion et d’une force rare, le Chœur de Radio-France offre une prestation remarquable, qui fait de leurs interventions de grands moments.
Connaisseur de ce répertoire, Daniele Callegari se révèle le véritable maître d’œuvre de la soirée. Il tire d’un Orchestre National de France très présent, des sonorités somptueuses, une pâte sonore noble et majestueuse, sans jamais tomber dans la grandiloquence. Il démontre ainsi, s’il était besoin, combien ce répertoire réclame un superbe orchestre et un grand chef pour briller dans toute sa puissance expressive et dramatique.
Authentique succès salué par le public, cette soirée aura démontré la beauté de cette œuvre mal connue de Verdi, faisant d’I Due Foscari une des pièces maîtresses de l’œuvre du compositeur.
Paris. Théâtre des Champs-Elysées, 19 mai 2011. Giuseppe Verdi : I Due Foscari. Livret de Francesco Maria Piave, d’après Lord Byron. Avec Le Doge Francesco Foscari : Anthony Michaels-Moore ; Jacopo Foscari : Ramón Vargas ; Lucrezia Contarini : Manon Feubel ; Jacopo Loredano : Marco Spotti ; Barbarigo : Ramtin Ghazavi ; Pisana : Paola Munari ; Le serviteur du Doge : Robert Jezierski. Chœur de Radio-France. Orchestre National de France. Daniele Callegari, direction musicale