vendredi 29 mars 2024

Paris. Théâtre des Champs-Elysées, le 13 octobre 2012. Récital Elina Garanca. Prague Philharmonia. Karel Marek Chichon, direction

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Brava Garanca. C’est un très beau concert auquel nous convie Elina Garanca, puisant dans un répertoire éclectique et passionnant, reliant la Russie à la France.
Dès son apparition en scène, drapée dans une somptueuse robe bleue lui conférant des airs de tragédienne antique, la diva glamour impose d’entrée le respect par un port de reine dont elle ne se départira pas tout au long de la soirée.
Là où lui est parfois reprochée une certaine froideur, nous voyons davantage une sobriété mâtinée de noblesse, où l’émotion sait se faire intérieure et se traduire par le regard et les seules inflexions de la voix plutôt que par le geste.


Ensorcelante diva lettone

L’introduction de la Pucelle d’Orléans est à ce titre éloquente, faisant apparaître Jeanne d’Arc dans toute sa pudeur et sa fragilité. Au travers de cette musique délicate, elle déploie une grande pureté de son, aux voyelles parfaitement définies, et pourtant toujours formées dans la rondeur et l’homogénéité, pour un rendu sonore d’un équilibre rare et toute en sensibilité à fleur de lèvres.
Sa Dalila appelle les mêmes éloges, et bien qu’on puisse souhaiter une voix plus profonde et plus grave pour ce rôle, la luminosité que développe la mezzo lettone se révèle ensorcelante, couronnant cet air par un pianissimo flottant de la plus belle eau.

Avec la Reine de Saba de Gounod, la chanteuse entre de plein pied dans le répertoire de soprano dramatique, pas si éloigné de sa typologie vocale. Et force est de constater que la tessiture large et tendue de Balkis sonne parfaitement maîtrisée du grave, sonore, à l’aigu, large et percutant, emplissant la salle sans effort. Par instants, on reconnaît des inflexions qui ne sont pas sans rappeler l’enregistrement qu’a fait de cet air notre « lionne » nationale, la grande Régine Crespin, sans que jamais Elina Garanca n’ait à rougir de la comparaison avec son illustre aînée.

L’entracte passé, c’est vers l’Espagne que nous sommes entraînés, pour découvrir cette Carmen que l’Opéra de Paris serait bien avisé d’inviter.
Toujours ce même air altier, qui rend sa gitane presque hautaine, et ainsi fascinante par le feu qu’on sent couver sous la glace. Toute vulgarité est ainsi bannie de son interprétation, pour une des plus élégantes Carmen qu’il nous ait été donné d’entendre. Magnifique surprise que d’avoir introduit ce florilège d’airs de l’opéra de Bizet par la première version de ce qui deviendra l’Habanera. Cet air, qui n’a rien à voir avec celui que l’on connaît, ne manque pas de séduction par son tempo enlevé et ses envolées vers l’aigu. On retrouve d’ailleurs le texte de l’Habanera au cœur de cet air, et il est passionnant d’entendre ces mots célèbres portés par une musique si différente.
Puis nous retrouvons l’air que nous connaissons, au charme lascif et au balancement hypnotique, merveilleusement servi par la chanteuse, aux premiers vers murmurés, ainsi que le demande le compositeur.
Provocante et dansante, sa Séguédille flamboie, avec un texte superbement ciselé, à tel point que la limpidité de ses voyelles la feraient passer pour française.
L’air des Cartes s’impose à son tour comme une évidence, sans effet inutile, déroulant comme un ruban cette ligne de chant quasi immobile, à l’avancée inéluctable, tombe déjà creusée par des graves pleins et sonores, jamais alourdis, clairs et parfaitement timbrés.
Et pour clore ce programme, une Chanson gitane enfiévrée, au crescendo de braise, achevant d’enthousiasmer un public conquis.
Devant l’ovation que lui réserve la salle, la chanteuse se lance dans trois bis :
tout d’abord, la chanson espagnole « Al pensar en el dueño de mis amores », plein d’une énergie communicative, aux couleurs ensoleillées et aux vocalises redoutables de précision. Nous poursuivons notre voyage andalou avec le célébrissime « Granada », enlevé avec fougue et panache – et un trille parfaitement battu, chose rare aujourd’hui –.


Leçon de chant et de musique

Et le concert touche à sa fin dans une atmosphère douce-amère avec la superbe chanson napolitaine « Marechiare » de Tosti.
Au-delà de la performance vocale et musicale de la belle mezzo, on se doit également de saluer la direction époustouflante de Karel Mark Chichon, à la tête du Prague Philharmonia. L’orchestre seul impressionne déjà par sa pâte sonore d’une homogénéité superbe, d’une précision à toute épreuve, par la qualité de ses pupitres. La méditation de Thaïs, dans sa transparence et son apesanteur, tire les larmes et suspend le temps, véritable moment de volupté sonore.

En outre, on sent profondément le travail effectué par le chef britannique et son sens du dramatisme musical nous saisit par l’immense crescendo qu’il développe et tend d’un bout à l’autre des morceaux. On redécouvre ainsi la Bacchanale de Samson et Dalila et le prélude de l’acte IV de Carmen, qu’on avait presque oubliés sous un clinquant uniforme entendu trop souvent.
On ressort de la salle ravi, ayant pris à la fois une grande leçon de chant et une immense leçon de musique.

Paris. Théâtre des Champs-Elysées, 13 octobre 2012. Mikhail Glinka : Rouslan et Ludmila, Ouverture. Piotr Ilitch Tchaïkovski : La Pucelle d’Orléans, « Da, chas nastal… Prostitye vi ». Jules Massenet : Thaïs, Méditation. Camille Saint-Saëns : Samson et Dalila, « Mon cœur s’ouvre à ta voix » ; Bacchanale. Charles Gounod : La Reine de Saba, « Me voilà seule enfin… Plus grand dans son obscurité ». Trois pasodobles. Georges Bizet : Carmen, « L’amour est enfant de bohème – Première version » ; Prélude de l’acte I ; « L’amour est un oiseau rebelle » ; Prélude de l’acte III ; « Près des remparts de Séville » ; Prélude de l’acte IV ; « Voyons, que j’essaye à mon tour… En vain pour éviter » ; Prélude de l’acte II ; « Les tringles des sistres tintaient ». Elina Garanca. Prague Philharmonia. Karel Mark Chichon, direction musicale

cd
En octobre 2012, Elina Garanca fait paraître le disque de ce programme parisien…
Le
geste d’Yves Gabel ne manque pas d’intérêt: fouillant les couleurs
(très beau prélude pour Siebel), manquant parfois de transparence, mais
toujours au diapason fusionnel de la chanteuse avec laquelle il fait
corps (Sapho, La Pucelle, Margared…).
Récital globalement très convaincant… dans l’attente des prochaines
Eboli ou Amnéris… défis vocaux à venir pour la diva lettone.

Elina Garanca, mezzo-soprano. Romantique. Airs d’opéras
de Donizetti, Saint-Saëns, Tchaikovsky, Gounod, Vaccai, Berlioz…
Filarmonica del Teatro communale di Bologna. Yves Gabel, direction.
Enregistrement réalisé à Bologne, en mars 2012. Durée: 1h42mn. 1 cd
Deutsche Grammophon 00289 479 0071.
Lire notre critique intégrale du cd Romantique d’Elina Garanca
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