Par notre envoyée spéciale Monique Parmentier
Bouleversante Didon
L’Opéra-Comique est fidèle à un état d’esprit curieux et inventif qui à chaque nouvelle production suscite l’intérêt du public. Il l’est aussi à tous ceux qui l’accompagnent dans une belle aventure initiée par Jérôme Deschamps en 2007. Ce dernier sait provoquer notre émerveillement et notre étonnement au fil des saisons, s’autorisant de vrais prises de risque avec de superbes redécouvertes et créations. Ainsi, a t-il su entendre cette attente d’un public qui ne demandait qu’à revoir, une œuvre sublime, dans une production qui a fait date en 2008. La Didon et Enée de la production portée par Deborah Warner, William Christie et des Arts Florissants généra un tel enthousiasme qu’un label autorisant l’édition en DVD de certains spectacles produits à l’Opéra Comique fût créé pour en conserver le souvenir.
Ce soir c’est donc cette production de cette œuvre sublime de l’Orfeo anglais, Henry Purcell, que nous avons retrouvé, mais non sous la direction de William Christie mais celle de l ‘un des deux chefs associés de l’ensemble, Jonathan Cohen. Et disons le tout de suite sa direction inspirée est une vraie source de bonheur. Elle souligne toutes les beautés de ce pur joyau qu’est « Didon Et Enée » et sait en faire briller toutes les facettes. Elle respire avec les chanteurs et murmure la plainte, la portant jusqu’à son dernier souffle. Les Arts Florissants en très grande forme nous ont éblouis tant par leurs couleurs mordorées (flûtes, théorbe et guitare soliste) que la nuit la plus profonde qu’ils savent suggérer avec art. Ils évoquent ainsi tour à tour ce monde heureux des bergers qu’est l’Enéide dont s’inspire Didon et Enée, que la tragédie d’un amour qui sombre dans une mélancolie qui en étouffe la flamme. Les cordes au velours soyeux à la viole de Gambe au soupir si douloureux, à ce basson aussi sombre qu’une nuit où rôde la mort, ont apporté des nuances d’une rare subtilité à cette œuvre où le désespoir le plus vrai, côtoie le comique le plus cru. Cet ensemble après plus de trente ans fait encore preuve d’autant d’enthousiasme que d’élégance dans des œuvres pourtant si souvent données.
Le plateau vocal légèrement inégal et quasi équivalent à celui de 2008, nous a toutefois permis d’oublier toute réalité nous emportant dans le vertige de cet amour absolu qui lie Didon à Enée. La reine de Carthage qui se donne sans espoir de rémission est ici interprétée par le superbe mezzo suédois Malena Ernman. Son timbre sombre, est aussi envoûtant que ces basses obstinées sur lesquelles elle chante son amour pour un prince bien léger. Son « Remember me » résonne comme un appel que nul ne peut entendre. Ni les vivants qui ne le veulent pour mieux continuer à vivre ni les morts recouverts par le voile du silence éternel. Dans le rôle d’Enée, le Baryton russe Nicolay Borchev reprend le rôle initialement tenu par Christopher Maltman avec brio. Sa jeunesse et sa fougue, soulignent combien le prince troyen n’est pas encore prêt pour relever la puissance de sentiments qui le dépassent, préférant se confronter à une gloire facile que se consumer pour un amour aussi dévorant. Dans le rôle de Belinda, Judith van Wanroij nous a paru méconnaissable, ne projetant pas assez sa voix, certains aigus dans les vocalises manquant de justesse. Tandis que dans le rôle de la Seconde Dame Lina Markeby est poignante.Dans le rôle de l’enchanteresse Hilary Summers et des deux sorcières Ana Quintans et Céline Ricci sont des pestes hilarantes et grotesques, tandis que Marc Mauillon semble sous employé dans le rôle de l’Esprit qui vient remettre Enée sur son « droit chemin », mais ô combien machiavélique par son timbre séduisant. La langue anglaise est ici magnifiquement déclamée par l’ensemble de la distribution.
Le choeur splendide des Arts Florissants sait différencier avec un grand sens des nuances et des couleurs chacune de ses interventions qui viennent appuyer ou déplorer l’action. La mise en scène extrêmement inventive de Deborah Warner comble nos attentes tant elle répond par ses multiples niveaux de lecture à rendre à la poésie anglaise toute sa contemporanéité. Elle choisi de confier le prologue manquant à l’actrice irlandaise Fiona Shaw. Telle une pythie folle et pourtant si sage, en une déclamation bouleversante et engagée de poèmes de Yeats, Hugues et Eliot, elle souligne la violence tragi-comique des sentiments. Première des mises en abîme de cette mise en scène, où la tragédie de la vie est un théâtre ou tout n’est que reflet, incertitude et inconstance. Les superbes costumes de Chloe Obolensky contribuent également à ces jeux de l’amour et d’un hasard parfois si cruel des sentiments. Ils différencient les personnages mythologiques vêtus de robes et pourpoints opulents à la mode du XVIIe siècle, des choeurs qui portent des vêtements noirs et contemporains, et les fillettes espiègles courant dans tous les sens et qui semblent sortir d’un pensionnat anglais du XIXe siècle (rappelant celles devant lesquelles fut donnée le première représentation connue de Didon et Enée). Tandis que les décors sobres de que réalise également Chloe Obolensky et les lumières soignées et parfois si contrastées de Jean Kalman invitent à des rêves aux enchantements maléfiques.Une bouleversante Didon dont l’appel au souvenir résonnera longtemps dans nos mémoires.
Paris. Opéra Comique, le 8 mars 2012. Henry Purcell (1659-1795). Dido and Aenas. Opéra en un prologue et trois actes sur un livret de Nahum Tate d’après Virgile. Dido : Malena Ernman ; Aenas : Nikolay Borchev ; Judith van Wanroij : Belinda ; Sorceress : Hilary Summers ; Second Woman : Lina Markeby ; First Witch : Céline Ricci ; Second Witch : Ana Quintans ; Spirit : Marc Mauillon. Sailor : Ben Davies. Prologue : Fiona Shaw. Acrobates : Valentin Bellot, Nicolas Comiti, Willy Glassmann, Nathan Israel, Loïc Reiter, Thomas Van Uden. Enfants : Maîtrise des Hauts-de-Seine. Choeur et Orchestre Les Arts Florissants. Direction : Jonathan Cohen. Texte mis en ligne par Adrien De Vries. Compte rendu rédigé par notre envoyée spéciale Monique Parmentier.