Le metteur en scène Polonais, Krzysztof Warlikowski, familier sous l’ère Mortier à Paris (qui a mis en scène auparavant, à l’invitation de ce dernier, Iphigénie en Tauride et Parsifal), s’intéresse ici au Roi Roger (1926), partition de son compatriote Karol Szymanowski (1882-1937). C’est la dernière production lyrique présentée par l’Opéra de Paris, pour sa saison 2008-2009, et donc l’ultime spectacle proposé dans la Capitale par le directeur de l’Opéra, à présent directeur du Royal de Madrid.
Gérard Mortier laisse un cadeau éclatant pour ses adieux: l’opéra de Karol Szymanowski est bien une partition maîtresse qui méritait son entrée dans la Maison et de ce fait aussi (enfin) une création scénique française. On se souvient des concerts de l’oeuvre lyrique donnée donc « en oratorio » à Paris: Théâtre des Champs-Elysées, 1996 , sous la baguette de Charles Dutoit, puis à Strasbourg, en 2001, enfin au Théâtre du Châtelet en 2003 sous la direction de Jukka-Pekka Saraste… Chacune en version non scénique.
Wagnérien, straussien, ravélien, Szymanowski « ose » une pièce flamboyante à la Gustave Moreau, colorée d’orientalisme et d’impressionisme qui cependant n’ont rien de décadent mais sont plutôt transfigurés en une vision poétique continûment « ascensionnelle » : le déroulement de l’oeuvre ô combien initiatique et spirituelle, suit la progression des heures, depuis une nuit d’inquiétude, jusqu’à l’aube révélatrice, … de l’ombre à la lumière.
La route empruntée par Le Roi Roger est celle d’un être soucieux, occupé, ténébreux dont les aspirations teintées en filigrane d’accents homo-érotiques, sont inspirées par l’apparition d’un jeune garçon fatal qui semble lui révéler sa nature intime.
A chacun de traduire ensuite la fin de l’ouvrage conçue comme une énigme car selon le voeu du compositeur, la question du choix de Roger reste ouverte. Ce qui est sûr et acquis, reste le dévoilement de la conscience dont est porteur le Souverain. C’est une aube libératrice dont le sens exact demeure secret. En cela, la fin de l’opéra chez Warlikowski reste proche de son sujet: sous un néon où se lisent les lettres d’une enseigne « SUN », le roi transfiguré chante son hymne solaire, comme ébloui, révélé par le pressentiment d’un ordre nouveau.
Dans une partition musicalement foisonnante qui mérite une mise en scène allégée (d’autant plus digeste), Krzysztof Warlikowski fait du … Warlikowski: il écarte tout ancrage historique: ni Palerme, ni XIIè siècle, ni références aux cultures mixtes chrétienne, juive, arabe… Il a choisi des images plutôt terre à terre, qui inscrivent le chemin spirituel de Roger dans une suite de tableaux concrets, au réalisme acide et souvent trash, souvent désordonné, dont la laideur soulignée de certains éléments, paraîtra trop décalés pour certains spectateurs. Pour autant l’exercice théâtral revêt-il essentiellement une fonction provocatrice, signe tant décrié pendant le mandat de Mortier à Paris?
Hélas, nous serions tentés de dire « oui ». Chez Warlikowski, le ballet de la bacchanale devient la scène du bain où de jeunes éphèbes portent et accompagnent des seniors affaiblis, heureux de prendre une trempette regénérente… L’eau est d’ailleurs comme dans les mises en scène habituelles du Polonais, une onde purificatrice lavant les protagonistes de souillures secrètes. Au terme d’une nuit toride, riche en sueur et en confrontation éprouvante, Roger se lève lui aussi de son bain, à peine vêtu, tel un nouveau né prêt à vivre sa nouvelle vie.
Heureusement sur le plan vocal, Roger et Roxane sont impeccables: ayant et le physique (plastique irréprochable du baryton Mariusz Kwiecien) et le chant ardent, habité, souvent halluciné de leur personnage. Dommage que le Berger de l’excellent Eric Cutler, n’ait pas quant à lui la silhouette du Dieu tentateur et pasolinien, ni ce trouble visuel que requiert le personnage pour atteindre à l’ambiguïté qui dévore le Roi: ces rondeurs certes féminines n’ont rien d’un Antinous obsessionnel.
De même, pourquoi faire de Roger un accroc à la drogue (Edrisi lui injecte sa dose vitale)? On aura compris que la transe qui habite Roger pourrait être celle infligée par ses injections massives… Et l’opéra ne serait-il qu’un tableau ponctué par les visions psychédéliques d’un drogué fièvreux? Pourquoi de la même façon la Reine Roxane est accompagnée d’un jeune enfant? Le comble d’une vision anecdotique (qui ne décolle jamais scéniquement) est atteint quand le Berger paraît au bord de la piscine avec la tête d’un Mickey … albinos… en maillot de bain. Nous n’avions pas encore envisagé les héros de Walt Dysney en créatures érotiques… pourquoi pas! Il faudra désormais y penser lors de notre prochain séjour à Dysneyland.
Excellence vocale et instrumentale
Reste que la prouesse vocale de la distribution relève de l’excellence et l’on salue les chanteurs, quasiment toujours dévêtus, de se prêter avec conviction au jeu disloqué, un brin déjanté, que leur impose la vision Warlikowski.
Dans la fosse, Kazushi Ono détaille sans excès, conduit avec passion et précision: sa baguette souligne l’éclectisme filigrané d’une partition qui regarde en de multiples directions (Scriabine, Strauss, Reger, Stravinsky, et aussi Ravel). La réussite musicale tient de l’équilibre et de la fusion entre les voix et l’orchestre, jamais décalés mais fusionnés en un équilibre profitable qui laisse couler le flux symphonique sans heurts ni dilution, du début à la fin… Le chef, devenu permanent de l’Orchestre national de Lyon, sait soigner la transparence et la clarté, tout en frappant net aux endroits marquants de l’action. Aucun doute, ce Roi Roger confirme l’intuition légitime de Gérard Mortier: l’oeuvre est poétique et même hypnotique, d’une puissance indéniable, fascinante sur le plan musical comme dans le portrait des personnages. Reste que malgré la performance des solistes, ce regard continûment crû, réaliste, en rien poétique ni suggestif, assumé par le metteur en scène, s’avère ennuyeux, systématique, pesant, finalement décevant s’agissant d’une partition résolument introspective. La musique, elle, respire, s’élève, se métamorphose. Elle nous fait vivre les états mystiques qui traverse l’esprit du Roi Roger. Merci aux musiciens. Lors des saluts, Warlikowski salue à peine, mastiquant son chewimgum à la face d’un public indisposé dont la moitié, en une bronca active, hue copieusement la plâtrée théâtrale. Indigeste, décidément indigeste.
La réalisation pour cette captation exemplaire sur la Toile est captivante, permettant de voir ce que nous en attendions: détails des gestes, expressions rapprochées des héros, mais aussi atmosphère et climats des vues collectives… Dommage cependant que la diffusion proposée par Arte live web, n’ait pas encore intégré les sous-titres: spectateurs habituels des salles de théâtres lyriques, nous sommes désormais habitués à lire l’action tout en écoutant le texte. Quand ce dernier point sera réalisé, l’expérience de l’opéra en live sur le net sera pleinement réussie. D’ailleurs, vous aurez peut-être fait comme nous pendant la diffusion en suivant le drame et chaque tableau, grâce à l’excellent numéro de l’Avant-Scène Opéra, dédié au Roi Roger de Szymanowski. Quoiqu’il en soit, l’expérience est concluante et le principe d’une diffusion gratuite, un bel acte démocratique. Capitale même pour que l’opéra gagne toujours de nouveaux publics.
Paris. Opéra Bastille, le 20 juin 2009, en direct sur inetrnet (Arte web live web). Karol Szymanowski: Le Roi Roger. Mariusz Kwiecien (le Roi Roger), Olga Pasichnyk (Roxana), Stefan Margita (Edrisi), Eric Cutler (le Berger), Orchestre et choeurs de l’Opéra de Paris. Kazushi Ono, direction. Jusqu’au 2 juillet à l’Opéra Bastille. Diffusion sur France Musique, le 27 juin à 20 heures. L’opéra le Roi Roger de Szymanowski demeure accessible en différé, gratuitement, sur le site d’Arte live Web, pendant 2 mois après le direct, soit jusqu’au 20 août 2009.