vendredi 25 avril 2025

Paris. Opéra Bastille, le 30 juin 2009. Karol Szymanowski: Le Roi Roger (1926). Scott Hendricks (Roger), Olga Pasichnyk (Roxana). Kazushi Ono, direction. Krzysztof Warlikowski, mise en scène

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Extase mystique

Pas facile d’aborder l’opéra Le Roi Roger, tant ce chef-d’oeuvre du XXème siècle, qui fait une entrée légitime au répertoire de l’Opéra Bastille, se rapproche d’une action spirituelle à la façon d’un oratorio. Sa forme est plus psychologique que dramatique: l’extase dont il s’agit, ce conflit des sens et ce trouble qui terrasse le pauvre souverain sicilien, le mène vers un accomplissement d’ordre… spirituel. Telle n’est pas la moindre contradiction d’une partition que d’aucun réduisent souvent à ses connotations homoérotiques, ses références autobiographiques, son ambivalente construction entre désir et raison, compromission et intégrité, Dionysos contre Apollon. La seule fin relève la difficulté: que comprendre dans l’hymne ultime d’un roi accablé, défait, déchu, qui a fini en pèlerin et en mendiant démuni, soucieux d’offrir au soleil son coeur pur? Que lui reste-t-il au final après cette unique nuit de transes diverses? Peut-être cette intime faculté d’éblouissement et de compréhension nouvelle du monde et de soi-même?

Créé à Varsovie le 19 juin 1926, « Le Roi Roger », de Karol Szymanowski, ne pose pas la question de l’amour, de l’éros mais plutôt de l’identité: résistance et révélation. Résistance à cet étranger magnifique, étrangement et sublimement beau, agent imprévu qui précipite le destin; révélation qui en découle au plus profond de l’être: au terme de l’opéra, Roger finit terrassé, en proie à une métamorphose décisive. A chacun de l’interpréter: mais le Roger de départ n’est plus celui de la fin de l’ouvrage…


Gadgets et confusion

Reste que la réalisation qu’en donne le polonais, confrère de Karol Szymanowski, Krzysztof Zarlikowski, produit le pire et l’assez bon. Le Berger tentateur, instigateur, provocant (Dionysos déguisé), Eric Cutler, en gourou indianisé, cheveux longs et ongles colorés, n’a hélas rien de physiquement troublant, mais il a déjà une voix somptueuse et souple, facile et aérienne qui vaut tout les visuels fanstasmatiques. Excellente, l’idée de placer un caméraman, caméra à l’épaule ou portée aux bras, filmant en plans serrés un par un, les chanteurs du choeur hostile à l’étranger, dévoilant tout autant la mine souriante et enchanteresse du Berger, projeté sur un écran géant au devant de la scène… Etrange mais intéressante, la transposition du ballet orgiaque, en bain collectif où des seniors méticuleux s’ébattent dans une piscine à l’eau régénérante. Mais alors pourquoi, en un odieux et honteux pied de nez aux spectateurs (et à la partition si envoûtante), le Berger sublime paraît en maillot de bain, et chaussures à talon, avec un masque de Mickey sur la tête? La dégringolade est agaçante et l’on se demande si Warlikowski ne confond pas fatras d’idées gadgets et vision cohérente et poétique.
Cette absence de féerie et de sensualité (pourtant présentes dans chaque section de la partition et en particulier au moment des confrontations entre l’envoyé de Dionysos et Roger) impose une scène dépoétisée à l’extrême, grimaçante, anecdotique, parfois encombrée pour ne pas dire confuse. L’opéra peut gagner à être relu et réinterprété par d’audacieux hommes de théâtre: mais l’approche ici sent l’amateurisme, son manque de cohérence (trop d’idées, d’éléments, de références…) dérive, et finit par atténuer l’impact émotionnel de la musique. D’autant que pour son entrée au répertoire de l’Opéra de Paris, la partition bénéficie d’une solide distribution.

… mais splendeurs orchestrales

Dans la fosse, Kazushi Ono, chef principal du National de Lyon montre qu’il est un grand chef: en sensibilité et en nuances, à mille lieues de la vision terre à terre et trash du metteur en scène. Il fait flotter sur l’orchestre de Szymanowski, des relans entêtants de Ravel et Debussy, de Mahler et Stravinsky, de Scriabine, Wagner et Strauss. Autant de fragances subtilement mêlées d’une irrésistible attraction, qui précisent et dévoilent le Szymanowski ivre de vertiges instrumentaux, d’alliances vénéneuses, d’éclats et de lueurs expressionnistes, symbolistes, impressionnistes… Le chef sait détailler sans dilution: soulignant sans secousses ni épaisseurs, l’allant et l’urgence d’une partition efficace qui ne dure que 1h30! Le temps d’un rêve ou d’un cauchemar… et ici, d’une féerie musicale à couper le souffle.

A l’inverse de Mariusz Kwiecien qui a l’avantage de la langue car il est polonais (que l’on a pu voir lors de la captation en direct du Roi Roger sur internet grâce au dispositif proposé par Arte live web, le 20 juin 2009), le Roger de ce soir , l’américain Scott Hendricks, s’il n’a pas la délicatesse articulée ni la clarté de son confrère, n’en partage pas moins un sens aigu du texte et un belle assurance. Son Roger est parfois monolithique mais tout entier pris et saisi dans les rets d’une force qui le dépasse entre fin des illusions, déracinements, nécessité de lucidité, dépassement. Plus convaincante encore, son épouse Roxane qui dans le chant fluide et clair de Olga Pasichnyk, surtout dans son fameux air (souvent chanté en air de concert détaché, du II) rappelle combien Szymanowski a la fascination de l’Orient: courbes et contre-courbes d’une âme aimante, toute entière soumise à la nouvelle religion clamée par l’envoyé divin… Double ricanant, parfois cynique du Roi, l’Edrisi de Stefan Margita est aussi subtile que puissant, d’une indéniable présence autant physique que spirituelle.

Pour approfondir votre connaissance de l’opéra de Zsymanowski, consultez notre dossier spécial Le Roi Roger de Karol Szymanowski.

Paris. Opéra Bastille, le 30 juin 2009. Karol Szymanowski: Le Roi Roger (1926). Scott Hendricks (le Roi Roger), Olga Pasichnyk (Roxana), Stefan
Margita (Edrisi), Eric Cutler (le Berger), Orchestre et choeurs de
l’Opéra de Paris. Kazushi Ono, direction. Jusqu’au 2 juillet à l’Opéra
Bastille. L’opéra le Roi Roger de Szymanowski demeure accessible en différé, gratuitement, sur le site d’Arte live Web, pendant 2 mois après le direct, soit jusqu’au 20 août 2009.

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