samedi 20 avril 2024

Paris. Musée d’Orsay, auditorium, le 21 octobre 2010. L’académisme enmusique: Cantates du Prix de Rome.Les Solistes de Lyon. Bernard Tétu, direction. Noël Lee, piano

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En octobre 2010, le musée d’Orsay à Paris s’interroge sur la notion d’académisme. Complément musical à la superbe rétrospective consacrée jusqu’au 23 janvier 2011 au peintre Jean-Léon Gérôme, l’auditorium du musée prolonge les questionnements de la thématique jusqu’à la création musicale. A la question : qu’est ce que l’académisme musical?, le musée répond par un cycle de concerts où les sujets et la formation des auteurs musiciens incarnent bel et bien la filière académique. L’académisme en musique désigne d’abord un enseignement et une formation qui passe inévitablement par le Conservatoire de Paris et à l’image du dispositif depuis plus longtemps développé à l’adresse des peintres, est validée par l’obtention du prestigieux prix de Rome. Lequel signifie pour les lauréats, la nomination quasi certaine aux postes administratifs les plus élevés dans l’Hexagone. Les académiciens en occupant des postes à responsabilités illustrent effectivement l’art officiel.
Mais cette notion de système et de sérail doit être nuancée. En particulier comme nous le rappelle la formation même du peintre Gérôme, prétexte du cycle musical: le peintre « néo grec », qui fut l’élève de Delaroche et revendique une filiation avec le beau métier de Monsieur Ingres (Prix de Rome et membre de l’Institut), n’obtint jamais le Prix de Rome, échouant misérablement dès ses premiers essais.
En sélectionnant plusieurs cantates composées pour obtenir le Prix, Bernard Tétu et les Solistes de Lyon mettent l’accent sur la notion d’écriture, d’esthétique plurielle liée à la nécessité de composer. D’Hérold à Dutilleux, se dessine un panorama large et diversifié, où la contrainte et le carcan d’une compétition, inspirent et dévoilent clairement les tempéraments voire les motivent. Ici, sous le masque d’un système et de règles préétablies, se nourrit la singularité des sensibilités motivées.

D’Hérold à Dutilleux

Les musiciens compétiteurs doivent démontrer leur maestrià en contrepoint, harmonie, voix et choeur, surtout dans la forme complète de la cantate, drame lyrique où l’orchestre doit aussi rugir, exprimer, nuancer. Les sujets (une véritable étude devrait se pencher sur le choix des textes imposées aux candidats) puisent dans la mythologie, la fable amoureuse. Si les candidats composent pour voix et orchestre, leur partition sont analysées et notées par le jury qui en écoute la spécificité dans une version au piano. La proposition de Bernard Tétu (qu’il utilise le plus souvent en concert), voix et piano, est donc parfaitement légitime s’agissant de ce programme dédiés aux Cantates du Prix de Rome.
Au final, il s’agit souvent de formules expressives, destinées à édifier une dramaturgie resserrée comme pour un opéra de chambre, où la violence des passions le dispute à la grandeur morale des sentiments. Héros et héroïnes tragiques ou amoureux, la Cantate demeure pour tous les auteurs motivés, « le » passage obligé pour démontrer son art et son génie en germe.
Pour compléter cet horizon des talents de jeunesse (tous les candidats célébrés ont moins de 30 ans au moment de leur présentation au Prix), Bernard Tétu ajoute plusieurs oeuvres postérieures afin de souligner combien souvent dans l’évolution postérieure de l’écriture, le jeune académicien sait transcender les règles officielles. L’Académisme n’est donc pas une contrainte mais un passage récapitulant les compétences techniques et la culture si inspiratrice, afin que plus tard et souvent très rapidement, un nouvel art se dévoile dans toute sa plénitude.
Aux côtés des partitions d’Hérold, de Gustave Charpentier, d’Ambroise Thomas (le Verdi français) ou de Max d’Ollone (aujoud’hui bien oublié, à torts évidemment), l’offrande la plus éblouissante du programme à Orsay, reste les mélodies composées par Henri Dutilleux, et qui formaient l’apothéose du concert. Prix de Rome en 1938 avec la Cantate L’Anneau du Roi (initialement programmée), le compositeur contemporain préférait valider pour la soirée ses Mélodies d’après les Sonnets de Jean Cassou (1954) dont la dernière, saisissante par sa gravité et sa profondeur poétique, La Géôle, était même donnée en création mondiale! Superbe écriture d’une simplicité étonnante laissant au pouvoir du verbe, sa libre expressivité, à la fois recueillie et hallucinée. En diseur fin et racé, d’une éloquence sobre à l’économie prodigieuse, le jeune baryton Jean-Baptiste Dumora trouve le ton juste, intense, solennel, jamais poseur. Une révélation à porter au crédit du programme.

Sensibilités académiques…

Le reste de la soirée explore ces mêmes champs méconnus que met en lumière depuis sa création le dynamique Centre de musique romantique à Venise (Palazzetto Bru Zane): d’Hérold à Max d’Ollone, voici un cortège de musiciens hauts en couleurs dont les tempéraments divers ont vécu l’épreuve du Prix de Rome puis l’installation à la Villa Medicis soit comme un enchantement inspirateur, soit comme une nouvelle geôle, plus subie que cultivée et chérie.
Voyez les deux plus « sauvages » et rebelles à toute complaisance au dogme officiel (ils se sont pourtant présentés en toute conscience): Debussy et Berlioz. Deux réformateurs de la musique française, et aussi deux créateurs qui font imploser la notion même de romantisme plus encore d’académisme. Prix de Rome en 1830, l’année de la Fantastique (après deux précédentes tentatives), Berlioz remporte la victoire sur le Système avec sa Cantate La Mort de Sardanapale, dont le susjet renvoie au tableau de Delacroix dont la sauvagerie chromatique explosait déjà en 1824.
Debussy quant à lui, lauréat en 1884 avec L’Enfant Prodigue, édifie dès avant Pelléas, une liberté de la ligne qui coule comme ses oeuvres pour piano.

A Rome, les compositeurs académiciens n’ont pas cette diversité d’activités qu’offrent la ville éternelle, riche en sujets de copie (sculptures, forums, architectures antiques…). Pire, les musiciens s’ennuient. C’est tout le propos et la critique d’un Berlioz, dont les frasques amoureuses et les nombreux échecs sentimentaux affectent et troublent son discernement quant à l’utilité et l’intérêt de l’expérience académique à Rome. Or objectivement, les musiciens n’ont rien à copier… la source unique de leur étude romaine demeure ce contrepoint si essentiel dans l’acte de composition et qu’il peuvent encore et encore perfectionner en lisant et relisant les partitions de… Palestrina. Tout un courant esthétique s’intéresse alors à l’étude des maîtres anciens, Palestrina, Lassus, modèles du genre choral et que tout pédagogue romantique se doit d’expliquer à ses éléves. Voilà pourquoi en prélude au concert, Les Solistes de Lyon chantent de Joseph Zimmerman, Dabit Benignitatem dont la clarté palpitante du contrepoint valut à son auteur d’obtenir le Prix de 1821 lui ouvrant le poste convoité de professeur de contrepoint et de fugue au Conservatoire de Paris.
Même Fauré, élève à la prestigieuse école Niedermeyer se plie avec grâce aux exigences contrapuntiques: le Cantique de Jean Racine est un modèle du genre composé en 1870 et validant alors toutes ses études de formation.
Comme l’a rappelé très justement Cécile Reynaud dans sa conférence d’introduction au concert, les compositeurs à Rome étaient invités à étudier outre les modèles anciens, la vitalité contemporaine des musiques populaires italiennes dont celles napolitaines alors très actives. Or peu de musiciens lauréats se prêteront à ce qui auraient pu être un formidable miroir musical de caractère ethnographique, une action de collecte et d’assimilation des dialectes italiens musicaux, comme le fera plus tard Bartok concernant les idiomatismes hongrois.

En résumé, il revient aux Solistes de Lyon et à leur chef Bernard Tétu de nous offrir plusieurs musiques aussi méconnues qu’éblouissantes. Ces compositeurs, enviables détenteurs du Prix de Rome, n’ont de classique et d’amidonné que leur fausse réputation: ré-écouterici la cantate d’Hérold, La duchesse de La Vallière pour soprano solo (1812), le duo d’Hermann et de Ketty de Thomas (1832), surtout Didon (à travers le duo entre Enée et Anchise, 1887) puis l’enchantement nocturne de La vie d’un poète (1888) de Gustave Charpentier, laisse envisager bon nombre de partitions captivantes à redécouvrir d’urgence. De Debussy, on garde l’esprit rêveur et enchanté après Dieu qu’il l’a fait bon regarder (1898) dont on ne sait trop s’il faut louer la souplesse de la prosodie ou la délicieuse mélodie envoûtante; de Berlioz, les Solistes nous régalent avec La Mort d’Ophélie (chantée à deux voix) puis Le Choeur d’Ombres, extrait de Lelio ou le retour à la vie... Quand les académiques se font romantiques, la richesse des talents célébrés paraît sans limites. Perspective passionnante à peine infirmée par l’écriture d’un Dutilleux plus récent, trop rare, trop forte. Superbe programme.

Paris. Musée d’Orsay, auditorium, le 21 octobre 2010. L’académisme en musique: Cantates du Prix de Rome. Oeuvres de Joseph Zimmerman, Ferdinand Hérold, Ambroise Thomas, Hector Berlioz, Gabriel Fauré, Gustave Charpentier, Claude Debussy, Max d’Ollone, Henri Dutilleux… Les Solistes de Lyon. Bernard Tétu, direction. Noël Lee, piano

Illustrations: Bernard Tétu, Les Solistes de Lyon (F. Leclercq)
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