Sous le portrait en pied de Louis XIV par Hyacinthe Rigaud, effigie emblématique de toute l’esthétique officielle Grand Siècle, les interprètes réunis dans le Grand Salon des Invalides ressuscitent un concert tel que le Souverain le plus mélomane de la dynastie Bourbon, aurait pu l’entendre. Et l’aimer.
Prélude avec Louis Couperin dans sa Fantaisie pour les violes en ré: rien de mieux pour camper un climat que l’ampleur grave et poétique de grand Louis qui savait comme peu user des harmonies et du chromatisme de façon déjà dramatique.
Les musiciennes conviées pour ce concert des deux Couperin, Louis et François, sont Emmanuelle Guigues et Sylvia Abramowicz qui jouent deux admirables basses de violes du 17è et du 18è (Jean-Baptiste Salomon, 1741). A l’esprit musical, au geste interprétatif recueilli et suggestif, se joint la qualité des instruments d’époque. Le joyau de la soirée est évidemment le clavecin de l’anonyme Collesse, 1748 (collection de Laurent Soumagnac), instrument favori des meilleurs clavecinistes actuels (dont Andreas Staier qui quelques jours encore, le jouait à Versailles dans le Salon d’Hercule pour un concert des mêmes Couperin).
Son ravalement au 18è, a permis de gagner 3 notes (2 dans les aigus, 1 dans les basses): somptuosité du spectre sonore alliant finesse, clarté, puissance, couleur: tout ce que l’interprète le plus exigeant attend d’un instrument-roi. Pour le faire sonner, Bruno Procopio, élève de Christophe Rousset et de Pierre Hantaï, relève le défi: son toucher a la fluidité des plus grands. La délicatesse (si ornementée) de Couperin gagne un foisonnement de couleurs diaprées, de teintes à la fois généreuses et rares qui touchent immédiatement à l’esprit comme au coeur. De quoi rendre à François Couperin, l’acuité spécifique de sa fameuse déclaration: « j’avouerai de bonne foi que j’aime beaucoup mieux ce qui touche que ce qui me surprend… »
Chez les Couperin, la viole est l’instrument désigné de la confession, du regret, de la nostalgie, de l’intimité… François, reclus et solitaire, en 1728 compose les Pièces de viole qui sonnent comme une retraite et une méditation au monde, à la fois vanité et souvenirs de la grandeur passée. C’est sans hésitation un hommage à la basse de viole.
Louis avait en affection le dessus de viole dont il apprit le rudiment de son père Charles. En somme, voici l’art d’un secret de famille, transmis de part en part, comme un mystère à jamais perdu. Restent les 7 Pièces de viole ici abordées avec quelle douceur évocatoire et quelle mesure française par Emmanuelle Guigues et ses partenaires dont aux côtés de Sylvia Abramowicz, le non moins excellent Rémi Cassaigne (luth et guitare baroque). Art de la conversation, plutôt art de la confession partagée comme nous l’avons dit, tant ici s’imposent l’intimité et l’implicite, le ténu, la science de l’évocation portés par le sentiment filigrané. Il n’est jamais question de démonstration mais de conscience aiguë et de réitération subjective: tel n’est pas le moindre paradoxe de la fin du règne de Louis XIV, qui aima la splendeur et la gloire et nous transmet, par le chant de François, un art de la confession rêveuse et… mystérieuse, grâce à la seule mais si riche palette expressives des cordes baroques (pincées ou frottées)…
Quelle éloquence et quelle dynamique rentrée dans les Pièces de clavecin, toutes de verve et de délicatesse, sous les doigts rayonnants d’une indicible alchimie de Bruno Procopio. Les Grâces incomparables de la Conti font-ils respirer les murmures courtisans des Grands Appartements auxquels se mêle, objet du souvenir, le portrait d’une belle séductrice à la Cour, –La Conti précisément? Comment n’être pas saisi de la même façon par l’activité sautillante de La Manon, l’écoulement de La Garnier, la liquidité poétique des Ondes et enfin, aboutissement de ce miracle du sentiment et de la pudeur, où tout glisse et s’écoule, les fameuses Baricades mistérieuses qui n’ont de sonore et de tonitruant que les résonances jusqu’à l’obsession voire l’hypnose, de la cellule mélodique reprise et reprise, confession là encore et, même irrépressible, agissant comme un envoûtement tenace…
Superbe concert dans l’écrin acoustique du Grand Salon des Invalides. A suivre: le disque de ce programme enchanteur, porté par des solistes de premier plan, est annoncé courant mars 2010 chez le label Paraty.
Paris. Grand Salon des Invalides, lundi 7 décembre 2009. Louis Couperin: Fantaisie pour les violes en ré. François Couperin: Pièces de viole, première Suite en mi mineur. Pièces de clavecin. Emmanuelle Guigues, Sylvia Abramowicz, violes de gambe. Remi Cassaigne, luth et guitare baroque. Bruno Procopio, clavecin.
Illustration: Emmanuel Guigues, Sylvia Abramowicz, Rémi Cassaigne, Bruno Procopio (DR). Bruno Procopio © N.Raffet