Superbe concert en ouverture du nouveau festival Présences de Radio France dont cette 21è édition se déroule en accès libre au Châtelet à Paris, jusqu’au 19 février 2011.
Le programme ouvre sur Un Sourire d’Olivier Messiaen, commande passée par Marek Janowski pour Radio France en 1991: à l’époque , il s’agissait de célébrer Mozart (la partition, l’une des dernières créées du vivant de Messiaen, est jouée le jour de la naissance de Mozart, le 5 décembre… 1991, marquant ainsi son bicentenaire) dont la tendresse lumineuse s’exprima toujours chez l’auteur du Requiem, marqué pourtant de Salzbourg et Vienne, par la souffrance, l’incompréhension, le dénuement… Messiaen fixe le sourire mozartien avec une clarté d’écriture, une retenue toute viennoise et XVIIIè… une caresse d’expression à laquelle la gestuelle, mains nues, toute en souplesse du chef Salonen apporte une déférente lumière. Atténuation, allusion magicienne et suspendue qui font alterner ce tapis de cordes tendre et d’une douceur extrême avec une section plus animée, de caractère africain, d’où jaillissent les courbes dansantes des percussions (xylophone). Maître du climat, entre énigme, couleurs irisées et mystère profond, Salonen démontre sa étonnante facilité comme chef; il sait plonger au coeur de la partition pour en dévoiler tout le sentiment serein, émerveillé, d’épiphanie miraculeuse.
Nuit d’Insomnia…
La complicité des instrumentistes et du Finnois s’intensifie encore dans l’accomplissement de la première oeuvre de Salonen au programme du Festival: Insomnia (2002), succession de variations ponctuées par un passage en forme de ritornello. L’écriture se fait là aussi souple et ondulante, d’une forme libérée souvent opulente voire déboutonnée, d’une réelle attraction sonore grâce à son développement constant : en dépit des recherches de contrastes, même avec la surenchère de la pulsation qui confine à la sauvagerie rythmique, sorte de transe ultime qui marque ici un point de tension extrême (« trochée névrotique » selon les termes de Salonen lui-même), le chef-compositeur réalise un déploiement très cohérent. Ce souci constant dans son oeuvre de l’unité et de la continuité se réalise en particulier dans la fusion du choral et de la machine, – deux éléments importants de l’écriture-, conférant à l’ensemble sa formidable avancée… progression organique surprenant même l’auditeur parfois par des accents mécaniques.
Outre son plan motorique, la musique de Salonen s’accomplit aussi dans sa réalisation instrumentale, l’une des plus vives et des plus raffinées qui soit, maîtrisant des alliages de timbres et de couleurs à la façon de son maître Rautavaara. Les symphonistes apprécieront cet hédonisme manifeste dans la forme où le violon solo, les percussions (timbales) surtout la présence grave et profonde des cors et des tubas wagnériens nuancent une palette de couleurs très intense et contrastée.
D’après le commentaire de l’auteur sur son oeuvre, Insomnia exprime l’état de veille forcé qui éreinte l’esprit insomniaque. La conscience éprouvée reste prisonnière d’un état angoissant qui culmine jusqu’au petit matin: quand l’esprit pense trouver le repos, il est trop tard, le soleil d’une insolente et insupportable clarté paraît déjà, au comble de l’anxiété: c’est le sens et l’essor du tutti final.
A la baguette, Salonen veille au relief et au souffle de cette chevauchée nocturne sans interruption où la saillie des démons, convulsions et exaltation vaine proposent un banquet de couleurs libérées.
Après l’entracte, création mondiale de Dona nobis pacem, composé en décembre 2010, courte pièce de 5mn pour choeur d’enfants qui est une lecture engagée sur le monde actuel offert en héritage aux générations futures. Son matériau emprunte à Knock, breathe, shine pour violoncelle (2010); le style revisite aussi Palestrina: dans un balancement d’étrangeté mélancolique, le chant des enfants aspire à la paix d’un monde sauvé des erreurs commises sur la planète.
Les cris de Ligeti
C’est un instant recueilli qui prépare à l’oeuvre maîtresse du programme (avec Insomnia): le Requiem de Ligeti. Salonen n’a jamais caché sa profonde estime pour le compositeur hongrois décédé en 2006. Leur rencontre remonte à 1989: le jeune compositeur apprend du maître son intransigeante lecture du monde et de la musique, sa vision tendre et démoniaque, lumineuse et sombre de la nature humaine. Echageant avec Ligeti, Salonen comprend apports et enjeux du rapport si ténu entre ruptures et continuité: d’ailleurs le Requiem malgré son déroulement chaotique et décousu (en apparence) ouvre des perspectives nouvelles inédites, où le chant du choeur comme des solistes, se fait clameur primitive, murmure animal, cri, déchirement, hululements de désespoir, vibrante exclamation d’un dénuement ultime qui laisse l’homme frappé par la mort, cynique, souveraine, implacable arme du destin. Toutes les options instrumentales soulignent cette fresque glaçante, d’une saisissante horreur, à commencer, idée géniale du composieur, par le timbre pincé, d’un cynisme clinique du clavecin (présent au Lacrymosa). Avec Ligeti, le temps n’est plus comme aux âges classique et romantiques, à la déploration, à la compassion, à une lamentation sublimant la déchéance et le néant: Ligeti nous place exactement face à la faucheuse. C’est une confrontation sans échappatoire, sans intercesseur d’aucune sorte. Subtil et mordant, Salonen fait entendre les incroyables déflagrations, la menace, l’angoisse hallucinée du choeur désemparé, ou acteur qui gronde dans l’ombre telle une armée de bêtes aux aguets, à l’agonie (Introïtus). Un sommet est atteint dans le Lacrimosa final si loin des accents compassionnels de la tradition musicale antérieure: lugubre et froid, voire glacial et métallique, son climat terrifie par son austérité âpre, sa vérité déchirante. Est-il présence de la mort plus palpable et terrifiante?
Composé en 1965, révisé en 1997, le Requiem est une monstruosité musicale d’un incroyable impact. Salonen ardent défenseur de Ligeti (qui fut en retour assez indifférent voire blessant, allant jusqu’à interrompre l’intégrale de son oeuvre par le chef finnois chez Sony), se montre ici efficace, juste, précis. Magistral.
Pour sa 21è édition qui marque son 20è anniversaire, le festival Présences de Radio France à Paris, propose au Châtelet la quasi intégrale des oeuvres de Salonen. Outre l’activité du compositeur, le festival gratuit permet de découvrir aussi la direction du chef: jusqu’au 19 février 2011. Prochains rvs incontournables, Salonen dirigeant l’Orchestre Philharmonique de Radio France. Le 6 février 2011 à 18h (Hélix, Concerto pour violon, Wing on Wing); le 12 février 2011 (Gambit, Giro avec Symphonie n°4 de Lutoslawski). Enfin concert de clôture, samedi 19 février 2011 à 20h: création d’une nouvelle oeuvre, LA Variations, couplées avec D’Om le vrai sens de Saariaho et Amériques de Varèse.
Paris. Châtelet, le 4 février 2011. Présences 2011, les 20 ans. Messiaen: Un sourire. Salonen: Dona Nobis Pacem, Insomnia. Ligeti: Requiem. Barbara Hannigan, soprano. Virpi R.-Midth, mezzo-soprano. Maîtrise de Radio France (Sofi Jeannin, direction). Choeur de Radio France (Michel Tranchant, direction), Orchestre Philharmonique de Radio France. Esa-Pekka Salonen, direction.