Après Nicolas Isouard et Jules Massenet, c’est au tour de Pauline Viardot de donner vie à l’histoire légendaire de Cendrillon, dans un chef-d’œuvre aux dimensions réduites, une miniature d’une richesse comme concentrée, lovée dans l’écrin intimiste d’un simple piano. Chaque personnage est caractérisé avec finesse et élégance, dans des ariettes brèves mais toujours inventives et colorées, aboutissant à une multitude de portraits, tel un arc-en-ciel. Y avait-il œuvre plus à propos pour permettre, avec des moyens simples et efficaces, aux élèves du Conservatoire de Paris de faire briller leurs talents ?
Dans une scénographie simple et épurée, tirant avantage des contraintes techniques de l’Auditorium du Musée d’Orsay, Emmanuelle Cordoliani sait faire virevolter les figures et les cœurs.
Tout commence avec une leçon de chant, utilisant avec humour le traité d’art vocal écrit par Pauline Viardot elle-même. N’oublions pas qu’elle fut une mezzo d’exception, faisant l’admiration de Meyerbeer, Berlioz, Gounod et Chopin, qui s’inspirèrent d’elle dans leurs compositions et lui dédièrent certaines de leurs créations. Dans cette leçon de beau chant, les deux sœurs de Cendrillon, aussi sottes que peu douées pour la musique, tentent sans succès de mettre en pratique les judicieux conseils énoncés par la compositrice, sous la férule d’une maestra qui n’est autre que la fée, technicienne accomplie, accomplissant roulades, crescendi et suraigus avec une aisance déconcertante, fabuleuse Sabine Devieilhe. Ainsi peut commencer le récit de Cendrillon et son ascension jusqu’au bonheur.
Hilarantes sœurs, affublées de chevelures violettes et de poupées gigantesques leur ressemblant comme deux gouttes d’eau, de Johanna Brault et Hasnaa Bennani, aux voix aussi opposées que complémentaires. Au velours sombre et moiré de la première répond la transparence cristalline de la seconde, notamment dans un duo délicieux, ode à l’élégance et à la séduction.
Immense silhouette longiligne presque inquiétante, Hovhannes Asatryan offre du Baron de Pictordu, père des trois filles, un portrait saisissant, tout en demi-teintes, nostalgique et lunaire, servi à merveille par sa somptueuse voix de basse, profonde et nuancée. Affublée d’un costume extravagant et délirant, Sabine Devieilhe se fait à nouveau remarquer dans son rôle de fée, ici plus proche de la sorcière que du bon ange, totalement déjantée, et se jouant avec toujours la même facilité des ornementations pyrotechniques parsemant sa partie.
Gouailleur et charismatique, le Comte Barigoule, majordome du prince, trouve en Xavier de Lignerolles un interprète au sens théâtral remarquablement affirmé et à la voix solide et aussi bien campée que son personnage.
Prince touchant et charmant, le ténor Chi Zhe, faisant chatoyer la lumière de son timbre, caractérise avec douceur et élégance son personnage d’amoureux.
Et saluons bien bas l’héroïne de ce conte musical, la ravissante Cendrillon, merveilleusement incarnée par Chloé Briot. Aussi convaincante en garçon manqué – on pense irrésistiblement à Oliver Twist – au début de l’œuvre que débordante de féminité et de séduction retenue pendant le bal, elle révèle une pâte vocale magnifique, une technique déjà merveilleusement accomplie et un sens musical d’une infinie richesse. Un nom à suivre, assurément. Heureuse idée que d’avoir inséré, durant le bal, d’autres pièces vocales de la compositrice, permettant à tous de découvrir encore d’autres facettes de son art.
Maître d’œuvre de cette soirée riche en émotions et en sourires, Emmanuel Olivier rend avec maestria toute la richesse mélodique et harmonique dont Pauline Viardot a pourvu sa partition, faisant de cette pièce un véritable opéra de chambre, intime et tendre.
Paris. Auditorium du Musée d’Orsay, le 6 mai 2010. Pauline Viardot : Cendrillon (1904). Opéra comique en 3 actes. Livret de Pauline Viardot. Avec Cendrillon : Chloé Briot ; Le Prince Charmant : Chi Zhe ; Le Baron de Pictordu : Hovhannes Asatryan ; La Fée : Sabine Devieilhe ; Le Comte Barigoule : Xavier de Lignerolles ; Aremlinde : Johanna Brault ; Maguelonne : Hasnaa Bennani. Emmanuel Olivier, direction musicale et piano ; Mise en scène : Emmanuelle Cordoliani. Scénographie : Jane Joyet ; Costumes : Sonia Bosc ; Conception lumière : Bruno Bescheron.
Illustration: Pauline Viardot (DR)