À vingt-cinq ans (1899), Schönberg s’attèle à La Nuit transfigurée (Verklärte Nacht). Encore ancré dans le post-romantisme, il laisse pourtant poindre des audaces harmoniques, qui dépassent ses influences manifestes (Wagner et Brahms), mal comprises par le public viennois. La partition qui est un hymne à l’amour car Arnold Schoenberg est alors tombé amoureux de Mathilde, la soeur d’Alexandre von Zemlinsky – qu’il épousera ensuite. Le jeune compositeur émerdu, saisi, s’inspire de la trame du poème « La Femme et le monde (Weib und Welt) » de Richard Dehmel, ami du compositeur.
Un couple traverse une nuit inquiète, obscur : elle avoue à son amant qu’elle attend l’enfant d’un autre que lui, mais il accepte de faire sien l’enfant à naître – toute la texture musicale évoque les sentiments mêlés : l’angoisse de la femme, l’amour inconditionnel de l’homme – de la peur initiale, au bonheur des deux amants que l’expérience a réunis et rapprochés, la partition du jeune Schoenberg dessine un parcours émotionnel d’une irrésistible sensualité, d’autant mieux réalisée ici pour sextuor à cordes (violons, altos, violoncelle par deux).
Des circonstances tragiques précèdent l’écriture du vaste cycle de lieder Das Lied von der Erde (Le Chant de la Terre) de Gustav Mahler (1908). Il combine un orchestre coloré et deux voix solistes ; c’est un cycle symphonique et lyrique d’une profondeur inédite, à la fois tendre et clairvoyante dont les textes issus de la poésie chinoise ancienne, évoquent l’absence, la solitude, la douleur.
La bouleversante fresque lyrique et orchestrale est composée en une période très éprouvante pour la compositeur juif du début du XXè – le plus grand symphoniste germanique alors avec Richard Strauss. En témoignent les poèmes déchirants sur l’existence et la condition humaine que Gustav Mahler met alors en musique, comme en miroir de sa propre expérience, avec une frénésie extatique, à la fois symboliste et expressionniste ; c’est la partition majeure d’un auteur qui a perdu sa fille, apprend qu’il est viré de ses fonctions comme directeur de l’Opéra de Vienne (alors qu’il y menait une réforme inouïe, tant en terme de répertoire que de conditions nouvelles pour assister aux concerts symphoniques et aux opéras…), c’est aussi l’époque où Mahler, condamné, apprend qu’il est atteint d’un mal incurable aux poumons. Pourtant l’expérience de la souffrance se métamorphose en fin de cycle, en un hymne apaisé vers la délivrance, l’abstraction, un renoncement salvateur… après les ultimes tensions, le lâcher-prise pour un nouvel être, sans contraintes ni ressentiments.
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STRASBOURG, Palais des la musique et des congrès
Le chant de la terre
Vendredi 4 avril 2025, 20h
RÉSERVEZ vos places directement sur le site de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg : https://philharmonique.strasbourg.eu/detail-evenement/-/entity/id/484318010/le-chant-de-la-terre
Programme
Arnold Schönberg
La Nuit transfigurée pour orchestre à cordes
Gustav Mahler
Le Chant de la Terre
ORCHESTRE PHILHARONIQUE DE STRASBOURG
Simon O’Neill, Justina Gringyté, Robert Treviño (direction)
Des gilets vibrants seront mis à disposition à l’occasion de ce concert. Pour la réservation, merci de nous contacter par mail : [email protected]
ou par SMS au 06 84 35 34 99.
Conférence d’avant-concert
Vendredi 4 avril 19h – Salle Marie Jaëll, entrée Érasme
Accès libre et gratuit, dans la limite des places disponibles
Le Chant de la Terre : une symphonie lyrique ? par Étienne Ferrer
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« Symphonie avec voix, le dernier poème musical “L’adieu” fouille ainsi les tréfonds de l’âme atteinte, en quête de reconnaissance comme de structuration intime. Il n’est guère que Dvorak dans son Stabat Mater qui atteint une telle gravité à la fois sincère et lugubre ; d’autant plus bouleversante que le chant de Kaufmann du début à la fin, sait rester jusqu’à la dernière mesure, d’une simplicité allusive, littéralement prodigieuse », par notre rédactrice Elvire James