Orchestre du CNSMD de Lyon
Pascal Verrot, direction
Couleurs de Smetana, Janacek, Chostakovitch et Roussel L’Orchestre symphonique d’un Conservatoire, c’est le lieu de rencontre et le creuset des énergies par excellence : celui du CNSM Lyon, dont le patron est Peter Csaba, travaille pour deux concerts avec le chef d’origine lyonnaise Pascal Verrot, à la carrière marquée par sa rencontre avec Seiji Ozawa. Petit kaléidoscope des couleurs d’Europe Centrale, Orientale et Occidentale au programme…
Lyon, Cnsmd. Salle Varèse
Mercredi 9 et jeudi 10 avril 2008 à 20h30
Le cœur battant de la Bohême
En quelles couleurs mettriez-vous votre jeu d’instrumentistes ? C’est ce que pourrait demander un chef d’orchestre, surtout s’il travaille les partitions d’Europe Centrale, et de ce cœur battant de la Bohême, qui devint Tchéquie et Slovaquie (Tchécoslovaquie) après l’effondrement de l’empire austro-hongrois en 1918. En musique, cela rejoignit au XIXe et au début du XXe, le concept d’école nationale, sans justement perdre des inflexions, des rythmes, des harmonies qui intégrèrent aux idéologies musicales de l’Europe de l’Ouest leur enracinement historique et populaire. C’est là que chante une triade « successive » en chronologie, qui a marqué l’histoire musicale générale, et dont la filiation spirituelle s’accomplit de façon privilégiée par le chant qui prend en relais la parole collective ou plus individuelle, que ce soit donc dans la dimension chorale, instrumentale ou opératique : Smetana, Dvorak et Janacek tour à tour exaltent cette âme de Bohême, son indépendance d’esprit et de sentiment, son tourbillon, son émotion et sa tendresse. A travers les deux extraits d’opéra choisis par l’Orchestre du CNSM pour le concert que vient diriger Pascal Verrot – invité par son chef titulaire Peter Csaba -, c’est aussi cela qui doit « passer », et peut-être parmi les élèves rassemblés dans le corpus instrumental de l’orchestre s’en trouve-t-il certains qui, venus de cette culture, peuvent mieux faire sentir à leurs camarades une couleur à nulle autre pareille, qui provoque nostalgie, admiration et désir de cette beauté palpable. Les deux citations « bohêmes » viennent des opéras les plus connus de leurs auteurs. La Fiancée Vendue (Prodona Vevesta) est symbole de Smetana, de son engagement dans un art de thématiques populaires qui exalte les vertus de la société paysanne tchèque, et au 3e acte, l’air de la jeune fiancée Marenka, temporairement désespérée, précède la happy end consacrant le véritable amour. Dans un registre de tragédie, et au rang des chefs-d’œuvre lyriques du XXe, Jenufa de Janacek est aussi une histoire paysanne de Moravie – la province natale et inspiratrice du compositeur -, un drame familial aux implications psychanalytiques ; l’extrait du 2e acte est l’un des face-à-face qui dans le secret de l’enfant mort opposent la jeune mère Jenufa et la manipulatrice infanticide, sa belle-mère Kostelnicka. Janacek y réalise une fois encore ce qu’il disait de son idéal de musicien et d’humain : « La vie contient quantité de strates et de composantes, et un beau son y aura toujours sa place. La vérité n’exclut pas la beauté. Au contraire, vérité et beauté devraient toujours se côtoyer. »
Gris-bleu glacial de Chostakovitch, océan de Roussel
Et pour le reste du programme, quelles couleurs dominantes ? On pourrait, tout au long du parcours vital de Chostakovitch, imaginer plutôt toutes gradations du sombre, du lointain et du glacial – dans l’exploration de l’infini, extérieur et intérieur. Cette dominante de gris-bleu ardoise est pourtant parfois « réchauffée » : c’est le cas du 1er concerto pour violoncelle écrit en 1959, au sortir d’une de ces dures crises de repliement et parfois de vide qui marquèrent sa vie tourmentée. Le nom de Rostropovitch, étudiant de composition et d’instrumentation dans la classe du compositeur à Moscou, apparaît en pleine lumière avec le geste de dédicace de cette oeuvre en 4 mouvements, avec un temps central de lyrisme mélodique intense. Quant à la 3e Symphonie d’Albert Roussel (1930), cherchez-en aussi la couleur du côté de la « grande rose grise, la mer aux entrailles de raisin » que célébrait Claudel. On sait comment Roussel, officier de marine, célébrait cette matrice du monde et de son inspiration : « Il n’y a rien de plus beau, c’est en face de la mer que nous irons finir nos existences et que nous irons dormir pour entendre encore au loin son éternel murmure. » Mais le compositeur se disait aussi « loin de tout élément descriptif et pittoresque », et c’est donc dans les formes et les matières de la poésie pure que le chef devra faire chercher ses instrumentistes en quête d’interprétation.
De Tokyo à Montréal, les traversées de la culture
Encore que les déplacements se font plutôt aujourd’hui en avion, on peut supposer qu’il est arrivé à Pascal Verrot de traverser l’Atlantique sur un paquebot et de vivre intensément ces moments suspendus… Car ce Lyonnais, aujourd’hui directeur à Amiens de l’Orchestre de Picardie, a beaucoup « bourlingué » non seulement en Amérique du Nord mais en Extrême-Orient, et s’est révélé à lui-même et aux autres par la récompense au Concours de Tokyo, où Seiji Ozawa le remarqua et en fit son assistant à l’Orchestre de Boston. Egalement disciple de Leonard Bernstein, Pascal Verrot a dirigé sept orchestres américains et canadiens et deux japonais, se faisant serviteur des partitions symphoniques mais aussi d’un large répertoire lyrique. Au disque, il a enregistré justement Roussel, un autre « maritime ou en vue de la mer », le Breton Ropartz, Beethoven, Brahms, un opéra de Bernstein, et l’été dernier, deux concertos de Saint-Saëns avec Abdel Rahman El Bacha (éditions Calliope). Nul doute que ses solistes de chant – Delphine Lambert, Elisabeth Croz -, et de violoncelle ( Nicolas Seigle, un autre Lyonnais déjà très « lauré », auteur d’une méthode « pour développer la liberté instrumentale ») sauront entrer dans un dialogue constructif et sensible avec leurs amis instrumentistes de l’Orchestre et un jeune chef dont les vertus de pédagogie font partie d’une force culturelle tranquille et souriante, nourrie par ses contacts avec les sagesses de l’Extrême Orient.
Lyon, Cnsmd. Salle Varèse. Mercredi 9 et jeudi 10 avril 2008. Dirigé par Pascal Verrot, avec Nicolas Seigle, Delphine Lambert, Elisabeth Croz. Bedrich Smetana (1824-1884), La Fiancée Vendue ; Leos Janacek (1854-1928), Jenufa ; Dmitri Chostakovitch ( 1906-1975), 1er Concerto pour violoncelle ; Albert Roussel (1869-1937), 3e Symphonie.
Crédits photographiques: Pascal Verrot (Dr), Albert Roussel (DR); Pascal Verrot (DR)