vendredi 19 avril 2024

Opéra, compte-rendu critique. Tours. Grand Théâtre, le 24 mars 2017. Mitch Leigh / Jacques Brel : L’Homme de la Mancha. Nicolas Cavallier. Didier Benetti /Jean-Louis Grinda

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Opéra, compte-rendu critique. Tours. Grand Théâtre, le 24 mars 2017. Mitch Leigh / Jacques Brel : L’Homme de la Mancha. Nicolas Cavallier, Raphaël Brémard, Estelle Danière. Didier Benetti, direction musicale. Jean-Louis Grinda, mise en scène. On pénètre dans la salle, le rideau est ouvert, les personnages sont déjà sur le plateau, évoluant dans la pénombre. Le spectacle a déjà commencé. Après avoir tourné dans l’Hexagone, après Toulouse, Monte-Carlo et Avignon, la production de L’Homme de la Mancha imaginée par Jean-Louis Grinda fait halte à Tours pour permette au public local de découvrir cette belle comédie musicale. D’avantage comédie – au sens théâtral – que musicale, d’ailleurs. En effet, même si elle est loin d’être indigne, la partition composée par Mitch Leigh ne se révèle pas vraiment passionnante, manquant d’un véritable talent mélodique, et n’évitant pas l’écueil de l’espagnolade de pacotille.

 

 

 

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Une bien beau Chevalier à la triste figure

 

 

 

Malgré tout, on se laisse cueillir par la chanson « La Quête », seul authentique succès de l’œuvre, dont l’émotion à fleur de mots touche toujours au cœur. Les mots, justement, voilà la force de cette pièce. Ceux de Jacques Brel qui, en 1968, a magnifiquement adapté dans la langue de Molière la version originale américaine créée en 1965. Se réservant le rôle-titre, le chanteur belge avait d’emblée senti les liens qui le rattachaient au Chevalier à la triste figure. Et c’est après 150 représentations émotionnellement épuisantes qu’il est contraint d’abandonner le rôle, tant n’existe pour lui aucune frontière ni distance possible avec ce personnage. Dans un cachot de l’Inquisition, Miguel de Cervantes est amené en attendant d’être jugé. Les autres prisonniers le dépouillent et veulent brûler le manuscrit qu’il est en train d’écrire.

 

 

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Alors que l’un d’entre eux, surnommé « le Gouverneur » lui propose un procès, Cervantes suggère à tous une mascarade dans laquelle chacun incarnerait un rôle de son récit et à travers laquelle il pourrait défendre lui-même, en l’incarnant, son personnage principal, Alfonso Quijana, devenu chevalier errant sous le nom de Don Quichotte de la Mancha.
Le héros ayant rendu son dernier souffle et le procès ainsi terminé, l’Inquisition vient chercher Cervantes pour le soumettre à la Question. En les quittant, le poète rappelle à ses compagnons d’infortune que « nous sommes tous des hommes de la Mancha ».
Après avoir déjà monté cette œuvre à Liège avec José van Dam alors qu’il était directeur de la maison wallonne, Jean-Louis Grinda avait souhaité à nouveau confier à des chanteurs lyriques cette musique requérant de vraies voix.
Fidèle au rôle-titre, Nicolas Cavallier incarne avec bonheur ce double – sinon triple – personnage, qu’il sert avec une grande noblesse, tant scénique que vocale, et juste ce qu’il faut d’emphase pour faire naître dans le public un sourire à travers les larmes. Fidèle à ses habitudes, la basse française cisèle le texte avec une précision d’orfèvre et fait chatoyer ce timbre si reconnaissable qu’on retrouve toujours avec le même plaisir. Ainsi on rend les armes lorsque, proche de la mort, l’Homme retrouve peu à peu la mémoire du Chevalier avant d’expirer, scène poignante qui nous tire les larmes.
A ses côtés, le Sancho Pança de Raphaël Brémard remporte tous les suffrages par sa bonhomie attachante, son sens de la comédie et surtout sa superbe voix parfaitement émise qui mériterait décidément des rôles d’une autre importance.
Venant davantage de l’univers de la comédie musicale, Estelle Danière réussit à traduire parfaitement la double facette de son personnage. Dans sa voix de poitrine belt un peu cassée, on devine la cuisinière Aldanza et sa condition difficile, au désespoir si juste devant la vision de Don Quichotte, trop grande pour elle. Tandis que dans sa puissante voix de tête, on entrevoit Dulcinea telle que la devine le Chevalier, fière et resplendissante.
Inoubliable, le Gouverneur de Franck T’Hézan, à la présence scénique gargantuesque, disant son texte en très grand comédien et usant avec art de son étrange mais fascinante voix chantée de ténor.
Excellente Antonia de Ludivine Gombert, toujours superbe Jean-François Vinciguerra dans ses trois apparitions, tout comme la truculente Christine Solhosse en Gouvernante, la fougueuse Maria/Femina d’Eléonore Pancrazi méconnaissable ainsi maquillée ou encore l’hilarant Barbier de Philippe Ermelier et le Padre amusant de Jean-Philippe Corre. Une véritable troupe, en somme, pour rendre justice à ces nombreux et colorés personnages.
Electrisés par une direction d’acteurs virevoltante et superbement costumés, tous évoluent comme une évidence dans la mise en scène simple mais superbe de Jean-Louis Grinda : un décor unique, grand mur circulaire de la prison – renvoyant parfaitement les voix –, un immense escalier amovible révélant côté face la cuisine d’Aldonza, et un rideau de fil séparant le rêve de la réalité tout en permettant des projections telles que les Moulins à vent ou la figure du Chevalier aux miroirs. Que demander de plus ?
Dans la fosse, l’effectif instrumental relativement réduit – des vents, des percussions, pas de cordes à l’exception d’une contrebasse – s’en donne à cœur joie sous la direction experte de Didier Benetti qui connaît cette partition sur le bout de la baguette. Joignant nos applaudissements à ceux d’une salle enthousiaste, on se prend à chanter sur le chemin du retour, ainsi que le chœur vibrant qui referme l’œuvre : « Aimer jusqu’à la déchirure ; aimer, même trop, même mal ; tenter, sans force et sans armure ; d’atteindre l’inaccessible étoile. »

 

 

 

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Tours. Grand Théâtre, 24 mars 2017. Mitch Leigh / Jacques Brel : L’Homme de la Mancha. Livret de Dale Wassermann inspiré du Don Quichotte de Miguel de Cervantes, paroles de Joe Darion. Traduction française de Jacques Brel. Avec Cervantes / Don Quichotte : Nicolas Cavallier ; Sancho Pança : Raphaël Brémard ; Aldonza / Dulcinea : Estelle Danière ; Le Gouverneur / L’Aubergiste : Franck T’Hézan ; Antonia : Ludivine Gombert ; Le Duc / Le Chevalier aux miroirs / Docteur Carrasco : Jean-François Vinciguerra ; La Gouvernante : Christine Solhosse ; Maria / Fermina : Eléonore Pancrazi ; Le Barbier : Philippe Ermelier ; Le Padre : Jean-Philippe Corre. Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire/Tours. Direction musicale : Didier Benetti. Mise en scène : Jean-Louis Grinda ; Décors : Bruno de Lavenère ; Costumes : David Belogou ; Lumières : Jacques Chatelet, réalisée par Cyriel Slama ; Chorégraphies : Eugénie Andrin / Illustrations : © Marie Pétry / Opéra de Tours 2017

 

 

 

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