vendredi 29 mars 2024

Compte-rendu, opéra. Chorégies d’Orange 2018, le 4 août 2018. Rossini: Le Barbier de Séville / Sinivia / Bisanti

A lire aussi

Compte-rendu, opéra. Chorégies d’Orange 2018, le 4 août 2018. Rossini: Le Barbier de Séville / Sinivia / Bisanti. En cette période de Coupe du Monde victorieuse, il est de coutume de dire que la France compte autant de sélectionneurs que d’habitants. Chacun y va de son commentaire sur la tactique menée ou sur le choix des joueurs présents sur le terrain. C’est le même sentiment que nous avons pu ressentir à l’issue de la deuxième et dernière représentation du Barbier de Séville ce soir à Orange. Si il y avait des supporters de la Juventus de Turin en guise de figurants, c’est bien une seule et même équipe qui était sur scène avec comme capitaine le toujours plus charismatique, Florian Sempey.

Une représentation est comme un match, il faut la prendre dans son ensemble et voir ce qui importe le plus : le résultat. Nous ferons donc fi des quelques esprits chagrins entendus en sortant du théâtre antique qui par snobisme ou manque de bienveillance aiment critiquer ou jouer au jeu des comparaisons avec les grandes maisons d’opéra (ici Pesaro ou Paris). Le fameux « c’était bien MAIS… ». L’écrasante majorité du public ne s’y est pas trompé en accordant un triomphe à toute la distribution à l’issue des 2h55 de ce grand spectacle.

 

 

 

Barbier de Séville aux Chorégies d’Orange 2018

FIGARO CRÈVE L’ECRAN

Par notre envoyé spécial Bertrand Balmitgere

 

 

 

barbier-de-seville-orange-choregies-aout-2018-Lopera-Rossini-Choregies-dOrange_0_729_249Car il faut remettre ce Barbier de Séville dans son contexte. Celui d’une renaissance patiente et raisonnée des Chorégies sous la houlette de Jean-Louis Grinda, son nouveau directeur. Donné presque pour mort l’été dernier, voici le festival sur la voie du redressement et à la reconquête des cœurs grâce à une programmation intelligente. Après un formidable Mefistofele de Boito, le Barbier de Rossini se devait à tout prix de transformer l’essai. Commençons par la mise en scène astucieuse d’Adriano Sinivia. C’est toujours un défi que de réussir à occuper intelligemment la scène du théâtre antique. Véritable fierté pour les orangeois, elle n’en demeure pas moins un casse tête pour les metteurs en scène. Non seulement il faut tenir compte des dimensions hors norme de l’endroit ouvert au vent et écrasé par la chaleur de l’été provençal (près de 40 degrés ce jour là) mais il faut offrir au près de 8000 spectateurs étalés sur 50 rangées de gradins en pierre brûlante, une visibilité satisfaisante.

C’est dans cet esprit que Sinivia nous plonge dans l’âge d’or du cinéma italien. C’est la Cinecittà qui s’offre à nos yeux. Tout y est : le Vespa, la Fiat 500, les caméras, les équipes de tournage, les figurants… il ne manque que Fellini ou Germi ! On circule, on change de costume, on filme, ça papote, le soin apporté aux détails est très impressionnant. On se laisse même souvent distraire (pour notre plus grand plaisir) par ce qui se passe en dehors de l’action principale. L’illusion est là et la magie opère le temps des deux actes de l’œuvre. A ce décor s’ajoutaient les traditionnelles projections sur le mur du théâtre antique, ici de Gabriel Grinda. Les gros plans pré-enregistrés des mimiques des acteurs/chanteurs en réponse à certaines actions principales resteront un grand moment. On ne pourra pas dire que cette production manquait d’humour.

Si le côté pratique et crédible du décor plaçant l’action dans une Italie marquée par son après guerre sont indéniables, l’aspect modulable pouvait donner l’impression d’une production « à l’économie » sur ce point. C’est un léger bémol qui ne gâche en rien notre plaisir mais qui donne parfois une impression de vide. Ce choix délibéré renforce d’autant plus l’importance visuelle de ce qui se passe « hors-champ ». Ce postulat se défendant, nous nous contenterons de le relever car cela ne fait que reposer la question d’une si grande scène pour une œuvre qui ne nécessite pas autant d’espace.
Ne perdons pas de vue un élément d’explication plausible. Contrairement à Mefistofele, France Télévision « faisait l’effort » de passer la captation du concert du 31 juillet en deuxième partie de soirée après la énième diffusion d’un programme sur Roberto Alagna. Il est fort possible – qu’en dehors d’un impératif économique – qu’Adriano Sinivia est dû tenir compte de cet élément avec Enzo Iorio en charge des décors. L’œil nu du téléspectateur n’offre pas les mêmes possibilités que les caméras de télévision. Signalons au passage qu’Enzo Iorio assurait le rôle d’Ambrogio. Décorateur, costumier et chanteur, ce dernier cumule les talents. C’est assez inédit pour en faire mention.

Côté distribution justement, évoquons d’entrée le cas de Ioan Hotea car c’est sans doute le rôle qui fera le plus débat. Comment trouver un Comte Almaviva en quelques jours ? Cette question épineuse a dû hanter Jean-Louis Grinda en apprenant le forfait de Michael Spyres. A l’instar d’Elena O’Connor l’an passé dans Aïda, Hotea demeure une belle surprise pour un Lindoro de secours. Sa performance vocale est par moment limitée mais nous ne parlerons pas de déception compte tenu du contexte ; ses talents d’acteur, son dynamisme et son humour communicatif compensent largement. A cela s’ajoute une complicité convaincante avec le Figaro de Sempey (l’épisode du scooter est grandiose !). Si Hotea est lauréat de plusieurs concours internationaux ce n’est pas le fruit du hasard mais d’un talent qui ne demande qu’à s’affirmer avec le temps. Alors laissons-lui le temps de grandir !

barbier-de-seville-choregies-orange-juillet-aout-2018-florian-sempay-critique-opera-par-classiquenewsVenons en maintenant à l’autre membre du tandem le plus célèbre de l’opéra : le Figaro de Florian Sempey. Non seulement c’est déjà un grand chanteur mais sur ce plateau de cinéma, nous avions là un acteur né ! Quel plaisir de le voir sur scène. Son dynamisme, son humour et sa présence ont illuminé cette chaude nuit d’été provençal. C’est tout le théâtre antique qui était sous le charme de Figaro Sempey. Et pourtant tout cela lui semble si naturel ! Sûrement la marque d’une future star française de l’opéra. Nous espérons le revoir très vite à Orange et qui sait peut-être parmi la distribution de Guillaume Tell ou de Don Giovanni l’an prochain ?

Si Sempey est à son aise dans le rôle de Figaro que dire du Bartolo campé par Bruno de Simone. Habitué du rôle, il est tout autant crédible en Bartolo qu’en vieux barbon embourgeoisé des années 50. Même si à l’image de ses petits camarades, il a souffert sur la durée de la chaleur, sa prestation vocale et scénique ne souffre d’aucune comparaison.

Mais la star attendue par beaucoup était Olga Peretyatko... L’étoile montante de la scène lyrique mondiale a beau être une « soprano 2.0 », elle n’en demeure pas moins une artiste intelligente et avisée qui sait faire les bons choix artistiques contrairement à certaines de ses jeunes collègues qui succombent un peu trop vite aux sirènes du star system. Longtemps réticente à l’idée d’endosser le rôle de Rosina, la native de Saint Petersbourg était clairement un ton au dessus et donne avec Florian Sempey toutes ces lettres de noblesse à cette production. Jamais en difficulté, sa Rosina est espiègle et moderne. A tel point que le couple Almaviva-Rosina pouvait sembler déséquilibré !

Nous découvrions également Alexei Tikhomirov dans le rôle de Don Basilio. Quelle stature, à tous les sens du terme ! Sa voix puissante et son expressivité auront sûrement marqué le public. A l’image d’ailleurs du reste de la distribution et des chœurs, tous partie prenante du succès d’estime de ce Barbier.

Pour mener tout ce petit monde, Giampaolo Bisanti à la tête de l’orchestre national de Lyon, affirme un réel talent. Connaisseur du répertoire rossinien, le chef milanais était à son aise dans la fosse improvisée du théâtre antique. Malgré la chaleur celui-ci n’a pas ménagé ses efforts pour maintenir un tempo soutenu mais toujours avec beaucoup de souplesse et de précision. Toujours attentif au moindre détail, Bisanti a su éviter le piège de la démonstration de force tout en maintenant une proximité évidente avec son orchestre et les solistes.

Un bilan donc plus que positif qui nous laisse sur une note d’espoir pour les années à venir. Après les années Duffaut marquées par un manque de renouvellement (six « Aida », cinq « Carmen », cinq « Nabucco »,…), nous espérons que l’ère Grinda continuera sous les mêmes auspices et avec la même audace. Nous avons hâte d’être à l’été 2019 pour assister à ces deux Everest musicaux que sont Don Giovanni et Guillaume Tell. A suivre.

 

 

 

——————————————————————————————————————————————————

Compte-rendu, Opéra. Chorégies d’Orange 2018. Orange. Théâtre Antique, le 4 Août 2018. Gioachino Rossini (1792-1868) : Mélodrame bouffe en deux actes. Livret de Cesare Sterbini, d’après la comédie Le Barbier de Séville, ou La Précaution inutile de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais.
Mise en scène : Adriano Sinivia ; Décors : Adriano Sinivia et Enzo Iorio ; Costumes : Enzo Iorio ; Lumières : Patrick Méeüs ; Vidéos : Gabriel Grinda. Avec : Ioan Hotea, Le Comte Almaviva ; Bruno de Simon, Don Bartolo ; Olga Peretyatko, Rosina ; Florian Sempey, Figaro ; Alexeï Tikhomirov, Don Basilio ; Annunziata Vestri, Berta ; Gabriele Ribis, Fiorello ; Enzo Iorio, Ambrogio.
Chœur du Grand Opéra Avignon, direction : Aurore Marchand ; Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo, direction : Stefano Visconti. Orchestre national de Lyon; direction musicale : Gianpaolo Bisanti.

 

 

 

 

 

 

- Sponsorisé -
- Sponsorisé -
Derniers articles

CRITIQUE, opéra. PARIS, Théâtre des Champs-Elysées, le 26 mars 2024. LULLY : Atys (version de concert). Les Ambassadeurs-La Grande Ecurie / Alexis Kossenko (direction).

Fruit de nombreuses années de recherches musicologiques, la nouvelle version d’Atys (1676) de Jean-Baptiste Lully proposée par le Centre...
- Espace publicitaire -spot_img

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img