au Moyen Age
On oublie qu’à Ambronay, il y a certes le Festival de musique ancienne, baroque, et contemporaine, à chaque automne, mais aussi le Centre Culturel de Rencontre (CCR) qui sous la houlette d’Alain Brunet, demeure l’un des plus actifs et l’un des plus anciens pôles de recherche scientifique. Ce livre en témoigne indiscutablement, qui offre à nouveau, une superbe illustration éditoriale de la thématique centrale, « musique et sacré« .
Isabelle Battoni, directrice des éditions Ambronay a supervisé cette publication, exemplaire à maints titres. Le sujet dévoile la fécondité du dialogue (musical) entre art et pensée théologique au bas Moyen Age, entre le XIV et le XVème siècle, en particulier en France et dans le Sud des Pays Bas… car comme le précise les superviseurs de la publication, il s’agit moins de globaliser une pensée que d’en dévoiler, de façon incomplète mais emblématique, la diversité des aspects. Il s’agit de suivre les manifestations musicales d’une réflexion en mutation: sur quel courant d’opinion, l’écriture des compositeurs s’appuie-t-elle? En quoi les partitions connues reflètent-elles précisément les débats et les polémiques des théologiens? Rien n’est plus indicible que la notion de foi, de ferveur, que l’expression du sacré dans toutes ses formes.
Cet « irrationnel » a cependant été au coeur de la création musicale dans la période qui nous occupe. En contrepoint à la foisonnante activité des peintres contemporains, les musiciens ne sont pas en reste, témoignant, prenant parti, synthétisant aussi à leur mesure la vitalité de la pensée religieuse aux XIV et XVème siècles. 7 chapitres argumentés (et subtilement illustrés) explicitent de nombreuses problématiques. Vasco Zara ouvre et ferme la diversité des interventions polémiques, inscrivant l’étendue du champs investi entre Nicolas Oresme et Erasme, soit un siècle et demi: de la croyance dans les chiffres du premier, au doute fondamental (dans le sillon de l’échec augustinien?) d’Erasme…
Toute création, découlant d’un milieu intellectuel qui en inspire la profondeur poétique et la recherche d’analyse, porte symboliquement les éléments clés d’un système à décrypter. D’où une part essentielle du symbolisme dans les oeuvres de Johannes Ockeghem, ou de Josquin des Prés, en particulier dans son oeuvre dédié à la Vierge. C’est tout le mérite des textes ici réunis, sous le pilotage de Philippe Vendrix, grand spécialiste de l’esthétique de la Renaissance que de nous plonger au coeur de la création des musiciens du Moyen Age. Pour les hommes fervents de ces siècles passés, la musique, sous l’influence des grands penseurs et théologues, théoriciens communicants de l’époque dont la figure centrale au XVème, de Johannes Tinctoris, permet d’exprimer la perfection divine (par les oreilles de l’esprit): la musique fait entendre l’idée d’un Dieu intelligible. Sons célestes, mysticismes des chants davidiques (Psaumes), cantus ou chant sensible, musica abstraite, véhicule et cadre propice aux actes de contemplation… sont autant de manifestations complexes et fascinantes auxquelles les textes édités apportent, dans cet ouvrage capitale pour tous les amateurs de musique médiévales, un élément de réponse… par le texte et par l’image.
Musique, théologie et sacré, d’Oresme à Erasme. Ouvrage collectif sous la direction de Philippe Vendrix et Annie Coeurdevey. Editions Ambronay. 336 pages.
Illustration: Robert Campin, La Trinité (DR). Robert Campin est l’un des nombreux peintres illustrant les textes de l’ouvrage « Musique, théologie et sacré, d’Oresme à Erasme.