samedi 26 avril 2025

MUSIQUE ENGAGÉE. REPORTAGE à SAINT-DENIS : ANTOINE LANDOWSKI et les 3 saisons de la Plaine…

A lire aussi

logo-carreREPORTAGE à SAINT-DENIS : ANTOINE LANDOWSKI et les 3 saisons de la Plaine… Dans un esprit village, le violoncelliste Antoine Landowski poursuit une initiative musicale et citoyenne depuis l’église Saint-Paul Saint-Louis de la Plaine Saint-Denis. Une forme de concerts proche des publics, soucieuse d’explication et de sensibilisation… pour que classique rime avec pratique et magique. Bilan sur un exemple de démocratisation sereine et permanente dans le 9.3. En un geste ouvert, généreux, décomplexé, l’instrumentiste a su prendre en compte les attentes et les besoins d’une population éclectique (des résidents souvent peu familiers du classique aux salariés de passage, confinés dans les entreprises), soit une multiplicité pourtant curieuse de découvertes et de plaisirs en musique… Par notre grand reporter Marcel WEISS.

 

 

 

A SAINT-DENIS, une offre musicale exemplaire…
Les 3 Saisons de la Plaine : De fertiles moissons

 

 

dig

 

 

Violoncelliste du Trio Chausson qu’il fonde en 2001, Antoine Landowski tourne régulièrement en Europe et… dans son quartier, la Plaine Saint-Denis, où il vit depuis neuf ans. Edifiée en 2014, à deux pas du Stade de France, l’église Saint-Paul de la Plaine lui propose d’y organiser des concerts. Résolument moderne, œuvre de l’architecte Patrick Berger, elle semble déjà par elle-même appeler la musique avec sa forme hélicoïdale, « en goutte d’eau », convergeant vers le chœur et sa baie ouverte sur un jardin abrité du tumulte ambiant d’un quartier, une ancienne banlieue ouvrière métamorphosée en un quartier d’affaires et de résidences, une véritable fourmilière humaine : 15.000 habitants, auxquels s’ajoutent chaque jour 30.000 employés. Il n’était pas question pour Antoine Landowski d’envisager des concerts « ordinaires » dans un quartier aux populations si disparates : « Jouer la carte du concert pour le concert ne m’intéressait pas, il fallait que la musique remplisse pleinement son rôle social, tant auprès des salariés de passage que des habitants et de leurs enfants ».

6 TRIPTYQUES ANNUELS : une nouvelle offre de concert

Tombé amoureux d’un quartier où il a choisi de vivre avec sa famille, Antoine Landowski souhaite offrir à des habitants rechignant à ressortir de chez eux après leur journée de travail une activité culturelle de qualité à proximité de leur domicile : « La plupart n’auraient jamais eu l’idée autrement de franchir le seuil d’une salle de concerts. Nous leur proposons des programmes très accessibles, bâtis autour des « tubes » de la musique classique, et les quelques clefs d’écoute nécessaires à leur compréhension. »

Autre public à convaincre, celui d’employés confinés dans leurs entreprises, vivant plus ou moins bien leur délocalisation à la Plaine Saint-Denis. Un pari plutôt réussi selon Antoine Landowski : « Le temps d’une pause-concert, ils découvrent un quartier des plus attachants, à l’image de ses habitants. De plus en plus nombreux, ils nous manifestent leur satisfaction à quitter leur lieu de travail pour partager un agréable moment musical. »

 

 

 

 

 

A ces différents publics, « Les 3 Saisons de la Plaine » proposent, six fois par an, trois concerts gratuits dans une journée, le matin pour les élèves des écoles du quartier, le midi pour les salariés des entreprises et le soir pour les habitants, et notamment les familles des enfants participant au concert du matin, issus des ateliers organisés par l’association dans deux écoles de la Plaine, la maternelle des Drapiers et l’école élémentaire Gutenberg, dans le
cadre du projet pédagogique de ces dernières. Ateliers animés tout au long de l’année par divers intervenants choisis et rétribués par « les 3 Saisons de la Plaine » – notamment des Dumistes issus des CFMI -, ateliers d’éveil musical, de chant choral, de danse, de djembé, etc.
Des ateliers qui pourraient concerner également dès l’an prochain des collèges du quartier. Autre école concernée au premier chef par ces concerts, l’EICAR, école de cinéma et de télévision située à la Plaine, assure avec ses étudiants la captation de l’événement.

 

 

dig

 

 

UNE MEDIATRICE ENGAGÉE… Elément essentiel au croisement des ces différentes activités, une médiatrice musicale, Camille Villanove, fournit les clés d’écoute, tant aux enfants qu’aux adultes. Elle a été séduite par un projet de sensibilisation artistique visant à la transmission et à la démocratisation de la musique, touchant au cœur-même de son métier.
Elle est chargée de la préparation des classes pour le concert du matin et de la rédaction des programmes : « Etre médiatrice de la musique, c’est être comme un guide dans un musée, sauf que je conduis les enfants au concert et non à un tableau, je conçois mon intervention comme le tapis rouge, qui les mène à la musique. »

Ce matin-là, le 16 mai dernier, cinq classes de maternelle affluent dans l’église dans un joyeux brouhaha, encadrés par des maitres qui leur font d’ultimes recommandations : « Ne hélez pas les musiciens ! », « Attendez la fin de la musique pour applaudir ! », « Vous êtes libres de ne pas aimer et de le dire », « Si vous préférez, vous pouvez fermer les yeux ».

Sur scène, Camille Villanove assure le lien entre ses séances de préparation en classe et l’entrée dans l’écoute musicale. Elle fait appel à l’imaginaire des enfants en leur faisant trouver les mots, les sons et les images correspondant à leurs émotions. Cela peut prendre la forme d’une chorégraphie ou d’un chant, comme celui improvisé autour du thème principal de la sonate « Regen » de Brahms, transcrite pour violoncelle : « Tombent, tombent, gouttelettes… »

Même souci de préparer l’écoute musicale dans le programme distribué aux concerts, conçu sous forme d’entretiens imaginaires avec les compositeurs, et prolongé par des conseils d’écoutes complémentaires des interprètes.

Le pianiste Gaspard Dehaene et le violoncelliste Damien Ventula, prennent le relais de Camille Villanove pour une brève présentation aux enfants des instruments et des œuvres au programme, les Sonates de Brahms et Debussy, dont ils jouent ensuite des extraits. Suscitant des réactions spontanées. Brahms ? : « Ca fait dormir ». Debussy ? : « Ca m’a fait peur ».

Tous deux recherchent et savourent ces moments privilégiés de partage avec un public vierge, sans a priori. Pour Gaspard Dehaene, « C’est s’embarquer dès le matin dans une aventure, au lieu de penser exclusivement au concert du soir. Je saisis toutes les occasions de communiquer. Il ne faut pas craindre d’avoir à s’exprimer, à propos de son instrument ou de son programme. Cela peut éveiller la sympathie du public, favoriser sa prédisposition à l’écoute. Concernant les enfants, Il n’est pas forcément facile de les garder concentrés, de les intéresser par nos propos puis de passer sans transition au jeu proprement dit. »

Une relation de proximité familière à Damien Ventula, acquise lors de ses études à Boston, qu’il s’agisse de présenter un concert ou de faire œuvre de pédagogie : « C’est toujours intéressant de faire découvrir la musique à des enfants, par le dialogue, mais rien ne remplace le contact direct avec les musiciens. »

Même désir de partage, de faire rayonner la musique en tout lieu, chez la pianiste Claire-Marie Leguay, qui a adhéré d’enthousiasme au projet des « 3 Saisons de la Plaine » : « Je trouve ce projet magnifique, de par sa volonté de diversification des publics, avec ces trois concerts en une seule journée. Mais chacun est unique, et la relation avec chaque public est différente. C’est passionnant, mais sans doute trop dense pour le musicien, qui doit à trois moments d’une seule journée mobiliser une concentration, une énergie nouvelle, notamment pour capter l’intérêt des enfants. Tout ce qui peut éveiller leur attention est important, mais en respectant leur imaginaire, notre rôle consiste à leur ouvrir les portes. »

 

 

PERENNISER LE PROJET DANS UN CONTEXTE FRAGILE… Antoine Landowski bâtit chacune de ses saisons en variant formations et programmes. Le violoncelle figure évidemment en bonne place, de même que le piano et le quatuor à cordes, aux côtés de l’orchestre Divertimento de Zahia Ziouani – interprète du Magnificat de Vivaldi avec une chorale d’entreprise Orange voisine -, régulièrement invité depuis deux ans, et de formations plus inhabituelles comme, cette année, le quatuor de saxophones Elipsos. Autre moment fort de la saison : un programme d’opéra italien avec une chorale scolaire du voisinage.

Le choix de la gratuité des concerts facilite de fait la gestion d’une association viable uniquement grâce au bénévolat de ses équipes. Seuls les musiciens et les intervenants en milieu scolaire sont rétribués. Jusqu’à ce jour, « les 3 Saisons de la Plaine » sont en équilibre, grâce essentiellement à l’apport de ses multiples sponsors, des fondations d’entreprise de la Plaine. Un équilibre fragile remis en cause aujourd’hui par la suppression, en janvier 2018, de la réserve parlementaire – naguère ballon d’oxygène de nombre d’associations culturelles. D’où le cri d’alarme lancé par Antoine Landowski en cette fin de saison et la souscription qu’il lance.

Malgré cette menace, il continue de former des projets, notamment de collaboration avec la future université, le Campus Condorcet – 5000 étudiants et chercheurs – qui va ouvrir ses portes en septembre prochain.

Transmettre résonne comme un leitmotiv pour le celliste. Un engagement dans la cité dans la droite ligne des convictions de son grand-père, Marcel, qui déclarait : « La musique fait partie intégrante de l’éducation, car elle est un des éléments de base de la culture humaine ».

 

 

Par notre grand reporter, Marcel Weiss pour © CLASSIQUENEWS 2019

 

 

 

________________________________

 

APPROFONDIR

VISITER le site de l’association de concerts Les 3 SAISONS DE LA PLAINE

Derniers articles

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img