jeudi 18 avril 2024

Montpellier. Opéra Comédie, le 5 mars 2017. Gioachino Rossini : Armida. Karine Deshayes, Enea Scala, Edoardo Milletti, Dario Schmunck. Michele Gamba, direction musicale. Mariame Clément, mise en scène

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Karine Deshayes, cantatesMontpellier. Opéra Comédie, le 5 mars 2017. Gioachino Rossini : Armida. Karine Deshayes, Enea Scala, Edoardo Milletti, Dario Schmunck. Michele Gamba, direction musicale. Mariame Clément, mise en scène. Karine Deshayes s’orienterait-elle enfin vers les rôles de soprano ? Avouons-le, nous n’avions jusqu’à présent jamais été pleinement convaincus par les incarnations en mezzo de la chanteuse française, tant la couleur comme le centre de gravité de sa voix nous semblant appeler des tessitures plus aigües. Et ce malgré tout le talent et la musicalité de l’artiste. C’est donc avec un grand bonheur que nous avons joint nos bravi enthousiastes – et c’est un euphémisme – à ceux de toute la salle, saluant ainsi ce qui nous apparaît, en cette dernière d’Armida à Montpellier, comme une seconde naissance pour la cantatrice. Pour la première fois – à nos oreilles, tout du moins –, Karine Deshayes paraît chanter dans sa véritable vocalité, et jamais l’instrument n’a sonné si beau, si lumineux, si glorieux. Toute la soirée durant, la chanteuse monte en puissance, pour culminer dans une scène finale bouleversante d’émotion à fleur de notes et électrisante d’impact sonore, aigus puissamment dardés et vocalises vengeresses.
Reconnaissons, pour être parfaitement honnêtes, que le rôle-titre exige une largeur dans le bas-médium que la mezzo/soprano (rayer la mention inutile) ne possède pas tout à fait – d’autant plus que la chanteuse utilise le moins possible son registre de poitrine – et que l’extrême grave, comme séparé du reste de la voix, manque de liberté pour sonner pleinement. En outre, l’agilité, pourtant assumée avec une intrépidité impressionnante, pourrait encore gagner en précision, pour devenir véritablement « di forza » et acquérir un poids dramatique qui lui manque un peu parfois.

 

 

 

Armida de Rossini OONM 6@ Marc Ginot

 

 

 

Karine Deshayes en pleine lucarne

 

 

Mais la justesse de l’incarnation et l’arrogance du reste de l’instrument, notamment les notes hautes qui emplissent la salle jusqu’à saturation, emportent tout sur leur passage et nous laissent littéralement enchantés par les sortilèges de cette magicienne qui ouvre de nouvelles et passionnantes perspectives pour Karine Deshayes.

 
 

deshayes-karine-opera-classiquenews-Armida-de-Rossini-OONM-15@-Marc-Ginot

 
 

A ses côtés, Enea Scala éblouit par sa maîtrise du rôle terrible de Rinaldo, progressant chaque jour un peu plus dans sa compréhension du vocabulaire belcantiste. Nous le considérions davantage comme un bellinien ou un donizettien, il se révèle également excellent rossinien, affrontant avec une aisance remarquable les vocalises qui parsèment sa partie et ornementant à plaisir sa ligne de chant. Plus encore, il crée la surprise en balayant pleinement toute la tessiture du rôle, notamment dans le trio ténoral du troisième acte, où il dévale plus de deux octaves comme sans y penser, passant sans sourciller d’un contre-ut cinglant à un la bémol grave parfaitement souple et sonore ! Si sa couleur vocale n’est pas exactement celle du baryténor exigé, toutes les notes sont là, plus faciles même que chez certain titulaire de ce type d’emplois aujourd’hui.
L’aigu et le suraigu étonnent toujours par leur émission comme serrée, presque excessivement concentrée, mais d’une efficacité spectaculaire, les notes traversant l’orchestre comme de véritables rayons laser.
Il est superbement secondé par le jeune Edorado Milletti dans le double rôle de Gernando et Ubaldo, ainsi que par l’argentin Dario Schmunck, incarnant Goffredo et Carlo.
Le premier offre à entendre un beau médium et un aigu habilement mixé, plutôt percutant. Il se tire avec les honneurs de sa scène du premier acte et de ses agilités redoutables, mais il gagnerait à travailler encore la souplesse de sa voix pour pouvoir jouer dans la cour des grands.

Le second éblouit par son émission mordante, idéalement placée, magnifiant un beau timbre ambré, et darde de nombreux contre-uts insolents d’éclat et de facilité. Et s’il n’est pas véritablement rompu aux arcanes de Rossini, sa partie est moins virtuose que celle de ses deux compères, lui permettant ainsi de briller pleinement.
On atteint une sorte d’apogée dans l’hédonisme vocal avec la scène les réunissant tous trois, chacun paraissant défier ses partenaires en faisant assaut de virtuosité et d’aigus : il y a quelque chose de profondément jouissif à entendre, dans une salle aux dimensions finalement assez réduites, trois ténors qui concluent leur trio en claironnant joyeusement un contre-ut à l’unisson !
Pour parachever ce très beau plateau, Giuseppe Tommaso, le quatrième ténor de l’affiche, fait une superbe impression malgré l’importance réduite de ses interventions, grâce à ses premières phrases, superbement chantées ; ainsi de Daniel Grice qui fait sonner sa belle voix de baryton-basse, seule clef de fa de la partition.
Chœurs et orchestres sont à l’avenant, dans un bon jour, et rendent justice à la musique du cygne de Pesaro, grâce à la direction attentive de Michele Gamba qui sait accompagner les chanteurs sans les couvrir et les pousser à se dépasser aux moments voulus.

 

 

Reste la mise en scène de Mariame Clément, qui semble n’avoir pas été inspirée par cette œuvre où l’intrigue ne sert qu’à mettre en valeur les voix.
Cherchant une correspondance actuelle aux figures chevaleresques légendaires, elle a assimilé les Croisés à des joueurs de football, Rinaldo (« le Ronaldo des croisades » peut-on penser en voyant ces allusions au sport du ballon rond) enfilant le maillot n°10, celui de Zinédine Zidane, et terrassant son ennemi… d’un coup de boule en pleine poitrine, comme durant la Coupe du Monde 2006.
Cette imagerie n’apporte pas grand-chose, finalement gratuite, comme l’est la poupée gonflable qui passe de main en main parmi les chevaliers au lever du rideau. Seul le traitement volontairement kitsch du deuxième acte fonctionne à peu près, traité comme dans un rêve, même si on est loin des charmes ensorcelants qu’évoque la musique. Et on finit par adhérer à cette Armida devenue femme et humaine en même temps qu’amoureuse, qui retourne tristement à sa condition de magicienne, symbolisée par sa longue robe fushia qui lui est rendue, après le départ de Rinaldo.
Une image finale forte, qui achève en beauté la prise de rôle de Karine Deshayes, la première, on l’espère, d’une longue série dans le répertoire de soprano. Pari tenu ?

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Montpellier. Opéra Comédie, 5 mars 2017. Gioachino Rossini : Armida. Livret de Giovanni Schmidt d’après La Jérusalem délivrée du Tasse. Avec Armida : Karine Deshayes ; Rinaldo : Enea Scala ; Gernando / Ubaldo : Edoardo Milletti ; Goffredo / Carlo : Dario Schmunck ; Idraote / Astarotte : Daniel Grice ; Eustazio : Giuseppe Tommaso. Chœurs de l’Opéra National Montpellier Occitanie ; Chef de chœur : Noëlle Gény ; Orchestre National Montpellier Occitanie. Direction musicale : Michele Gamba. Mise en scène : Mariame Clément ; Reprise de la mise en scène : Jean-Michel Criqui ; Décors et costumes : Julian Hansen ; Lumières : Bernd Purkrabek.

/ illustrations : © M. Ginot
 

 

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