Mikhail Simoyan, de Novosibirsk
Le Concerto pour violon de Samuel Barber composé en 1940 est l’un des plus intéressants Concerto du XXè; injustement méconnu comme beaucoup d’oeuvres modernes dont l’heure viendra inéluctablement surtout si les interprètes savent le repérer et le défendre avec la sensibilité requise. Barber l’appelait son concerto da sapone, référence à l’activité du riche industriel de Philadephie, Samuel Fels, qui avait fait fortune dans le savon… et en passa commande pour son fils adoptif, le jeune violoniste russe Iso Briselli (élève au Curtis Institute)…
C’est l’époque où l’Europe plonge dans l’horreur de la guerre; Barber en villégiature sur le vieux continent avec son compagnon GianCarlo Menotti sont surpris par l’invasion de la Pologne quand le compositeur reçoit la commande du Concerto. La composition est emportée par un sentiment d’urgence car les conditions pour livrer sa partition ne sont pas idéales du moins sereines: d’autant que le Philharmonique de Philadelphie et son chef Eugène Ormandy ont confirmé la création du Concerto pour violon en janvier 1940… A la livraison, Briselli se désengagea du projet sous des motifs encore imprécis. Le Concerto fut néanmoins créé en février 1941 à Philadelphie, avec Albert Spalding, sous la baguette d’un Ormandy, certainement dépassé par l’intensité suractive de l’orchestration, en particulier dans le 3è mouvement (il demanda à Barber de l’alléger).
D’emblée, la tendresse allante du premier mouvement (sol majeur) portée le tissu très lyrique de l’orchestre inspire au violoniste et au chef une complicité intérieure d’un allant irrésistible.
La sensibilité de Mikhail Simonyan se dévoile dans l’Andante (mi majeur) qui joue sur les couleurs mordorés, cuivrés, chaudes et parfois martiales de l’orchestration (cor, flûte…). L’orchestre réalise un tapis somptueusement coloré pour le chant du violon d’une ivresse solaire (rhapsodique) et amère à la fois, tendre et nostalgique… en cela toujours proche du chant; le violoniste sait exprimer toute l’humanité d’une section qui touche par sa simplicité, sa sincérité. La partition n’est jamais absente d’une certaine tension inquiète, ressentiment nouveau dans l’écriture du Barber trentenaire. Mais le violoniste sait en sertir avec une intériorité mesurée le climat de nimbe suspendu, même de rêverie éveillée.
Le dernier mouvement en forme de perpétuel frémissant (d’une accentuation percussive et nerveuse, même frénétique… en écho aux événements européens contemporains?) est joué ici avec une retenue et un tempo moins nettement rapide (comme c’est l’usage) afin de déployer une coloration américaine explicitement populaire dans le jeu violonistique, comme le précise Mikhail Simonyan… La tenue d’archet doit être souple et précise, d’une suractivité quasi martelé, entêtante, fougueuse (suite de triolets puis retour du violon en doubles croches presque acides)… le geste de l’orchestre est aussi délicate que la prestation soliste (traits incisifs et conclusifs des cuivres entre autres). Le chef sait tendre l’action flamboyante de ce volet tout en restant soucieux des timbres. C’est l’une des partitions les plus intenses et protéiformes de Barber, doué d’un talent admirable des coupes rythmiques à la Prokofiev. Saluons le jeune violoniste de nous en offrir une version aussi inspirée. Reste à découvrir le virtuose en concert: un tournée internationale en Turquie, aux USA mais aussi en Arménie, sa patrie, en Croate et jusqu’au Danemark en passant par l’Allemagne; hélas pas encore de dates françaises. On les guette déjà avec impatience.
Two souls. Mikhail Simonyan, violon. Aram Khatchaturian, Samuel Barber: Concertos pour violon et orchestre. London symphony orchestra. Kristjan Järvi, direction. 1 cd Deutsche Grammophon ref 00289 477 9827. Enregistré à Londres en juin 2011. Parution: le 23 janvier 2011.