vendredi 29 mars 2024

Metz. Opéra-Théâtre, le 30 septembre 2012. Mozart : Die Zauberflöte. Valérie Condoluci, Sébastien Droy, Guillaume Andrieux… Jacques Mercier, direction. Daniel Mesguich, mise en scène

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Daniel Mesguich rêvait depuis longtemps de montrer sa propre vision de la Flûte Enchantée de Mozart, Paul-Emile Fourny, nouveau directeur de l’Opéra-Théâtre de Metz depuis un an, lui en a offert l’occasion. Pour un résultat en tous points… fascinant.


L’érotisme enchanté de la Flûte

C’est à travers une ode à la sensualité, à l’érotisme et au sentiment amoureux que Mesguich peint le déroulement de l’histoire. Pour lui, le couple originel n’est autre que celui, déchiré, formé par Sarastro et la Reine de la Nuit. Et toutes les aventures que vivent les personnages ne suivent qu’un but : celui de reformer cette double unité brisée. En effet, dans la Flûte, chacun cherche sa moitié, celle qui donnera un sens à sa vie.

Pour servir cette lecture troublante et passionnante, le metteur en scène a imaginé trois castelets mobiles, avec leurs rideaux rouges, au cœur desquels palpite une vie : un exemple parmi d’autres, durant l’air du portrait de Tamino, on voit dans l’un d’eux Pamina enchaînée qui appelle à l’aide dans un cri muet. Ou pendant le second air de Papageno, chacun dévoile un couple, correspondant chacun à une des trois strophes de la musique.

Tricéphales également, les nymphes nues sans visage, qui représentent le désir qui anime nos personnages. Ce sont elles qui manipulent les trois Dames durant leur premier trio, lorsqu’elles tombent amoureuses de Tamino au premier regard. Cette scène est d’ailleurs l’une des plus belles de la production, suivant au plus près la partition jusque dans les points d’orgues, les silences et les reprises du thème. Rarement on a vu aussi clairement l’écriture musicale rendue palpable scéniquement.
Autre idée superbe de Mesguich : faire vivre des doubles – parfois des triples –des principaux personnages. Tamino et Pamina sont ainsi omniprésents sur le plateau et soulignent avec force le propos musical et les tensions sous-jacentes.

Ces comédiens souvent muets – mais parfois certaines répliques des personnages leurs sont données – permettent des images d’une puissance dramatique spectaculaire : on se souviendra longtemps de cette Pamina désespérée, faisant face à trois Tamino lui tournant le dos, rendant son air plus poignant encore. Une autre surprise : celle de faire des trois Garçons des créatures hermaphrodites, hommes en bas, femmes en haut, leurs attributs cachés par un simple voile, ce qui donne à leur présence un érotisme troublant.
Certains tableaux subjuguent par leur seule beauté plastique, notamment le début du second acte, où les initiés – tous roux – se retrouvent avec, au-dessus d’eux, une forêt de costumes de scènes suspendus, tous somptueux, véritable déclaration d’amour au théâtre et à la scène.

Le seul regret qu’on peut formuler tient au fait que la sensualité développée durant le premier acte soit un peu moins défendue au second, et l’interrogation qui nous reste tourne autour du personnage de Monostatos, pourtant la figure de l’œuvre la plus dévorée par le désir charnel, qui semble n’avoir pas intéressé le metteur en scène.

Mais cette production reste l’une des plus belles qu’il nous ait été données de voir, pour sûr la plus élégante, ainsi que l’est le travail de Daniel Mesguich.
A la tête de l’Orchestre National de Lorraine, Jacques Mercier se fait l’écho de la scène avec une direction très opulente, tirant des musiciens une pâte magnifique, un vrai sens du phrasé et des contrastes, avec un travail minutieux sur la partition évident, pour un résultat éclatant de bout en bout et d’une grande tenue musicale.
On ne peut également que saluer une très belle distribution.
Valérie Condoluci nous offre une Pamina volontaire et très engagée, à la voix puissante et corsée, qui s’affirme ainsi avec force dans les moments dramatiques, mais également capable d’allègements superbes, ce qui nous vaut un « Ach ich fühl’s » qui tire les larmes.
Son Tamino, Sébastien Droy, lui aussi scéniquement très impressionnant, se tire avec les honneurs de ce rôle moins évident qu’il y paraît. Néanmoins, le placement un peu engorgé de sa voix rend l’instrument un peu mat de sonorité, alors qu’une place plus haute et plus claire lui permettrait davantage de rayonnement et des nuances plus flottantes.
Le Papageno de Guillaume Andrieux se révèle l’un des plus originaux qu’il nous ait été donnés de voir, un brin mélancolique et lunaire. Le comédien est épatant, d’une aisance confondante et d’une vraie virtuosité scénique. Le chanteur révèle quant à lui de belles qualités de timbre et de musicalité… quand il n’essaye justement pas de jouer au chanteur et au baryton. Dès qu’il se laisse guider par le texte et la ligne mélodique, sa voix éclate dans tout son naturel et laisse entrevoir des beautés qu’il ne donne à entendre que furtivement.
Eugénie Warnier lui est délicieusement appariée en Papageno et ils forment un couple irrésisitible.

On retrouve avec un plaisir non dissimulé la toujours spectaculaire Aline Kutan dans le rôle de la Reine de la Nuit. Elle subjugue toujours autant par son aisance absolue dans ce rôle terrifiant. Le premier air voit sa première partie superbement ciselé jusque dans les nuances, et les vocalises de la seconde sont déroulées avec précision et facilité, jusqu’à un contre-fa toujours adamantin et percutant.
Le second air la trouve dans une forme encore supérieure, avec des suraigus parfaits, une ligne de chant exceptionnelle malgré la fureur de la musique, et un investissement dramatique qui habite chacun des mots et les fait claquer comme jamais. Mesguich n’est sans doute pas pour rien dans ce travail. Tout au plus peut-on regretter que la flamboyante souveraine reste, du moins jusqu’à sa dernière apparition, perchée sur son castelet et n’interagisse pas physiquement avec les personnages.

Le Sarastro de Philippe Kahn impressionne par la profondeur de sa voix de basse profonde, avec les authentiques moyens requis par la partition, mais on ne peut que déplorer que son émission un peu grossie et élargie rende les mots souvent opaques, notamment une voyelle i symptomatique par un manque de concentration et de rayonnement. Davantage de clarté et de hauteur de place rendraient sans doute cette voix rare plus belle encore.
On admire également les deux trios, magnifiquement choisis et à l’harmonie vocale rare, dont se détache la troisième Dame de Marie Gautrot, à l’autorité dans la déclamation impressionnante. Mention spéciale également pour Monostatos à la grande voix percutante de Valentin Jar.

Le chœur de l’Opéra-Théâtre de Metz mérite également tous nos applaudissements pour leur travail remarquable de précision et d’homogénéité.
Et on quitte la salle sous le charme de ce spectacle total, les yeux pleins d’une mise en scène unique ; Daniel Mesguich sait construire des tableaux forts et mémorables, comme, cette dernière image de Sarastro et la Reine de la Nuit main dans la main après s’être enlacés, véritable réconciliation du Jour et de la Nuit, véritable retrouvailles de l’Homme et de la Femme.

Metz. Opéra-Théâtre, 30 septembre 2012. Wolfgang Amadeus Mozart : Die Zauberflöte. Livret d’Emmanuel Schikaneder. Avec Pamina : Valérie Condoluci ; Tamino : Sébastien Droy ; Papageno : Guillaume Andrieux ; La Reine de la Nuit : Aline Kutan ; Sarastro : Philippe Kahn ; Papagena : Eugénie Warnier ; Première Dame : Florina Ilie ; Deuxième Dame : Marion Lebègue ; Troisième Dame : Marie Gautrot ; L’Orateur : Alain Herriau ; Monostatos : Valentin Jar : Premier enfant : Léonie Renaud ; Deuxième enfant : Catherine Trottmann ; Troisième enfant : Sylvie Bedouelle ; Le Prêtre : Alain Gabriel
Les comédiens : Geoffrey Becker, Marie Billet, Chloé Bolzinger, Johanna Classe, Fabien Di Liberatore, Morgane Klein, Romain Laurent, Ellénore Lemattre, Morgane Peters, Régiane Reimers, Aline Rollin, Camille Valeri, Gwenaëlle Vaudin, Marie Wanziniack-Noël. Chœur de l’Opéra-Théâtre de Metz. Direction : Jean-Pierre Aniorte. Orchestre National de Lorraine. Jacques Mercier, direction musicale ; Mise en scène : Daniel Mesguich. Collaborateur à la mise en scène : Sébastien Lenglet ; Scénographie et costumes : Frédéric Pineau ; Lumières : Patrick Méeüs ; Chef de chant : Nathalie Marmeuse

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