Créée durant le cru 2009 du Festival de Saint-Céré et fort appréciée en ce même lieu, cette Flûte Enchantée traverse la France et transporte l’opéra là où il ne s’y trouve pas d’ordinaire, là où un public n’ose pas toujours s’aventurer dans les terres à la fois intimidantes et fascinantes du théâtre lyrique. S’il ne va pas à l’opéra, Opéra Eclaté vient à lui. Cette structure, qui trouve son âme au cœur du charmant village de Saint-Céré, entre le Théâtre de l’Usine, le Château de Cahors et celui de Montal, s’est emparée, depuis plusieurs année déjà, de cette mission courageuse qui semble porter ses fruits.
Durant ce long périple, presque voyage initiatique, mais durant lequel les initiés ne sont pas ceux qui l’effectuent, la troupe fait halte à l’Opéra de Massy.
Depuis l’été dernier, plusieurs jeunes artistes se relaient dans les rôles principaux, chacun ayant la chance de roder ainsi l’incarnation d’un personnage important du répertoire lyrique, l’occasion rêvée pour un début de carrière.
Par chance, cette escale massicoise nous permet de remarquer des artistes différents de ceux déjà applaudis à Saint-Céré, la découverte de nouveaux talents étant un plaisir toujours renouvelé.
La mise en scène d’Eric Perez demeure égale à elle-même, colorée et acidulée, noble sans hiératisme, cultivant une simplicité quasi-enfantine, de celle qui porte la musique et la laisse s’exprimer pleinement.
…pétillante en couleurs
Saluons une distribution toujours de très haut niveau, et presque entièrement francophone, un bon moyen de prendre le pouls de l’école française de chant actuelle. Andrea Giovannini campe un fier Tamino, à l’émission saine, projetant sa voix solaire avec aisance. Peut-être lui manque-t-il un rien de souplesse et de résonances de tête pour adoucir ce tranchant vocal tout italien, afin de le rapprocher d’un idéal plus germanique, ainsi qu’une prononciation de l’italien qui gagnerait à être peaufinée, ce qui ferait de lui un grand Tamino.
Sa Pamina reste – fort heureusement – incarnée, ainsi qu’à Saint-Céré, par la ravissante Marion Tassou. Le timbre a gardé sa pureté et sa fraicheur, l’élégance vocale demeure intacte, et, une fois sa princesse devenue adulte au contact de son prince, elle délivre une fois encore un « Ach ich fühl’s » bouleversant de retenue et de pudeur murmurée.
La Reine de la Nuit de Julie Mathevet force le respect : le timbre est beau, la vibration de la voix fort émouvante, et les écueils de la partition surmontés avec brio, notamment dans un air de vengeance éblouissant de précision et d’arrogance vocale, sans que jamais la musicalité se voie sacrifiée.
Déjà fort remarqué – en seulement quelques phrases, pourtant – à Saint-Céré dans la Traviata, où il attirait l’attention sur son court rôle de docteur par son timbre somptueux, Jean-Claude Sarragosse éclaire Sarastro d’une lumière peu commune. Davantage baryton-basse que véritable basse profonde, admettons que les notes les plus graves de la tessiture du grand-prêtre ne sont pas celles où sa voix semble le plus à son aise. Mais dès que la musique quitte les abysses, la beauté lumineuse de son instrument se révèle et éclate dans toute sa splendeur. Rarement il nous aura été donné d’entendre un Sarastro aussi solaire et aussi humain. L’émission haute, le legato parfaitement tenu, tout concourt à une image différente du personnage, une vraie révélation.
Fidèle à sa bondissante énergie, Christophe Gay plonge tout entier dans le personnage de l’oiseleur Papageno, comme il savait si bien le faire à Saint-Céré.
L’incarnation est toujours épatante de naturel, comme une seconde peau, et la voix toujours aussi bien appariée pour le rôle. Sa Papagena demeure cette vamp jaune canari burlesque et délicieuse à souhait, une Sarah Laulan déchaînée.
Les deux trios sont toujours d’une homogénéité aussi parfaite, tant du côté des trois Dames – coquines, mutines, et d’une fusion des timbres d’une rare perfection – que de celui des trois enfants – malicieuses et ravissantes, puisqu’incarnés par des filles –. Alain Herriau renouvelle sa performance de l’été dernier dans l’Orateur, toujours aussi noble et racé. Quant à Lionel Muzin, il fait preuve d’un formidable abattage dans le rôle du détestable Monostatos.
A la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Massy, remarquable d’équilibre et de clarté, Joël Suhubiette démontre une nouvelle fois, s’il était besoin, ses talents de chef d’opéra. Toujours à l’écoute des chanteurs, sachant presser ou ralentir les musiciens selon leurs besoins, il les épaule et les couve, afin de leur assurer la réussite la plus totale, véritable maître d’œuvre de la soirée.
Massy. Opéra, 23 mars 2010. Wolfgang Amadeus Mozart : Die Zauberflöte. Livret d’Emmanuel Schikaneder. Avec Pamina : Marion Tassou ; Tamino : Andrea Giovannini ; Papageno : Christophe Gay ; La Reine de la Nuit : Julie Mathevet ; Sarastro : Jean-Claude Sarragosse ; Papagena : Sarah Laulan ; Première Dame : Anouschka Lara ; Deuxième Dame : Sabine Garonne ; Troisième Dame : Mélodie Ruvio ; L’Orateur : Alain Herriau ; Monostatos : Lionel Muzin : Premier enfant : Agathe Peyrat ; Marielou Jacquard : Deuxième enfant ; Troisième enfant : Albane Meyer ; Premier homme d’arme : Samuel Oddos ; Deusième homme d’arme : Mathieu Toulouse. Orchestre de l’Opéra de Massy. Joël Suhubiette, direction ; Mise en scène : Eric Perez. Assistant à la mise en scène : Damien Lefèvre ; Décors et lumières : Patrice Gouron ; Costumes : Jean-Michel Angays et Stéphane Laverne (Studio Fbg 22-11) ; Maquillage : Pascale Fau ; Chef de chant : Corine Durous.
Illustration: Mozart (DR)
