L’édition choisie ici est un savant mélange entre la traditionnelle Choudens et les recherches menées par Oeser. Ainsi, si le sextuor et le « Scintille diamant » du troisième acte sont conservés, on peut entendre le trio des yeux au premier acte, et surtout le poignant final de la Muse, d’une grandeur bouleversante.
La production, venue de Nice, avait été pensée autour de la personnalité d’Annick Massis qui y interprétait les quatre rôles féminins.
Ici, trois chanteuses, Giulietta et Stella étant interprétées par la même chanteuse.
En rouge et noir
La mise en scène imaginée par Paul-Emile Fourny se révèle simple, mais d’une grande beauté visuelle. Le spectateur est emmené dans un va-et-vient permanent entre la scène et les coulisses, dans des tons rouges et noirs, grâce à un immense rideau qui se déploie au gré des aventures d’Hoffmann.
Les invités de Spalanzani sont aveugles, Olympia, la ravissante poupée, n’a plus rien d’enchanteur, mais devient inquiétante et sinistre.
Antonia vit et meurt pour sa passion sur la platine d’un gigantesque gramophone, la figure de sa mère apparaissant dans le pavillon, alors que Giulietta accueille ses invités en queue de pie et haut-de-forme.
Et c’est sur la mort du poète, comme épuisé, mais apaisé et emporté par la Muse, que se conclut cette représentation.
L’Opéra de Massy a réussi le pari de réunir pour cet opéra une distribution entièrement francophone – la mère d’Antonia mise à part –.
A l’unisson du chœur d’Angers-Nantes Opéra, d’une superbe homogénéité, les seconds rôles sont tous excellemment tenus, du Spalanzani d’Yvan Reyberol au Schlemil impressionnant d’éclat vocal de Pierre Doyen, en passant par le Crespel désespéré d’Eric Martin-Bonnet.
Impressionnante par la noirceur et la puissance de sa voix, la contralto Qiu Lin Zhang incarne avec force la mère d’Antonia.
Dans le quadruple rôle des valets, Pierre Espiau tire son épingle du jeu, notamment en Frantz, sachant se mettre en valeur dans son air. En revanche, les autres personnages qu’il incarne ne sont pas suffisamment différenciés dans leur caractérisation, trop uniformes dans la voix et le jeu.
Nicklausse remarquable et Muse émouvante, Marie Lenormand confirme les espoirs placés en elle depuis sa Mignon à l’Opéra-Comique. Le timbre est beau, l’émission haute et claire, la diction parfaite et l’accentuation des mots de grande école. Elle joue en outre son personnage avec un naturel confondant, véritable meneuse de jeu et ange gardien à la fois.
En Giulietta, la jeune mezzo Julie Robard-Gendre marque peu les esprits, de par son rôle relativement court, et donne en outre l’impression de grossir souvent sa voix, manquant de simplicité dans son chant.
Antonia attendrissante, Michelle Canniccioni se donne tout entière à son personnage, pleine de feu et de passion, d’une grande crédibilité scénique. Vocalement, le rôle lui convient bien, mais elle pourrait gagner en hauteur de place, et resserrer quelque peu son vibrato, qui parfois se fait trop ample.
C’est avec un immense plaisir que nous retrouvons Isabelle Philippe, après son inoubliable Lucia di Lammermoor messine. Dans Olympia, elle démontre les mêmes qualités de timbre, de technique, de nuances et de couleurs, osant même des variations inédites pour le second couplet de sa chanson, d’une grande élégance. Presque trop raffinée, oserons-nous écrire, pour une poupée mécanique. Si les notes sont là, et bien là – il est d’ailleurs étonnant de l’entendre chanter la version en sol de son air, alors que la version habituelle, un demi-ton plus haut, lui aurait permis de briller encore davantage –, la vibration qui palpite dans son chant est clairement celle d’Antonia, et on peut se demander pourquoi les quatre rôles féminins ne lui ont pas été confiés, alors qu’elle les a déjà chantés, et que la production a été conçue pour une seule et même chanteuse.
Dans les quatre diables, Nicolas Cavallier impose la beauté de son médium, la noblesse de sa diction française et son magnétisme scénique. Il sait parfaitement caractériser chacun de ses personnages, du dédain de Lindorf au charme de Dapertutto, via l’ironie burlesque de Coppelius, et le pouvoir maléfique du docteur Miracle. Une superbe quadruple incarnation, forte et mémorable.
Ces Contes étaient également l’occasion de la prise de rôle attendue de Florian Laconi en Hoffmann. S’il parvient au bout du rôle sans défaillance – ce qui est déjà en soi un exploit –, l’écriture vocale du poète le pousse dans ses retranchements, et il semble bien souvent devoir forcer sur sa voix et surcouvrir dans l’aigu pour en venir à bout. Doté d’une belle voix de ténor foncièrement lyrique, il serait dommage qu’il abîme son instrument avec des rôles trop lourds pour lui, et des prises de rôles prématurées. Scéniquement, il offre un portrait inhabituel du personnage, moins désespéré qu’à l’ordinaire. Au contraire, il semble se donner pleinement à chacun de ses nouveaux amours, les yeux grands ouverts, presque adolescent, comme entiché de l’idée de la passion sentimentale. Une vision unique du rôle, personnelle et attachante.
Menant de main de maître un Orchestre National d’Île-de-France rutilant, le chef suisse Kaspar Zehnder sait magnifier cette partition, soulignant les instruments, variant les couleurs et ciselant les textures, emportant avec lui les chanteurs, visiblement galvanisés. Un beau succès pour ces Contes salués par un public visiblement ravi.
Massy. Opéra, le 16 janvier 2011. Jacques Offenbach : Les Contes d’Hoffmann. Livret de Jules Barbier et Michel Carré. Avec Hoffmann : Florian Laconi ; Lindorf, Coppélius, Docteur Miracle, Dapertutto : Nicolas Cavallier ; Olympia : Isabelle Philippe ; Antonia : Michelle Canniccioni ; Giulietta : Julie Robard-Gendre ; La Muse, Nicklausse : Marie Lenormand ; Andrès, Cochenille, Frantz, Pitichinaccio : Pierre Espiaut ; La Mère d’Antonia : Qiu Lin Zhang ; Crespel, Luther : Eric Martin-Bonnet ; Spalanzani, Nathanaël : Yvan Rebeyrol ; Schlemil, Hermann : Pierre Doyen. Choeur d’Angers-Nantes Opéra. Orchestre National d’Île-de-France. Kaspar Zehnder, direction musicale ; Mise en scène : Paul-Emile Fourny. Décors et costumes : Louis Désiré ; Lumières : Patrick Méeüs ; Chef de chœur : Sandrine Abello ; Chef de chant : Hélène Blanic