Pappano engagé mais décevante Koch
A Londres, la rage parfois éruptive du maestro Antonio Pappano restitue les écarts expressifs de la partition de Massenet dont le génie climatique éblouit par ses pointes si justes et vraies, véritable alternative esthétique à l’heure du wagnérisme et du vérisme envahissant: ouverture prenante aux vertiges brûlants et contrastes saisissants (comme le prélude du dernier acte où l’on entend le suicide par pistolet du héros goethéen); si l’on regrette parfois une surenchère stylistique confinant au pathos, ce que réussit Pappano quand il resserre ses effets dans des climats qui fouillent les replis les plus intimes des héros, est réellement magistral (nous sommes ici aux antipodes du geste plus caressant, plus onctueux aussi d’un Plasson, directeur musical du dvd précédemment cité); concernant Pappano, prenez le début du cd2, tout le prélude et l’air des lettres de Charlotte (début du III) respire, palpite, tressaille au diapason d’une âme amoureuse possédée par une passion muette et tue; c’est un Massenet puccinien vertigineux et intérieur : l’orchestre est magnifique, et la direction, d’un engagement exceptionnel.
Dommage que l’on ne peut écrire un même enthousiasme concernant la Charlotte de Sophie Koch: la mezzo, certes toujours stupéfiante vocalement sur les planches (sa Waltraute dans la Tétralogie wagnérienne à Bastille) devoile ici, de très dommageables limites et défauts dans sa langue: pas une seule note en mezzavoce tenue et colorée, aucune articulation juste et mesurée, la chanteuse déverse une soupe linguistique continument incompréhensible: un comble pour celle qui parvient à toucher chez Strauss (le Komponist d’Ariadne auf Naxos) et donc Wagner. Mais l’art de dire et de chanter le texte français semble définitivement hors de portée. C’est toute la subtile prose, et les nuances psychologiques du personnage si finement reliées à la musique qui lui échappent; trop lointaine du texte, la mezzo s’autorise même des ports de voix incontrôlés, un style surjoué et théâtral, des tics mécaniques outrés et maniérés… qui malheureusement desservent Massenet: très vite, sa conception du rôle tourne en rond et devient insupportable tant elle en fait des tonnes… assenant aussi des notes criées quand elle ne peut les couvrir.
Retour d’un Villazon au sommet
Le vrai pilier de la distribution reste dans un rôle familier (il le chante depuis 2006) et qu’il met en scène également, le ténor franco-mexicain, Rolando Villazon: superbe surprise en vérité, de la part d’un artiste dont les excès récents avaient imposé la retraite vocale. Les moyens sont presque intacts et déjà délectables: interprète magistral de bout en bout, Rolando maîtrise la voix sur l’étendue de la tessiture, avec des aigus rayonnants et colorés, un style à l’opposé de sa partenaire, véritable modèle de chant puissant et intelligent: proche du texte, flexible, naturel, nuancé; capable de mezza-voce soutenue, sur le souffle, et ce qu’il partage aujourd’hui avec Roberto Alagna, cet investissement radical sur le plan émotionnel et psychologique, ciselé avec une subtilité … sans pathos: « Pourquoi me réveiller… » est en ce sens littéralement bouleversant : c’est le chant d’un condamné qui a déjà choisi de mourir … Le héros romantique pur et rayonnant par son sacrifice tel qu’imaginé par Goethe, trouve une incarnation anthologique… sa seule prestation, malgré les défauts de sa partenaire, justifie l’acquisition urgente de ce coffret indispensable. Ainsi le tenorissimo réussit son retour lyrique et déjà Deutsche Grammophon annonce d’ici la fin de l’année un nouvel album dédié aux héros verdiens… Bravissimo Rolando!
Massenet: Werther. Rolando Villazon. Royal Opera House orchestra. Antonio Pappano. 2cd Deutsche Grammophon. Enregistrement réalisé à Londres en juin 2011. ref 00289 477 9340. Parution annoncée: lundi 5 mars 2012