mardi 6 mai 2025

Marseille. Opéra, le 17 avril 2011. Mozart: Don Giovanni. Frédéric Bélier-Garcia, mise en scène. Theodor Guschlbauer, direction

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L’Opéra de Marseille, est au mieux, avec une salle qui ne désemplit pas et un public heureux d’y applaudir les plus grands chanteurs du moment dans les plus grandes œuvres du répertoire.

Sous la règne fructueux et inventif de Louis Ducreux, il y a longtemps, on n’a pas oublié les représentations de Don Giovanni : du poulailler, du balcon, on voyait tomber, sur un parterre presque désert, une pluie de papillons, de pétitions : « Nous voulons du lyrique !» Le chef-d’œuvre de Mozart, pour certains attardés, n’était pas de l’opéra. Aujourd’hui, Don Giovanni fait salle comble : pas un strapontin de libre, guichet fermé.

Réalisation
Avec une nouvelle distribution, cette production est une reprise de 2005, dans la mise en scène belle, intelligente et sensible de Frédéric Bélier-Garcia, des décors de Jacques Gabelle, des costumes de Catherine Leterrier et des lumières de Roberto Venturi.
Elle est respectueuse de la chronologie de l’œuvre – dans la mesure où l’on accepte, par tradition récente, que ce dramma giocoso se déroule au XVIIIe siècle, à l’époque de sa création et non au temps de l’émergence du mythe en Espagne (début XVIIe mais narrant des événements du Moyen Âge). Les costumes d’époque sont raffinés, dans des tons éteints de vert bronze et marron, allégés de vert tendre, de beige, éclairés de jaune, de la paille des chapeaux campagnards dans les scènes de fêtes.
Donc, temps de l’histoire sinon toujours tempo musical de ce temps, tout ici concours à la recréation de l’époque de Mozart, ambiance, costumes XVIIIe siècle non tirés par les cheveux de la perruque vers notre prétendue et prétentieuse modernité, selon cet académisme prétendument moderne des mises en scène d’aujourd’hui dont la mode a déjà presque un demi-siècle.
La modernité est dans la mise en scène qui mise habilement sur toute la technique moderne : mais pour la mettre au service de l’œuvre, pour mettre en valeur les héros sans ralentir l’action, si dynamique.
Ainsi, sur fond et cadre de scène noirs, des panneaux géométriques mobiles, verticaux, latéraux, descendent, montent, et glissent horizontalement, sans hiatus ni bruit, dans une grande fluidité, dans le flux musical continu, traçant à vue, successivement, de espaces divers. Vaste scène ténébreuse dessinant des espaces plus intimes, délimités : trouée d’une porte illuminée d’une immense lanterne dans ce nocturne opéra ; une fenêtre rouge trouant le noir ; des profondeurs sobrement éclairées de jaune, orange, rouge ou bleu, tel le prisme des passions, ardentes ou glacées de mort.
Cette ombre générale détache la solitude des personnages surgis du néant obscur ou s’y fondant, parfois dessinés dans des clairs-obscurs à la Rembrandt ou un ténébrisme/luminisme contrasté du Caravage. Ils prennent une vie singulière et définie dans l’infini d’un monde opaque. Avec sa jupe jaune accrochant la lumière sur le noir avec les ailes d’une cape rouge, Elvire est un pauvre papillon de nuit qui se brûlera à la flamme sulfureuse de Don Juan. Un immense lustre, descendant des cintres, est tel un ciel constellé terrassant, enfonçant sous terre le héros mécréant avant de retrouver sa place dans l’ordre du monde restauré après le châtiment du dissoluto punito, du ‘débauché puni’.
Bel effet des noces campagnardes avec estrade scénique et toile peinte de nature morte, le jardin du palais, la scène de bal chez Don Juan, théâtre aussi dans le théâtre.

Interprétation
Au début, on a peur : le tempo pris par le chef d’orchestre Theodor Guschlbauer semble nous ramener au temps des Karl Böhm ou Klamperer, chefs romantiques issus d’un wagnérisme un peu lourd et leur conception guère allégée de Mozart. Ouverture un peu massive, solennelle mais très dramatique dans les gammes montantes et descendantes du thème en ré mineur du Commandeur. Même rythme pour le début et la présentation des héros nobles. : noblesse compassée ?
Cependant, dans le premier d’Ottavio, « Dalla sua pace… », commencé tout lentement et doucement, la logique s’éclaire et cet air convenu, rhétorique, que Mozart composa pour un ténor vieillissant qui n’arrivait pas à chanter l’air de la fin, devient une lente insinuation, dont Alexey Kudrya, tout élégance et noblesse, fait une introversion, une méditation d’une rare vérité et d’une profonde émotion et on le retrouvera, héroïque et viril, dans les redoutables vocalises de son second air. Le tempo s’allège avec les personnages populaires, et l’on goûte sans réserve le rire des bassons dans l’air du catalogue, débité par un magnifique Leporello (Josef Wagner). Le roucoulement des hautbois, les gémissements des violoncelles, merveille de mise en valeur de l’instrumentation mozartienne, Emilie Pictet a un physique et une voix charnue qui conviennent à sa Zerlina, peut-être pas assez malicieuse même si elle a assez de perversité pour rouler Masetto, incarné par Till Fichner, remplaçant de dernière heure, touchant de fragilité mais inévitablement pas assez intégré..
La vivacité du tempo donnera aussi une allure aérienne mais implacable à l’air, haletant, fiévreux d’une Elvire bouleversante Marianne Fiset, vertige de l’amour et de la haine, aux vocalises mystiques, enflammé pour l’appel à la vengeance d’Anna (trop tendre Burçu Uyar)),
Don Juan, c’est Jean-François Lapointe : on connaît et apprécie depuis longtemps les grandes qualités de ce baryton, artiste complet. Il joue du texte et de la musique avec subtilité. Sa voix semble prendre la couleur ombreuse du héros dans les graves sans perdre la vaillance de coq éclatant d’aigus arrogants. C’est le prédateur mais qui sera pris quand il croyait prendre, agacé devant l’insistante Elvira qui le poursuit, ombre d’un passé qui le rattrape toujours et lui casse, disons par politesse, les cou…ps, et littéralement puisque, ici, malgré toutes ses tentatives, on n’assiste qu’à ses ratages. Mais il lance sans faille, la folie fiévreuse d’un « air du champagne » brillantissime, joue du velours du séducteur, cravache et rudoie Elvire, Leporello, Masetto, avec la rudesse et brutalité de ce « grand seigneur méchant homme » pour Molière, ici grand fauve, fier, farouche, qui lance avec panache un extraordinaire la de défi au Commandeur. Ce dernier, c’est Nicolas Courjal, basse magnifique, dont la voix devrait venir d’un autre monde mais sa profonde vibration est si humaine que ce spectre glacé fait passer, malgré lui, l’espoir chaleureux d’une meilleure humanité.

Sorton
s des clichés de Marseille et le foot, Marseille et l’OM. L’Opéra est un haut lieu de rencontre et de célébration populaire. 12 000 spectateurs ont ovationné ce Don Juan. Le prochain Cid de Massenet, encore une rareté, en juin, s’annonce déjà pratiquement complet. Belle réponse concrète du public marseillais au Ministre de la Culture, qui faisant la fine bouche sur notre Opéra (qu’il ne finance pratiquement pas), osait imprudemment et impudemment en contester la programmation.

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