vendredi 25 avril 2025

Marie Nicole Lemieux : Opera arias Gluck, Haydn, Mozart 1 cd Naïve, 2010

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Versatile, la vaillance épicée et surexpressive parfois même explosive (outrancière diront les plus sceptiques) de Marie-Nicole Lemieux traverse avec force et panache les airs de ce programme haut en couleurs pathétiques, sensuelles et tragiques, de Graun à Mozart, sans omettre Gluck ni Haydn…

D’emblée c’est la hargne du 1, air de Farnace de Mitridate de Mozart qui s’impose: belle ténacité restituée d’un fils contre la fureur paternelle : le timbre est parfois nasalisé (accordé aux beaux éclairs de l’orchestre), mais la passion romantique d’une vivacité goethéenne (souffrances du jeune Werther auxquelles le jeune Mozart a du probablement s’identifier)… suscite l’enthousiasme par la justesse de l’intonation.

Beau contraste ensuite avec à revers, la profonde prière lacrymale du 2 : celle d’une épouse (Costanza) abandonnée et solitaire (L’isola disabitata de Haydn) : même implication de l’orchestre, d’une précision mordante très efficace dans la coupe des souffrances de la chère abandonnée à laquelle Lemieux offre son velours le mieux tissé et chantant.


contralto dramatique

Même ombres et spasmes déjà romantiques (Strum und drang pour être exact) pour l’air de concert Ombra felice ! (3, 1776) initialement écrit pour un castrat alto, où l’exubérance surdramatique de la contralto trouve un air taillé à sa démesure pathétique : l’ample miel cuivré du timbre affronte la caresse des bois si voluptueux en de vibrants contrastes.

En Clytemnestre et en français, la rage hallucinée de la diva québécoise (Iphigénie en Aulide du Gluck le plus frénétique) retrouve ce qui a fait la réussite de son Orlando vivaldien: une surenchère linguistique aux vertiges tendus et outrés qui trouvent dans les accords perçants et lugubres de la musique du Chevalier francisé, l’exact double expressif de son incarnation à la fois douloureuse et désespérée, haineuse et impuissante : voici l’air le plus convaincant du programme d’autant plus méritoire que des paroles empurntées au théâtre tragique souvent exacerbé jusqu’au grandiloquent… habitée par son personnage de mère embrasée, assistant démunie au sacrifice de sa fille, Marie-Nicole Lemieux déverse un torrent de hargne investie là encore, à laquelle il reste difficile de rester de marbre. Car comme dans ses Mozart de la fin du programme, son sens du texte la sauve des excès qui guettent: la prosodie juste, les accents du français de Mr Gluck la préservent d’une implosion expressive.
Saluons de même, sa Judith pleine d’une ardeur conquérante (La Betulia Liberata, oratorio de jeunesse)

Enfin, retour à Gluck, plus ancien, c’est à dire Viennois avant d’être parisien… son Orfeo serre un peu les dents et la langue comme la pose expressive paraissent plus affectées comme moins naturelles… comparées à la réussite de sa Clytemnestre enragée, atteinte (deux valeurs illustrées par la cover, digne d’un cabaret ou d’une revue déjantée …) ; mais ses Mozart de la maturité : Sextus de La Clémence de Titus comme l’inespéré Cherubino s’enflent d’une implication sensorielle et émotionnelle totalement épanouie. Comme mise dans les rails de la prosodie mozartienne, la contralto ne s’autorise aucun écart s’il n’est justifié par le texte musical. Comme quoi la pureté du divin Wolfgang a du génie: il s’avère salutaire pour la chanteuse trop naturellement tentée par le démon de l’hystérie dérapante. Ici, à l’école de l’élégance viennoise et autrichienne (Haydn, Mozart, et superbement incarnée chez Gluck), Lemieu a du chien et du feu maîtrisés : elle le démontre dans ses deux airs d’une simplicité qui touche au cœur avec une flamme éloquente et sensible. Récital aussi personnel que pleinement assumé. Bravo prima donna !

Marie Nicole Lemieux : Opera arias. Gluck, Haydn, Mozart, 1 cd Naïve, 2010. Réf.: V 5264. Durée: 1h09. Enregistré en septembre 2010, Québec city.

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