mardi 29 avril 2025

Lyon. Chapelle de la Trinité, le 16 janvier 2012. Flûtes et clavecin : J.S., C.P.E. et W.F.Bach . D.Baroni, S.Van Cornewal, D.Boerner

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Un « Café Zimmermann » d’après-midi dominical, dans le cadre du Festival Baroque de Lyon. La Trinité accueille deux flûtistes et un claveciniste, tous trois de très grande sensibilité, dans Partita et Trio Sonate du Père, Sonate du Fils Second (Carl Philip Emmanuel Bach), et d’admirables Rêveries solitaires – Duo, Polonaises – du Fils aîné, Wilhelm-Friedmann.


Le soleil louis-quatorzien

Il y a des concerts de janvier qui ont cessé de fleurer le sapin et les fêtes, et s’inscrivent dans le cours plus classique de l’année commençante. Même si c’est de cadre baroque qu’il faut parler, et aussi parce que ce dimanche à la mitan du mois inaugure le beau-et-froid d’un hiver qui n’avait pas encore commencé. La Chapelle de la Trinité, vers ce milieu d’après-midi, en « retournant » les auditeurs vers une scène « de l’ouest », donc à la clarté d’à travers les verrières blanc-gris, va offrir un de ces « passages » subtils qu’on aime ressentir presqu’en filigrane de la conscience : car à l’étage en dessous des larges verrières « s’allume » peu à peu un de ces soleils louis-quatorziens en large oculus qui participent de l’essence du baroque français, moins « elliptique » et flamboyant que l’italien ou l’espagnol. Relais visuels qui ne troublent pas l’écoute et au contraire en avivent les correspondances artistiques…


Un cadet et son royal flûtiste

Ces petits concerts d’après-midi – chambre, sextuor ou trio – sont plus laïquement sous le patronage du Café Zimmermann, ce haut-lieu de Leipzig où le Collegium Musicum tâchait de faire oublier à Johann Sebastian et quelques autres joyeux mais empêchés lurons leur condition de serviteurs sous contrat consistorial. Le roman de Catherine Lépront, Le Café Zimmermann (Seuil), en donnait voici dix ans un passionnant écho dans les milieux musicaux de notre époque, à (re)déguster pour son délicieux goût de revenez-y… Ici, sont venus un claveciniste, Dirk Boerner, et deux flûtistes , dont l’une parle, fort intelligemment et avec…sensibilité (Diana Baroni) et l’autre pas(Sarah Van Cornewal) : trois musiciens très inscrits dans le baroquisme européen. Finesse, accord, souffle – au double sens du terme, ce trio (parfois duo, ou passant au solisme ) possède et démontre – en cordialité simple et « zimmermannienne »- des talents précieux pour évoquer la Gens – Famille – Bach, ou plutôt le Père et deux de ses Fils. De Carl-Philipp-Emmanuel, nous n’entendrons pas les aspects plus nocturnes à la limite du fantasque (fantastique ?), tout en ruptures de « ton », dont témoignent ses pièces pour clavier solitaire. C’est plutôt l’habile compositeur, tenant du courant d’une Sensibilité ici maintenue dans l’équilibre et parfois illuminée d’allegria , que nous écoutons dans sa Sonate Wq 124. Peut-être l’image du royal Flûtiste, souverain éclairé mais impitoyable, Frédéric II – parasite-t-elle un peu en sa protection autoritaire les élans du C.P.E. à la Cour de Berlin ?


Le cher Friede

Et quand la statue du Père-Commandeur, Johann Sebastian, reparaît en arrière du Fils 2nd, la voilà qui fait écran par sa souveraineté d’écriture. La Partita BWV 1013 pour flûte seule se permet en fin de phrase une note haute lancée comme un cri, elle accueille avec gravité les songeries d’une sarabande, elle virevolte en bourrée. Diana Baroni y est magnifique de vérité, ose des inspirations presque haletantes, dans le sentiment d’une poursuite perpétuelle de l’inatteignable, en humanité presque frêle et pourtant invaincue. Plus loin, flûtistes et claveciniste réunis en un bel élan (le Trio Sonate BWV 1039) témoigneront aussi de l’équilibre, de la densité de l’allant infatigable, et de la marche rêveuse d’un adagio désirant le rebond d’un allegro conclusif. Mais aujourd’hui Johann Sebastian semble aussi le préfacier de celui qu’il appelait « mon cher Friede », le 1er Fils en qui il mettait toutes ses complaisances. A défaut de « Lettre au Père », Wilhelm-Friedmann signa des partitions peu acceptables au regard des consensus d’alors, et eut un comportement marginalisant, voulant tenter, avant Mozart, tenter sa chance d’indépendant (cela lui valut post mortem des élucubrations romanesques et filmiques sur ivrognerie et pis encore)…


Merci pour le chocolat

Mais quels extraits ici écoutés ! Au centre d’un passionnant duo pour deux flûtes, un « lamentabile » poignant de solitude qui s’achève dans la véhémence. Et puis ces Polonaises pour clavier seul, dont Dirk Boerner exalte l’intériorité, sans théâtralité qui serait hors de jeu affectif. « Friede » donne vie à sa perpétuelle contrastitude (un néologisme vient spontanément quand on évoque ce non-aligné du langage musical) : vitesse d’une pensée tourmentée, bouillonnement rompu d’imprévisibles silences , tombées en faiblesse, répétitif obsessionnel de formules rythmiques, et à l’improviste rêverie d’un promeneur solitaire aux bords de la Saale, chromatismes, échos, bizarreries harmoniques, armature d’inquiétude jusque sous une danse apparemment plus aimable…Seul un bis – dans une sonate en trio – le montre plus détendu…histoire d’aller se réchauffer au buffet installé dans le chœur de la Trinité, patronage de Café Z. oblige.
A propos de l’excellent chocolat chaud et des douceurs qui sont proposés, et en notant que la Trinité est ancienne chapelle de Jésuites, on s’interrogera en toute historicité baroque : du temps des jansénistes et de leur rigueur sublimée par Pascal dans les Provinciales, Madame de Sablé et Madame de Guéméné disputèrent pour décider si on pouvait dans la même journée aller au bal puis communier. Alors les Jésuites de Lyon eussent admis le chocolat en fin de communion esthétique à la Trinité ? Oui, oui, pas de complexes, « ad majorem Dei gloriam ». Le Café Zimmermann d’entre Rhône et Saône a encore de belles heures à nous faire vivre…

Lyon. Chapelle de la Trinité, 15 janvier 2012. Flûtes et clavecin. J.S.Bach (1685-1750) Trio Sonate, Partita ; C.P.E. Bach ( 1714-1788), Sonate; W.F.Bach, Duo, Polonaises. Diana Baroni et Sarah Van Cornewal, flutes. Dirk Boerner, clavecin.

Illustration: CPE Bach (DR)
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