samedi 20 avril 2024

Lyon. Chapelle de la Trinité, le 15 juin 2010. Lully (Te Deum), Musiques arabo-andalouses. Concert de l’Hostel-Dieu (F.E.Comte), Ensemble de Marrakech (Y.K.Jamal)

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La Chapelle baroque lyonnaise de la Trinité partageant son espace visuel et sonore entre un Te Deum de Lully et des Noubas ou Malhoun de la tradition marocaine : voilà le joli spectacle musical qui a fait se côtoyer et par moments fusionner le Concert de l’Hostel-Dieu et l’Ensemble Jossour. Le prétexte était dans la fête d’un mariage qui faillit avoir lieu à la fin du Grand Siècle…

Les infidelles et le commerce matrimonial

« O honte ! ô de l’Europe infâmie éternelle ! Un peuple de brigands, sous un chef infidelle, De ses plus saints remparts détruit la sûreté, Et le mensonge impur tranquillement repose…Arrêtez, troupe lâche, et de pillage avide ; D’un Hercule naissant la valeur intrépide Va bientôt démentir vos projets forcenés… » Rousseau écrivit cela, en 1715. Jean-Jacques R.? Même précoce ainsi que l’on sait, à trois ans, c’eût été un peu jeune… Jean-Baptiste.R., oui, (1672-1741), pourtant ce poète d’odes et cantates pourfendeur-versificateur des Ottomans admirait en 1700, 15 ans plus tôt, qu’une fille de Louis XIV pût inspirer des envies de mariage à un… Sultan du Maroc. N’étaient-ce point les mêmes « infidelles » ? Certes, mais il y en a plusieurs catégories, et après tout Louis XIV était bien libre de pratiquer en affaires commercialo-matrimoniales ce qu’on appela plus tard et en une autre langue la Realpolitik. Qu’est-ce que cela vient faire dans une critique de concert à la Trinité lyonnaise ? Eh bien c’est à cause des idées un peu hétérodoxes et de l’imaginaire baroque d’un Chef (Franck-Emmanuel Comte, Concert de l’Hostel-Dieu) que votre chroniqueur est ensuite allé se promener dans les manuels d’histoire (et les sites sur Internet, c’est si commode à notre époque de haut flux), histoire de vérifier si… cette histoire reposait sur un fantasme ou de l’Histoire certifiée.

Un non-mariage royal

Car le dernier concert de la saison 2009-2010 du côté de chez les « Hostel-Dieu » était accueilli en toute transversalité culturelle à la Trinité pour un « Voyage des Rois » mêlant Te Deum de Lully et des musiques arabo-andalouses traditionnelles du XVIIe. Motif invoqué : le Roi-Soleil avait, semble-t-il, envisagé de marier sa fille (naturelle) Anne-Marie de Bourbon au Sultan Moulay Ismaïl, et puis avait renoncé (Moulay avait 500 concubines, et même en mettant hors-classe la royale Française… ; le Sultan admirait fort le Roi de France, et voulut faire de Meknès son Versailles, mais il ne pouvait y avoir qu’un Versailles au monde ; on rachetait ainsi des captifs, mais…). En sera resté l’imagination musicale et théâtrale. F.E.Comte, en résidence l’été dernier à Marrakech avec son groupe et travaillant avec l’Ensemble Jossour (de Youssef Kassimi Jamal) s’était dit que dans l’esprit de son Hostel-Dieu et de ses intuitions sur un Baroque expansif, un concert sur le thème du…non-mariage au XVIIe pouvait être amusant et instructif. Après tout, il y a bien des cadeaux de non-anniversaire au Pays Merveilleux d’Alice, pourquoi pas un fantasme sur le mariage fastueux de la Fille Aînée de l’Egl…pardon la Fille cadette du Roi-Soleil avec un souverain alaouite, et en somme selon l’invocation de « Notre ami le Roi », re-pardon, je me trompe d’époque et de contexte…

Giourdina Mamamouchi

Il en est sorti une bien charmante symbiose musicale, et l’idée très concrète d’un Te Deum lullyien, côté français, répondant à Noubas, Twichya et Malhoun côté marocain. Pour finir en pratique fusionnelle instrumentale, où d’ailleurs l’on retrouve la franche gaudriole imaginée par Molière et pour Lully dans le Bourgeois Gentilhomme, dans le style « Mahameta per Giourdina Mamamouchi », Maroc et France se moquant du Grand Turc. Ah la géopolitique en rétrospective ! Il ne nous appartient évidemment pas d’arbitrer quant à une orthodoxie musicale intrinsèque de l’Ensemble Jossour, qui est certainement parfait, et en tout cas parfaitement séduisant, nous apportant un bel « ailleurs », et un Temps – rythmique et harmonique – complètement dépaysants. On admire aussi la subtilité des instrumentistes et des chanteurs marocains, leur sens du répétitif jamais menacé de monotonie, leur accès à l’incantatoire en des solos tout de générosité. Le calme élégant, la précision sans autoritarisme de Youssef Jamal fédère, de sa place modeste (il joue le oud)et de côté, les individualités virtuoses sans que jamais la crispation ou même la tension n’apparaissent parmi tous ces musiciens qui échangent leur savoir et leur joie du jeu en sourires et complicité qui pourraient inspirer bien des ensembles hexagonaux, et nous ne nommerons ici personne.

Une fin de printemps pas comme les autres

Côté lyonnais, on salue aussi l’engagement de F.E.Comte – lui en situation nécessairement centrale de chef pour le triomphalisme du Te Deum -, stimulant et portant avec précision ses chanteurs et instrumentistes vers une conception jubilatoire, après l’étonnant solo de timbales qui ouvre en toute sauvagerie son hymne très chrétien à la Victoire du Dieu des Armées. Pour le chant on y retient tout particulièrement le chant parfois attendrissant de Heather Newhouse et surtout le superbe allant d’un chanteur-et-comédien Antoine, la basse-taille Antoine Saint-Espes. Les instruments baroques sonnent ici en une fraîcheur alerte, décidée, charmant écho de cette fin de printemps pas comme les autres, et tout cela revigore en gaieté contagieuse. Ajoutons une notice de programme qui guide excellemment dans le domaine historique, côté Maroc . Oui, que l’Hostel-Dieu continue en cette voie qui nous a valu au concert et au disque le très inventif Carolan’s Dream et qui passe volontiers par la « Porta Orientalis ». Cela s’appelle une musique-en-recherche, et voilà bien les leçons d’un esprit baroque universel. Au fait, à quand un disque maroco-lullyen et d’autres inventions festives ?

Lyon. Chapelle de la Trinité. Mardi 15 juin 2010. Lully, Te Deum ; Musiques arabo-andalouses. Concert de l’Hostel Dieu, F .E.Comte ; Ensemble Jossour de Marrakech, Youssef Kassimi Jamal.

Illustration: Lully (DR)

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