Lully, l’incommode
Arte
Lundi 28 décembre 2009 à 23h
Dimanche 3 janvier 2010 à 9h45
L’homme pressé
Il dérange, il dévore tout sur son chemin, écrase toutes critiques, fustige tout adversaire. Lully (1632-1687) incarne une ascension fulgurante à l’ombre du Roi-Soleil. Cet étranger sut s’imposer dans un pays bien peu ouvert à ce que n’est pas français… le documentaire parfaitement léché, à l’esthétique minutieuse et juste, raconte l’itinéraire du musicien florentin qui quitte le moulin paternel de Toscane, pour rejoindre les salons parisiens, d’abord, dès 1646, à 14 ans (!) celui de la maison de la cousine (frondeuse) du Roi, la duchesse de Montansier, dite « la grande mademoiselle ».
Son répétiteur d’italien devient très vite un serviteur zélé qui éblouit par sa grâce musicale, comme parfait violoniste, très bon joueur de clavecin et aussi excellent compositeur. A-t-il appris ou perfectionné ses étonnantes dispositions d’écriture avec les musiciens français du cercle de la Duchesse? Certainement. Le Florentin devient français. Et plus français que bon nombre de son contemporains dans la place.
Sa furie créative agace. Et au moment de La Fronde (quand les princes osent défier l’autorité royale), le baladin sent le vent venir. Après l’échec des seigneurs révoltés en 1652, Louis XIV, traumatisé par ce choc politique qui a failli le déposer, affirme un regain de puissance en mettant en scène la monarchie: Lully participe aux premiers ballets royaux dont celui de la nuit, où le Roi régénéré danse, astre central autour duquel se pressent et s’agenouillent les Grands soumis. Lully offre désormais toute la musique pour le Roi soucieux d’affirmer son autorité. A 21 ans, il danse excellemment aux côtés du Souverain (14 ans).
C’est une époque privilégiée où le monarque danseur et mélomane recherche l’essor des arts et de la musique pour asseoir son pouvoir. Alors qu’il n’existe pas encore d’opéra français pour chanter la gloire du Roi, Lully sait assimiler tous les ferments de l’art français (danse et airs de cour) pour façonner peu à peu la musique que souhaite Louis XIV.
Dès le début du film, Lully fait figure d’impatient, d’irascible, d’homme pressé qui sait son heure comptée… C’est un incommode, ambitieux, omnipotent: le Surintendant a des allures et des postures de monarque…
Le réalisateur a imaginé la séance de pose où le premier musicien de La Chambre (1653), devenu Surintendant de la musique royale en 1661, quand Louis XIV prend le pouvoir, est le modèle de son portrait par Mignard.
La partie dédiée à la reconstruction des instruments pour Les 24 Violons du Roi est particulièrement intéressante: le projet s’est réalisé en 2008. Il ambitionne de restituer la sonorité de l’orchestre de Lully à Versailles, les fameux 24 Violons du Roi, premier orchestre permanent de l’Histoire, et qui à la façon du Philharmonique de Berlin aujourd’hui, fut le modèle pour l’Europe baroque, jusqu’en 1720. Il est constitué des 5 parties emblématiques de l’esthétique musicale française: dessus de violon et basses de violon aux extrémités du spectre, et surtout, les 3 parties intermédiaires qui ont été ainsi rétablies grâce à l’intervention des luthiers Giovanna Chitto’ et Antoine Laulhère: haute-contres de violons, tailles de violon, quintes de violons, chacune de ces 3 parties, restituée par deux.
Il en résulte un son plus riche, plus opulent, celui que souhaitait Lully pour l’orchestre de Versailles.
La biographie racontée permet aussi de rétablir certains faits historiques comme le soutien de Lully auprès d’autres musiciens de son temps. Il ne fut pas ce fou angoissé de pouvoir, totalement soucieux d’imposer son exclusive: il a su aussi favoriser le talent de composition des musiciens de son temps, comme Marin Marais, génie de la viole, qu’il emploie dans son « atelier » afin d’écrire justement les parties intermédiaires de ses ouvrages…
Documentaire capital pour notre connaissance du musicien, de surcroît très bien réalisé (dans le château de Versailles). De sorte que lorsque le compositeur gravit les marches du palais pour se rendre à la séance de pose, il semble qu’il est le seigneur en son domaine. N’a-t-il pas, -il est vrai-, et à sa mesure, participé à la grandeur de Versailles?
Lully, l’incommode. Documentaire inédit. Réalisation : Olivier Simonnet. 1h30mn, 2008. Arte, lundi 28 décembre 2009 à 23h. Rediffusion, le 3 janvier 2010 à 9h45.
Illustrations: Lully, Louis XIV (DR)