LIVRE, événement. Marie-Agnès Gillot : Sortir du cadre (éditions Gründ) – Elle pour nous, la grâce incarnée … la danseuse devenue étoile MAG Marie-Agnès Gillot, régna en souveraine au sein du Ballet de l’Opéra de Paris, marquant certainement un âge d’or de la scène parisienne. Le titre de l’ouvrage affiche clairement un tempérament qui a su affirmé sa liberté et son indépendance « Sortir du cadre », évidente critique vis à vis d’une institution à la discipline de fer et aussi à l’ambiance humaine pas si idyllique que cela ; en témoigne les charges contre sa meilleure amie / ennemie, Aurélie Dupont.
Mieux qu’une bio classique, les nombreuses et courtes rédactions, qui suivent la chronologie d’une vie artistique exemplaire inscrivent selon l’importance que leur consent l’intéressée, les étapes d’une formidable interprète en devenir…, les volets d’un accomplissement inouï. Car rien ne disposait physiquement la danseuse à devenir l’étoile qui nous a illuminés. autour de l’an 2000.
Près de 100 courts chapitres (classés en 3 « Actes ») constituent un cycle de textes témoignages où l’Etoile de l’Opéra de Paris se raconte ; évoque son parcours au sein de l’institution ; l’excellence toujours, coûte que coûte est un terreau fécond pour … le doute : la question centrale ici reste « serai-je physiquement, artistiquement à la hauteur? » « serai—je la première, la meilleure ? » – le cheminement de Marie-Agnès Gillot, jambes démesurées mais dos cabossé… démontre la réussite de la danseuse de ce point de vue.
Jambes démesurées, dos cabossé…
MARIE-AGNES GILLOT
L’Étoile hors normes
D’autant plus que rien ne laissait prévoir un tel triomphe : Marie-Agnès Gillot explique le mal qui ronge son dos (une double scoliose : elle a grandi trop vite par saccades) et aussi une capacité pulmonaire très réduite ; à 13 ans, elle porte un corset (enduré ainsi jusqu’à ses 18 ans en 1993) et se sens ordinairement comme une handicapée… Sa faculté à endurer et vaincre la douleur reste admirable. D’un corps entravé, douloureux, la personnalité hors normes de MAG a fait un papillon élégantissime qui exprime l’excellence de la beauté. La quintessence au XXIè du style parisien, dans ce qu’il a de plus libre et racé, à la fois personnel et techniquement parfait. Comme Beethoven qui était sourd. Un comble inouï qui produit l’exceptionnel.
L’adolescente de 14 ans exprime combien la course à la première place a façonné son histoire. Intégrer le Ballet (à 15 ans grâce à Patrick Dupond), danser à 16 ans comme quadrille (et non plus comme élève), puis coryphée, sujet (Rubis dans Jewels de Balanchine, 1995)… être première danseuse, devenir étoile… Les professeurs et cadres sont magnifiquement portraiturés : Claude Bessy (et sa gouaille direct et franche qui a heurté : « tu fous quoi Gillot ? Tu as gardé ton corset ou quoi ? « devant toute la classe, pendant les répétitions de Daphnis et Chloé / l’antithèse de Pierre Lacotte, au franc parler mais toujours « très classe »). L’apprentissage se fait en regardant les étoiles à la barre des stars (Letestu, Monique Loudières, « La Pietra » qui est aussi froide qu’elle a du chien…, ). Les dates qui s’impriment ont valeur de marqueurs : la mort de Noureev, directeur de la Danse de 1981 à 1989 (6 janv 1993) ; bien sûr le 18 mars 2004, quand elle est nommée étoile après avoir dansé / créé Signes de Carlson ; la naissance de son fils Paul, …
Parmi les chorégraphes admirés : Mats Ek, Jiri Kilian, Forsyth, Keersmaeker, Chrystal Pyte … ; parmi les expériences nombreuses « originales », « sueur d’étoile » (chapitre 28 / Acte III) est la plus passionnante, recueillant la sueur de l’Etoile, dansant en particulier la Boléro (version Béjart), déposé ensuite dans une urne hémisphérique…
On reste surpris par les termes utilisés s’agissant de ses dernières années à l’Opéra, vécues sous la direction d’Aurélie Dupont (parachutée directrice en 2016 après la démission de Benjamin Millepied), comme une mise à l’écart (réduction de ses prises de rôles) voire « une mise à mort », c’est à dire une retraite violemment signifiée ; la future retraitée de 42 ans, évoque son dernier rôle, Eurydice dans l’opéra Orphée de Gluck, mis en scène par Pina Bausch (2018), une soirée d’adieu donc, plutôt amère.
Car la troupe compte ses brebis galeuses, agents de la discorde qui détruit l’unité et la cohérence (« Lisa est une des filles les plus méchantes de mon groupe », chapitre 23 p 41). La danseuse, véritable athlète confrontée à la fragilité du corps raconte aussi les accidents, les fêlures, les risques encourus (l’oeil de perdrix qui entrave les pieds, les escarts liés au port du corset, la pente de 5% de la scène de Garnier où l’on danse, défi pour chaque figure…).
Au final, la souplesse du dos fait la différence (capable d’articuler des waves en se dissociant …) en particulier dans le contemporain (Graham) ; répertoire contemporain qui permettra de décrocher le statut d’Étoile… Bien d’autres anecdotes jalonnent ainsi un parcours semé de réussites étonnantes ; les grands rôles dont évoqués, les ratés et les expériences hors danse, ses « muses » (Julie Guibert, Alice Renavand,…) ; les modèles dont Patrick Dupond ou Sylvie Guillem… voilà longtemps q’un livre de danse n’avait pas autant captivé ; c’est qu’ici une danseuse hors normes parle juste et précis, clair et direct, d’une élégance rare… comme son style sur scène. Incontournable. CLIC de CLASSIQUENEWS
________________________________________________