LIVRE critique, compte-rendu. JOHANN STRAUSS, le père, le fils et l’esprit de la Valse par Alain Duault (collection Classica, Actes Sud). Le père né en 1804, le dernier fils mort en 1899… la famille STRAUSS couvre ainsi tout un siècle, que l’on dit romantique et qui fut aussi marqué par l’essor formidable de l’écriture orchestrale, adaptée au cadre stimulant de la Valse. Voilà un petit essai qui à défaut de s’intéresser à la chronologie, s’intéresse surtout à une évocation générique de la Vienne fin de siècle, ce parfum impérial et fané, mais terriblement raffiné, comme singulièrement sensuel – malgré un puritanisme de façade, comme en Angleterre (autre Empire), où le corseté des robes et des costumes masculins se devaient de craquer, dans la danse sublimée par les Strauss, père et fils : la sulfureuse valse à trois temps.
Le texte en retrace l’histoire, l’évolution sous la plume des génies dynastiques, d’où émergent les pépites du fils : Le Beau Danube bleu (1867), La valse de l’Empereur : véritable manifeste esthétique de la Vienne impériale de François-Joseph et de son épouse « Sissi ».
Si les trois temps assurent le rebond et l’élan (du désir ainsi amorcé, cultivé, porté…), le quatrième qui en est déduit, se fait toujours attendre… car il ne vient pas. Cette irrésolution cristallise la pulsion première, viscérale d’une danse – transe, à l’érotisme évident et qui en son temps, fut taxé d’abord, de perversité, d’immoralité, d’indécence.
L’auteur plonge dans les péripéties d’une dynastie riche en épisodes et rebondissements digne du livret de La Chauve Souris (écrite par Johann fils) : père violoniste fantasque, aventurier, génial et tout autant porté sur la gaudriole, au point de tromper manifestement son épouse Anna (la mère de Johann fils) avec une plébéienne, Emilie à laquelle il donne le même nombre d’enfants (3), comme Anna a accouché de Johann, Josef et Eduard, les fils légitimes, tous compositeurs. Après avoir enfanté d’un chef d’oeuvre qui évoque aussi l’esprit de toute une époque, la fameuse Marche de Radetsky (pour la fête de la réconciliation, le 22 sept 1849, pour le retour d’Italie du fameux maréchal), Johann père meurt dans les bras de son Emilie, de façon misérable et honteuse, le 25 septembre 1849 à … 45 ans. La partition conclut ajourd’hui la célèbre retransmission en mondiovision pour la 1er janvier, rituel télégénique devenu messe classique. Déjà avec Johann père, la valse symphonique, musique pure et invitation chorégraphique connaît un âge d’or.
Le cas de Johann fils est tout autant promis à des accomplissements miraculeux sur le plan musical : dès ses 19 ans, il est sacré nouvel empereur de la Valse grâce à un premier concert tremplin, réalisé au Casino Dommayer, le 15 octobre 1844 où il présente ses compositions, dirigeant lui-même avec une fougue et un entrain irrésistible. La rivalité entre les deux est consommée car Anna la mère, se venge du père, – son époux infidèle, à travers la carrière du fils lui aussi bouillonnant violoniste, qu’elle soutient, encourage, stimule. Cette mise en rivalité entraînera la chute de Johann I.
L’auteur conduit sa narration comme une valse aux élans progressifs, vénéneux, diaboliques, enivrants. Johann II se dédie bientôt à la composition pour le plus grand bien du genre, approfondissant cette valse symphonique, véritable opéra pour orchestre. Il convainc son frère Josef, pourtant ingénieur passionné, de laisser sa vocation première… et de reprendre la direction de l’orchestre Strauss : ce qui signifie tournée, concerts, et aussi composition (pas moins de 283 partitions ainsi laissées par Josef, dont le talent réel est à redécouvrir). Surmenage, tabac en nombre, et vie trépidante sans guère de sommeil… et Josef s’éteint de façon tragique, lors d’un concert à Varsovie, comme son père, à 43 ans.
Paraît le dernier frère, Eduard, très jaloux du génie célébré de son frère ainé Johann, lequel n’y voyant rien venir, le convainc de reprendre la direction de l’orchestre et des tournées, comme Josef… afin de pouvoir composer : c’est que Johann fils II, sacré empereur de la Valse à Vienne, s’est marié avec « Jetty » (la cantatrice Henrietta Trefftz, fin août 1862) : tout en composant une série de chef d’oeuvres dans leur hôtel particulier somptueux de Hietzing au bord du parc de Schönbrunn, – Le beau Danube Bleu, se consacre désormais à l’opérette, avec les succès que l’on sait. Henrietta qui fut cantatrice (inspirant Berlioz et Mendelssohn), l’a probablement inspiré. C’est désormais un compositeur de la nuit, qui écrit ses chefs d’oeuvres, entre 22h et 6h du matin, les faisant valider par son épouse, très jalouse de leur confort intime… Ainsi naissent plusieurs sommets lyriques dans le genre léger et qui recyclent en les sublimant les valses désormais célèbres, à l’invitation de Maximilian Steiner, le directeur du Theater An der Wien (parmi les plus aboutis au côtés de La Chauve souris, se distinguent Le Baron Tzigane, et Le chevalier Pasman…ce dernier ouvrage est encore moins connu). Voilà qui électrise encore un génie musical qui fut proche de Bruckner et de Brahms (plusieurs photos d’époque attestent de leur belle amitié et compréhension réciproque); et qui fut admiré de Wagner, Ravel…
Bien d’autres épisodes retentissants et romanesques émaillent le récit de ce texte captivant, court et contrasté (comme un très bon opéra) : la mort tragique de Jetty, les remariages plus ou moins heureux de Johann II, la terrible vengeance d’Eduard après la mort de son frère Johann II. La dynastie Strauss, père et fils, fut aussi une fratrie dont il faudrait démêler les passions et conflits personnels à Vienne, à l’époque où bientôt Freud formulera le fonctionnement, causes, conséquences et symptômes de la psyché et des pathologies conscientes ou non… De ce point e vue, le récit est doublement passionnant. Car sous l’esprit de la Valse, c’est ce flot impétueux de l’âme humaine qui sublime ses propres doutes et ses insondables élans… Lecture incontournable. En prime, une excellente chronologie sur le contexte politique et historique (qui complète le récit premier).
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LIVRE événement, annonce. JOHANN STRAUSS, le père, le fils et l’esprit de la Valse par Alain Duault (collection Classica, Actes Sud, octobre 2017). SBN 978-2-330-08631-2 / prix indicatif : 16, 80€. LIRE AUSSI notre annonce du livre JOHANN STRAUSS père et fils
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Agenda, actualité :
LE BARON TZIGANE de J. Strauss II / Nouvelle production à l’Opéra des Nations de Genève / du 15 déc. 2017 au 6 janvier 2018 / OPÉRETTE EN 3 ACTES DE JOHANN STRAUSS – Livret de Ignaz Schnitzer d’après la nouvelle Sá de Mór Jókai.
Créé à Vienne le 24 octobre 1885 au Theater an der Wien. Créé en version française à Paris le 20 octobre 1895 aux Folies dramatiques.
CONCERT DU NOUVEL AN à VIENNE, le 1er janvier 2018 : diffusion en direct sur France 2 à partir de 11h : cette année, pour fêter l’an neuf, 2018, le chef milanais Riccardo Muti dirige les Wiener Philharmoniker…