Ainsi comme l’émanation de son âme romantique habitée par la figure du Hollandais maudit, chaque apparition du damné cherchant la rédemption, est présentée comme s’il s’agissait d’un rêve; surgissement de la légende éternelle dans la réalité du drame lequel commence dès l’ouverture par l’apparition de la jeune femme dans… un cimetière : un tableau lugubre, semé d’éclairs, digne de Roman Polanski ou de Tim Burton (ressuscités sortant des tombes en prime), au gothique romantisant dans le style de Caspar Friedrich; l’idée est intéressante: elle souligne l’esthétique ténébriste et médiévale du drame, la couleur fantastique et surnaturelle de l’action proposée.
Mais curieusement, à la fin de l’opéra, quand Wagner imagine une fin heureuse (les retrouvailles de Senta avec son « idôle »), Petrika Ionesco fait réapparaître l’amoureuse dans le même cimetière, seule et vaincue, comme terrassée par un songe amer, devenu cauchemar: l’opéra s’achève ainsi sur une note sombre et tragique. C’est pour nous un contresens, infidèle au mythe amoureux de Wagner qui, contredisant les opéras shopenhaueriens et plutôt désespérés à venir, soit Tannhaüser, Lohengrin et jusqu’à Tristan und Isolde évidemment, s’incarne ici de façon unique, en une rencontre parfaite, une issue positive pour les amants convoqués. Avec Der Fliegende Holländer, le compositeur met en scène sa vision idéale de la femme salvatrice, fidèle, aimante, totalement dévouée, avec laquelle a contrario des propositions suivantes, l’aimantion est non seulement possible mais durable.
Spectacle hautement visuel
Dès une date relativement précoce (1843), Wagner représente dans Le Vaisseau fantôme la résolution du sujet récurrent de son oeuvre lyrique: le salut de l’artiste grâce à la vertu d’une femme parfaite (ce qui n’est pas le cas d’Elsa dans Lohengrin, par exemple: trop soupçonneuse, trop manipulable). Même s’ils se retrouvent dans la mort, après que Senta ait prouvé sa loyauté indéfectible en se jetant dans la mer (l’amour jusqu’à la mort), l’opéra s’achève sur l’union du couple: les deux êtres se sont rencontrés, compris, unis. Alors pourquoi, dans le tableau du cimetière qui ouvre et clôt la production, souligner l’idée d’un échec par la solitude et le désespoir de Senta?
Nonobstant cette vision finale qui nous paraît contestable, la réalisation scénographique ravira les lecteurs de bandes dessinées: grâce à une machinerie assez complexe et très efficace (dont les déploiements permanents, décors mobiles et trappes basculant, s’ouvrant, se refermant, nous rappelant ces livres d’enfants aux silhouettes découpées), les tableaux s’enchaînent avec fluidité; passant du cimetière préalable, au pont du bateau des norvégiens, puis jusqu’à la maison de Daland, réunissant Senta et le choeur féminin au début du II. Les projections vidéo évoquent avec la même aisance, l’avancée du bateau en pleine mer, les deux tempêtes, enfin les flots ultimes dans lesquels plonge la jeune amoureuse… Par contre on veut bien nous expliquer ce que les pilules rouges qui s’élèvent hors des flots vers le ciel signifient alors? Serait-ce à nouveau un rappel des origines extraterrestres du Hollandais? Ses déplacements ne pouvant se réaliser sans l’aide de capsules volantes, rouges intense, de ce type…
L’apparition du Hollandais emprunte à la science fiction et aux films fantastiques (Les Chroniques de Riddick): pour accuser son origine étrangère, l’immortel maudit est ici un extraterrestre dont chaque avancée est précédée par un groupe d’hommes en combinaisons noires avec appareils de détection luminescents (références à l’armée des Nécrommongers?); L’idée de l’ancre géante à laquelle le Hollandais est associé, comme s’il s’agissait de sa croix, est également assez juste: il s’agit bien d’une âme perdue, en souffrance, dont la quête du salut est l’unique dessein.
Déjà remarquée au Deutsche Oper de Berlin en 2011, dans un rôle particulièrement redoutable tant il exige puissance et aigus timbrés (Danaé, dans l’ouvrage éponyme de Strauss), la jeune soprano allemande Manuela Uhl se tire honorablement du rôle de Senta ; Même si d’un bout à l’autre, sa prestance manque d’incandescente passion, la voix passe sans forcer le volume de l’orchestre pourtant impressionnant; dommage cependant que ses aigus souvent tirés évitent cet angélisme aérien qui est très présent dans le rôle; néanmoins, son duo au II où elle scelle son destin à celui du Hollandais reste le meilleur moment de la soirée: accord entre les deux chanteurs, rapport équilibré avec l’orchestre, et éclairage soudainement chambriste d’une partition pourtant éruptive: la fusion amoureuse se produit de facto sur la scène liégeoise. Et le Hollandais justement? Mark Rucker dévoile un beau timbre certes, mais la voix reste petite, pour nous sousdimensionnée pour le rôle et son premier monologue peine à colorer et nuancer la projection du texte qui demeure souvent compacte et trop basse.
Le Daland du baryton Alastair Miles, contrairement à ses partenaires reste magnifiquement proche du texte, préservant la part théâtrale voire expressionniste du personnage; Erik, le premier soupirant finalement éconduit de Senta (Corby Welch) ne manque pas de relief; et le matelot de Yuri Gorodetski assure par ses airs le passage de la réalité au sommeil, l’immersion de la scène dans le surnaturel quand le Holländais et sa troupe de gardes fantastiques paraissent; même Joëlle Charlier fait une Marie, vraisemblable, vocalement présente, plus dominatrice en uniforme que vieille nourrice attendrie, véritable mère la morale, fustigeant verbalement Senta… qui évidemment étouffe davantage dans une maison ainsi soumise à règlement disciplinaire.
Soir de première oblige, la performance des acteurs chanteurs gagnera encore, au cours des prochaines représentations, ajustements voire écoute plus nuancée… Voici sans réserve une nouvelle production hautement visuelle, au gothique surnaturel parfaitement explicite qui convaincra une très large audience, d’autant que les musiciens, sous la direction du directeur musical à Liège depuis 2007, Paolo Arrivabeni, expriment avec engagement le souffle marin de la partition, sa houle irrépressible qui inspire chez Wagner, et les éclairs et déflagrations spectaculaires à l’orchestre et, s’agissant du choeur, le sublimes chant des matelots: en ce sens, les choristes se montrent d’un bout à l’autre de la soirée, irréprochables.
La nouvelle production du Vaisseau Fantôme, Der Fliegende Holländer (Dresde, 1843) est à l’affiche de l’Opéra Royal de Wallonie (Palais Opéra) à Liège, les 27, 29 novembre, puis 1er et 3 décembre 2011. Le 29 novembre, diffusion en direct sur internet à partir de 20h, sur le site dédié de l’Opéra Royal de Wallonie: www.dailymotion/operaliege (rendez vous numérique gratuit incontournable). L’Opéra Royal de Wallonie à la pointe de la révolution numérique propose ainsi chaque mois, la diffusion en direct sur internet de sa production lyrique à l’affiche (live web de l’Opéra Royal de Wallonie). Nombreuses vidéos et sessions de répétitions sur le site de l’Opéra Royal de Wallonie, hébergé chez dailymotion (www.dailymotion/operaliege).
Liège. Palais Opéra, Opéra Royal de Wallonie, le 25 novembre 2011. Wagner: Der Fliegende Holländer. Mark Rucker (le Holländais), Manuela Uhl (Senta), Alastair Miles (Daland), Corby Welch (Erik), Joëlle Charlier (Mary), Yuri Gorodetski (le matelot)… Choeurs d’opéra de Namur, Choeur et orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie. Paolo Arrivabeni, direction. Petrika Ionesco, mise en scène.
Prochaines productions lyrique à Liège: pour les fêtes, La fille de Madame Angot de Charles Lecocq, du 22 au 31 décembre 2011. Puis, le très rare opéra de Rossini ainsi dévoilé: L’Equivoco stravagante, joyau comique créé à Bologne en 1811, et exhumé par le directeur de l’Opéra Royal de Wallonie, Stefano Mazzonis di Pralafera (qui en signe aussi la mise en scène), du 22 février au 4 mars 2011. Prochain reportage vidéo spécial sur classiquenews.com