Personnalité centrale du monde musical au XIXè, Saint-Saëns entretint une correspondance fournie avec Hahn, Liszt, Messager, des relations étroites avec Berlioz, plus passagères avec Bizet et Gounod, inégales avec Wagner… Sélectionnées dans le fonds du musée-château de Dieppe, voici lettres et missives adressées par les compositeurs de son temps au grand Saint-Saëns, « honoré ami » (Liszt). Surprises, révélations, découvertes sont à la clé de cette série de passionnantes lectures. Un apport en facettes qui défait l’image du Saint-Saëns solitaire, inaccessible, finalement très proche de la jeune génération…
Ce « catalogue » des lettres ou missives adressées à Saint-Saëns témoigne de l’immense fonds épistolaire lié au Maître de Dieppe: le compositeur né parisien entretient néanmoins de constante relations avec la Normandie, au point de déposer de son vivant auprès des archives de la ville, l’ensemble des éléments de sa correspondance, du moins les documents qu’il n’a pas détruit: l’actuel musée-château de Dieppe regroupe aujourd’hui un corpus documentaire unique pour la connaissance de son oeuvre et de sa vie.
Le livre témoigne de ce fonds d’une richesse inouïe. N’y paraissent pas les lettres de ses intimes Fauré, Charles Lecoq ou de son éditeur Auguste Durand… les presque 700 pages du recueil n’y aurait pas suffit et chaque correspondant ainsi écarté, momentanément, devrait être le sujet particulier d’une publication dédiée.
Une longue introduction justifie le choix des « correspondants » élus, présente les critères de sélection. Ainsi paraissent Nikolaï Rubinstein, frère moins célèbre que son frère Anton et comme lui compositeur (et aussi excellent chef), Théophile Ysaÿe, frère d’Eugène qui créa le Quatuor à cordes n°1 opus 112 (1899)… et combien d’autres -tous ainsi présentés de façon alphabétique (la présentation selon les thèmes abordés aurait demandé une analyse systématique trop fouillée) que la postérité a dévoilé ou maintenu dans une secrète position: Alkan, Busoni, Von Bülow, Busser, Caplet, Bruneau, Chabrier, Charpentier, Chausson, Dubois, Dukas, Hahn, Halévy, d’Indy, Massenet, Tchaïkovski, Thomas….
La compilation offre des éclairages insoupçonnés sur la vraie relation entre le compositeur et ses « confrères »: Meyerbeer, Gounod (qui s’exile à Londres aussi pendant la Commune), et dans une moindre mesure (lettres trop courtes parfois du fait des rapports fréquents à Paris), Berlioz (approché autour de Gluck), Bizet. Avec Wagner, les choses sont moins égales, surtout après la défaite de 1870: Saint-Saëns est capable de faire jouer Tristan dans le salon de la Princesse de Metternich, mais il met en garde aussi contre les effets désastreux du système wagnérien sur les compositeurs français.
Superbe correspondance en revanche que celle de Liszt, née d’une profonde et constante estime.
La sélection sait aussi mettre en lumière l’engagement du Saint-Saëns pédagogue certes de courte durée (1861-1865) au sein de l’école Niedermeyer: il reste très fidèle à ses amitiés alors nouées (outre Fauré) et entretenue dans l’association des anciens élèves, avec les organistes dont Gigout, Guilmant, Widor et Vierne… Surprenante, la ferveur de Saint-Saëns pour les Italiens; d’où l’essai d’un contact à l’initiative de Verdi, parisien, pour la création de Falstaff à l’Opéra en 1894…
Mais la question la plus passionnante demeure les relations de Saint-Saëns avec la nouvelle génération: Dukas, pressenti comme un jeune génie et vite écarté quand celui-ci succombe au symbolisme; puis Georges Hüe, Gabriel Marie, Philippe Gaubert, Gabriel Pierné et surtout Max d’Ollone qui devait composer le ballet Bacchus mystifié à la place de Saint-Saëns, indisponible. Une place privilégiée est celle de Reynaldo Hahn, indéfectible admirateur (pour Ascanio qu’il dirige en 1921, quelques jours avant le décès de Saint-Saëns).
L’intérêt biographique, sociologique, esthétique des documents publiés (600 lettres adressées par quelques 100 correspondants) rend captivante la lecture des missives et lettres plus développées. C’est une photographie appliquée sur une période longue, des années 1840, Louis-philippardes au lendemain de la première guerre (1921). Saint-Saëns, passeur entre la tradition formelle allemande et l’éclat renouvelé des grands orchestrateurs (Ravel et Debussy) se précise évidemment ici. Voici une occasion exceptionnelle de connaître par les coulisses le réseau des connaissances d’un grand maître du romantisme français.
Lettres de compositeurs à Camille Saint-Saëns. Présentées et annotées par Eurydice Jousse et Yves Gérard. Collection Perpetuum mobile. Editions Symétrie.
Un cahier central de presque 30 pages présente, en couleurs, issus de la collection du Musée château de Dieppe, quelques portraits des compositeurs-correspondants de Saint-Saëns et Saint-Saëns lui-même: cliché photographiques (Berlioz, Fauré, Liszt…), portraits charges (Rameau accompagné d’une portée autographe de Castor et Pollux, Boito, Charpentier, Dubois… par Aroun al Rascid)
La présente publication suit l’exposition présentée au musée-château de Dieppe (novembre 2008-mars 2009), qui a mis en lumière l’abondante correspondance et la richesse des objets liés au compositeur, déposés aujourd’hui en Normandie: exposition à Dieppe, « Camille Saint-Saëns et les compositeurs ».
Illustration: Camille Saint-Saëns (DR). Portrait charge de Gustave Charpentier par Aroun al Rascid alias Umberto Brunelleschi (estampe tirée de l’Assiette au beurre n°78, septembre 1902).