samedi 20 avril 2024

Les Voix. Mélodies & Airs d’Opéras FrançaisGraham, Crespin, Stutzmann, Von Stade… 6cd Sony Classical

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Des velours qui ensorcelent… Superbe et généreux coffret de Sony classical qui en 6 cd est tout entier dédié à la voix. Voix et chant divins des enchateresses francophones, diversement accentuées cependant (Beverly Sills, Susan Graham… mais à peine distancées par l’impériale et indiscutable Régine Crespin). Quant à Frederica Von Stade s’y montre tout simplement éblouissante.
Quel bonheur de (re)découvrir pour tout un disque les mélodies serties (24 au total et toutes musicalement accomplies) comme de subtiles camés antiques signées de l’ineffable et captivant Reynaldo Hahn: le musicien fin lettré et amateur de voix et d’articulation ciselées, lui-même chanteur, savait comme personne colorer et peindre, entre suave suggestion et lugubre éclairs une atmosphère (visions des demoiselles avignonaises du saisissant « Trois jours de vendange »…); le mezzo onctueux de Susan Graham pallie son manque de clarté articulée par une onctuosité perlée du timbre dont un medium des plus chauds. Point fort, cette « Enamourée », plus posée que blessée et tendre… on regrette presque la récente gravure si accomplie de Anna Netrebko. Tout est ici dit avec pudeur, à pas menus, avec un frémissement à peine appuyé (« Mai »): c’est une série de grisailles magnifiquement musicales mais qui perd souvent la saveur d’un français plus nettement projeté et articulé. Nonobstant le timbre est d’une telle beauté et l’intensité dans l’intonation, admirablement calibré… d’autant que le piano de Roger Vignoles est un exemple de climats nuancés et de couleurs rares : n’écoutez que les divins arpèges ascensionnels et suspendus de « Fumée »… (CD3).


Divas du beau chant français

En 1992, plus naturelle et d’une liberté quasi fantaisiste (l’avantage de la langue native), Nathalie Stutzmann (CD6) rayonne par son Fauré exquis (la papillon et la fleur… Les Roses d’Ispahan) et d’une intériorité moins explicite, ambivalente et trouble des 5 Mélodies de Venise: rythmes et accents capricieux de l’admirable Mandoline… Il faut dire que la contralto bénéficie du pianisme à la fois brillant et palpitant de Catherine Collard. Nouveau duo au sommet.
Moins immédiatement évidente dans les airs français, bien que Manon légendaire, l’américaine Beverly Sills (CD5), avec le Philharmonic de New York, ourle une suavité parfois maniérée la série de mélodies hexagonales, offrant un legato de rêve, et un vibrato couvert dans le souffle parfaitement maîtrisé. La coloratoure enchantera ses admirateurs: les kitcheries symphoniques d’Ouvre ton coeur de Bizet met en avant l’agilité de la diva américaine… reste que ce vibrato affecté nous gâche un peu le plaisir par manque de simplicité. Chaque phrase y semble négociée pour sonner et faire son (petit) effet. A peine plus de sobriété pour « O quand je dors »: rêve de Liszt ici encore surdimensionné par une projection surdécorative et un orchestre qui semble jouer en collant au micro. Heureusement Koechlin (Si tu le veux) et Les Chemins de l’amour de Poulenc rétablissent un format plus chambriste plus en accord avec l’esprit intime des airs. Mais devant « Les filles de Cadix » dont Sills fait un air de concert hollywoodien, moyens vocaux à l’appui, on reste … sans voix… et on applaudit. Même si la perfection existe pour cet air saisissant de Delibes… réalisé par la non moins mémorable Victoria de los Angeles. Belle surprise pour le Granados (La Maja y el ruisenor): le diamant blessé de dame Sills ajoute sans sureffet à ce flux tragique qui s’écoule en mélopée de l’âme.
Elle a servi avec un style et une élégance unique l’opéra français romantique: timbre lui aussi blessé idéal pour les airs implorants et nostalgiques, la voix de Frederica Von Stade (CD1) éblouit aussi par cette énergie et cette très belle intensité au service de rôles qui semble taillés pour elle: Béatrice et Bénédict à tirer les larmes (pureté et pudeur dans un legato qui suit le souffle sans contrainte); Werther de Massenet (Charlotte terrassée); Marguerite berliozienne (D’amour l’ardente flamme… sensuelle et elle aussi irradiante: un accomplissement); et son Mignon (Thomas): une leçon de charme vocal convoquant concrètement la nostalgie d’un paradis proche et pourtant inaccessible: âme ardente tiraillée par une intensité irrésisitble… Même aplomb pour Les Huguenots (Nobles Seigneurs, salut!) avec un abattage qui suit de près le texte (à la différence de Sills). Les deux Offenbach sont plus que perles: pures délectations produites par une immense interprète qui sait varier et nuancer entre deux registres: vérité et liberté fantaisiste.
Tel un cycle de ciselures surréalistes, et d’un réalisme étrange, aux couleurs flamboyantes, les Histoires Naturelles de Ravel, dites avec quel génie de la langue, par Régine Crespin (CD2), actrice, diseuse sans équivalent: son Paon a ce panache grandiloquent, cette arrogance dérisoire, cet abandon au temps où la gestion du verbe habité tient tout la tension: quel portrait animalier ! comme un Cygne glissant et ondulant grâce au poli d’une voix à l’intelligibilité exemplaire: un modèle inégalé pour tous les mélodistes présents et à venir. Gouaille d’un raffinement persistant et des aigus sonores directs pour Satie (Je te veux…) sans omettre ce sens accompli de la nuance (subtilité délirante La Diva de l’Empire et son franglais délicieusement ouvragé). Couplage surprenant qui aux Ravel et Satie ciselés avec tant de finesse, ajoute ce « Ah perfido » de Beethoven où se distingue en italien ce romantisme sculpté avec véhémence et dignité auquel la soprano française offre sans limitation le rayonnement de son chant cristallin et franc. A t on depuis écouté au concert un tel abattage et une telle distinction? Du diamant et celui là, le plus pur. Coffret indispensable. Décidément Sony classical a bien raison de rééditer les joyaux de son catalogue.

Les voix. Mélodies et airs d’opéras français. Frederica von Stade, Régine Crespin, Susan Graham, Beverly Sills, Nathalie Stutzmann. Berlioz, Meyerbeer, Gounod, Thomas, Delibes, Bizet, Massenet, Ravel, Satie, … (6 cd)

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