vendredi 19 avril 2024

Les Voix du Prieuré Bourget du Lac (73), du 19 mai au 16 juin 2009

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Les Voix du Prieuré
Bourget du Lac (73), du 19 mai au 16 juin 2009

Musiques vocales croisées : traditions et créations

Pour la 6e année, le festival initié à Bourget du Lac par Bernard Tétu veut faire découvrir au plus grand nombre la musique vocale contemporaine, en particulier dans son rapport au sacré. La présence « en résidence » de Philippe Hersant marque, entre autres, ces concerts et rencontres où les Solistes de Lyon, Les Eléments, le Chœur du Wurtemberg et Résonance Contemporaine explorent maîtres anciens et nouveaux.

Patrimoine, chantier, laboratoire

Cela dure depuis longtemps, oui, consultons les tablettes : six ans déjà…Les Voix du Prieuré résonnent et se font écho en renvoyant au long mur calcaire appelé aussi « Dents du Chat », qui domine au couchant le mince, l’élégant Lac du Bourget. Une surface d’eau où, nul ne peut l’ignorer, le Temps – depuis les amours de Julie Charles et Alphonse de Lamartine – suspend son vol. Mais laissons à d’autres invocateurs le romantisme littéraire et musical : le Festival du Bourget se vocalise – pour l’essentiel – et se loge en patrimoine médiéval, église et justement prieuré. Son fondateur et inspirateur, Bernard Tétu, répète d’ailleurs qu’il s’agit là « d’un chantier permanent et d’un laboratoire ». Donc centré sur l’expérimentation, et prioritairement les musiques d’aujourd’hui, même si on ne s’interdit nullement les échos du XVIe au XXe, pourvu qu’ils soient signifiants dans le projet d’ensemble. Gravité, certes, mais pas vraiment austérité – en tout cas gratuite -, et convivialité. Car la pratique de relation des musiciens – interprètes, organisateurs, compositeurs – est « vertueuse et festive ». Les spectateurs sont admis aux répétitions, il y a partage de banquets républicains (donc frugaux) dans les horaires de travail, et surtout un intense travail est accompli dans les mois qui précèdent juin avec le milieu scolarisé (musique et autres) de Savoie. Au début de la session, 3 parcours d’accompagnement choral sont offerts aux enseignants et enseignés de la région, avec ateliers, réunions, dialogues avec les compositeurs.

Philippe Hersant à livre ouvert

Car résidence(s) il continue à y avoir, et c’est un des points forts des Voix. Comme le titre la déclaration d’intentions : « la musique contemporaine est contagieuse ! », et Bernard Tétu ajoute : « Faire mon métier de musicien, c’est au fond souhaiter partager mes passions. Partager le plaisir des découvertes d’auteurs et d’œuvres fortes, et le bonheur d’approfondir pas à pas une partition en la faisant vivre. » En 2009, après Betsy Jolas et José Evangelista, c’est Philippe Hersant qui « réside ». Sa personnalité accueillante et calme dit bien les options de ce tout jeune sexagénaire qui fut élève de Jolivet, boursier Velasquez (à Madrid) et Médicis (à Rome, où il naquit). Philippe Hersant semble devenu sans tapage et en toute modestie l’un des chefs de file d’une nouvelle école française très post-sérielle, qui accepte tous les héritages de l’histoire musicale. D’autant que cette continuité d’écriture musicale s’accompagne d’une lecture « à livre ouvert » et d’une fréquentation d’ouvrages de chevet (Goethe, Rimbaud, Hölderlin, Trakl…), ce dont témoigne un catalogue très large et fort équilibré entre musique symphonique, musique de chambre et opéra (« le Château des Carpathes », d’après Jules Verne) : bien sûr, c’est refus du néo-classicisme, mais mise en espace tonal et modal s’il le faut (ou atonal si nécessaire, notamment par rapport au texte)…. Si « nous autres civilisations savons que nous sommes mortelles », nous n’en communiquons pas moins de l’autre rive du Styx, pour moins grand malheur des humains d’ensuite… Et s’il en est une qui passionne Philippe Hersant, c’est bien la romantique allemande, avec son cortège de variations existentielles sur la venue de la nuit, et le moment privilégié du clair-obscur. Ceux qui ont lu Les Hymnes à la Nuit de Novalis connaissent ces valeurs inversables entre lumière et ombre, nuit et jour, et les partitions schubertiennes chorales choisies par B.Tétu en contrepoint du Clair Obscur (lui-même inspiré à Philippe Hersant par la poésie mystique, pascalienne, baroque et allemande de Catharina Regina von Greiffenberg, XVIIe) « éclairent » le chemin qui va vers l’intérieur… Cet admirable concert avait été créé au festival d’Ambronay (septembre 2008, voir classiquenews, information et critique), le voici donc en session de rattrapage savoyarde, avec les mêmes interprètes (B.Tétu dirigeant ses Solistes de Lyon, la violiste Christine Plubeau, le pianiste Jonas Vitaud), et sans doute encore approfondi par un automne, un hiver et presque un printemps. Enrichi aussi par la résidence de l’auteur….

L’Allemagne et Mère Méditerranée

C’est aussi de l’Allemagne qu’il s’agit, mais d’une Allemagne tragique et coupable, quand le Chœur de Chambre du Wurtemberg (dirigé par Dieter Kurtz) joint à un motet de Schütz (en 1648, quand s’achève la cruelle Guerre de Trente Ans) et à Schoenberg le « Friede (Paix) Anno 48 » écrit en 1936 par Karl-Amadeus Hartmann sur un texte d’Andreas Gryphius. K.A.Hartmann, « un Juste » qui accomplit, sans jamais quitter son pays tenu par le nazisme, une œuvre de rigueur qu’il maintint dans le silence du mépris et de la dignité tant que les criminels de croix gammée furent au pouvoir (il avait dénoncé leurs forfaits dès 1934 dans une œuvre qui évoquait le camp – déjà ouvert ! – de Dachau), et alors que bien d’autres musiciens, ses collègues, se couchaient devant les maîtres pour en mendier caresses, honneurs et argent (voyez le dictionnaire des compositeurs et interprètes, par exemple aux lettres O, K et S). Histoire de nous rappeler qu’il faut penser à la Paix, tandis qu’on « célèbre » en 2009 le 70e anniversaire du début de la 2nde Guerre Mondiale….
Rencontre de civilisations autour de Mère Méditerranée (comme titrait un des premiers et maîtres livres de Dominique Fernandez), et ainsi que l’enseigna en synthèse de culture l’historien décisif Fernand Braudel : l’ensemble Les Eléments, de Joël Suhubiette, le donne à écouter en 4 langues anciennes (hébreu, latin, araméen, grec) pour des polyphonies, du Livre Vermeil de Montserrat ou de Gesualdo à Petrassi, et en privilégiant par deux créations le relais actuel de textes fondamentaux. Le Libanais Zad Moultaka travaille sur les Sept Paroles du Christ en Croix, et le Grec Alexandros Markéas sur la folie des Bacchantes d’Euripide là où le Chœur demande : « En quoi consiste la sagesse, en quoi la gloire suprême, accordée aux mortels par les dieux, sinon à tenir une main victorieuse sur la tête de nos ennemis ? Ce qui est beau, toujours on l’aime. » Quant à l’Ange, créature certes ailée mais sans sexe et messagère du Dieu chrétien en Orient comme en Occident, La Résonance Contemporaine en ses six voix solistes (sous la direction d’Alain Goudard) le chantera, depuis l’auto (acte) sacramental du XVIe portugais, la Barque du Paradis (Gil Vicente) jusqu’à des créations ou reprises de Jean-René Combes-Damiens, Pekka Kostiainen, Jacques Lejeune,
Jean-Claude Wolff et José Evangelista.

Un tel ensemble sur 4 jours de milieu juin constitue le couronnement de cette session 2009, qui aura aussi égrené depuis le 19 mai d’autres manifestations avec Résonance Contemporaine (« 7 jours, 7 nuits »), les « voix buissonnières» des Solistes de Lyon (29 mai, 3 concerts dont 2 scolaires), Les Vagues Vocales (rencontre de chefs, compositeurs et participants régionaux d’ensembles musicaux, dans le monde scolaire, 3 fois le 30 mai), l’ensemble 20-21 (1er juin), et la Maîtrise de l’Opéra National de Lyon (6 juin)…Pour que le Prieuré puisse mieux et plus longtemps résonner de Voix inspirées.

Les Voix du Prieuré, Bourget du Lac (73) Du 19 mai au 16 juin 2009. Concerts 19 mai, 21 mai, 30 mai, 1er juin. Samedi 6 juin (18h) ; dimanche 7 (19h) ; jeudi 11 (20h30) ; samedi 13 (20h); dimanche 14 (19h); mardi 16 (20h30). Information et reservation : T. 04 79 25 01 99; 04 72 98 25 30; www.lebourgetdulac.com

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