mercredi 17 avril 2024

Lenche. Théâtre, Friche du Panier. Le 30 janvier 2010. Édouard Exerjean, pianiste et conteur. Cocteau, Auric…

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Cocteau: du visible à l’invisible

Édouard Exerjean, pianiste admirable puis conteur remarquable, diseur, pianiste et acteur à la fois désormais, nous a tellement habitués à l’excellence, qu’on trouve pratiquement normal qu’il nous offre un visible spectacle où l’aisance, la fluidité entre parole et piano, coulant comme de source, cachent tout l’invisible travail minutieux et acharné de cette réussite.
On avait aimé ses autres récitals piano/textes, un mémorable Colette, à la fois raffiné et plein d’humour. Ici, il renouvelle cet exploit de l’énorme travail qu’il faut imaginer de recherches minutieuses pour présenter une palette de textes de Cocteau, beaux, émouvants, drôles, toujours pertinents, assaisonnés d’un éventail de pièces de piano d’amis du poète, dramaturge et esthète, qui sont comme une auréole poétique plus qu’une illustration, une toile sonore de fond, un véritable contrepoint musical.
La scène, nue, six simples chaises, trois noires, trois blanches, dans une alternance chromatique du clavier du piano, posé au fond, tel un noir oiseau, aile déployée, arrêté en plein vol, attendant l’envol de la musique sous les doigts du pianiste. D’une chaise à l’autre, Exerjean dit ses textes choisis, avec une sensible gourmandise des mots succulents qui mettent l’eau à la bouche, qu’il nous fait déguster savoureusement, avant de nous délecter de pièces de musique : évidemment, le fameux « Groupe des six », parrainé par Cocteau, Darius Milhaud, Francis Poulenc, Arthur Honegger, Georges Auric, Louis Durey et Germaine Tailleferre, qui marquèrent le renouveau musical des années 20 en France, s’émancipant de Wagner et de Debussy, mais aussi Henri Sauguet, Jean Wiener ; naturellement, Satie, et Kurt Weil exilé en France, dont il nous donnera un nostalgique Youkali plein de rêveuses nuances, sans oublier le sombre et magnifique prélude n° 15 de Chopin.
Mais, au-delà d’un plus que bon pianiste qui joue de la bonne musique, c’est le « diseur » Exerjean qui étonne : 1 heure 20 de musique et de textes sans une défaillance, sans un trou, sans un mot bousculé ou hésitant, sans une consonne malsonnante ou trébuchante. Quel bonheur !
Il y a des textes d’émotion sur le vain retour au passé démoli (« Ma mémoire n’ayant plus de lieu, je devais emporter le bagage »), d’amour pudique à Jean Marais dormant, ami, amant, enfant, des textes fondés sur des chutes inattendues pleines d’humour, des « mots », des sentences prophétiques sur la Bourse, le réveil de l’Islam, des boutades (« Hugo se lançant dans un long monologue qu’il appelait conversation », des saillies : « L’erreur du Christ n’est pas la crucifixion mais le Vatican », un irrésistible portrait de la bavarde Anna de Noailles, un extrait magnifique de son discours d’entrée à l’Académie française et, surtout la réponse ferme, digne, d’une juste cruauté à un article du tartuffe Mauriac, cloué au pilori par cette sentence finale qui définit si bien Cocteau : « Je hais la haine. »
Oui, Exerjean aime la musique, les textes, aime aimer, c’est sensible, et fait partager un amour que le public lui rend bien.

Lenche. Théâtre, Friche du Panier. Le 30 janvier 2010. Édouard Exerjean, pianiste et conteur. Textes de Jean Cocteau, musiques d’Auric, Chopin, Durey, Milhaud, Honegger, Poulenc, Satie, Sauguet, Tailleferre, Wiener, Weil.

Illustration: Christiane Robin (DR)

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