Le Surnaturel sur la scène lyriqueEditions Symétrie

Il n’y a pas de création plus saisissante à l’opéra, de réalisation plus enchanteresse… que le délire fantastique, l’essor du merveilleux, l’immersion et le surgissement du surnaturel. Le phénomène apparaît au XVIIIè avec la machinerie baroque propice au merveilleux et au spectaculaire; il se fixe non sans réussite pendant l’âge romantique avec l’avènement du genre fantastique: le surnaturel est dans les arts du spectacle lié à la vision, aux apparitions voire au délire et aux hallucinations les plus fantasques… une expérience qui enchante les sens, vécue comme le sommet de la sensation lyrique. La quête inconsciente de tout spectateur, celle du créateur soucieux de repousser toujours plus loin les frontières du neuf, de l’original, du spectaculaire; celle enfin du décorateur et scénographe, particulièrement inspiré dans la réalisation visuelle et théâtrale d’un nouveau défi. La publication interroge l’esthétique du surnaturel à l’opéra en ouvrant bien des champs de compréhension, signe évident d’une problématique très large et fertile par ses analyses et apports critiques.

Est fantastique dans la voie d’abord littéraire ouverte et amplifiée par E.T. Hoffmann, ce qui dans la trame narrative fait basculer le réel dans l’inexplicable et le stupéfiant, vers le mystérieux voire le terrifiant… Ainsi le surnaturel jaillit, croit, s’impose ; le fantastique devient un genre musical, en particulier grâce à Berlioz dont la Symphonie Fantastique de 1830 pose le jalon de la musique moderne; toute une génération de créateurs se rangent désormais sous sa bannière musicale, véritable manifeste des attentes et de la question romantique à la française.

Le surnaturel: machine à rêve

Le sujet est suffisamment riche pour nourrir une riche réflexion sur la question de l’enchantement à l’opéra. D’un colloque réalisé en janvier et mars 2009, l’éditeur Symétrie et le Palazzetto Bru Zane Centre de musique romantique française publient la substantifique moelle des interventions dont les thématiques redessinent une histoire du Surnaturel à l’opéra en France, entre 1760 et 1920… du théâtre de foire au début du XXème siècle; soit 20 chapîtres dûment thématisés, structurés, contextualisés en 4 parties principales:  » Aux sources du surnaturel, Principes identitaires, Modalités: le surnaturel mis en scène, enfin Inverses et corollaires « …

La diversité des thématiques et des approches critiques permet d’aborder un vaste champs de problématiques que pose et suscite la question du surnaturel sur la scène lyrique. Le surnaturel favorise un essor des arts visuels, livre les clés du théâtre de l’âme, excite l’imaginaire. Influences et sources, signification, modalités et formulations, enjeux esthétiques et vocabulaire musical sont analysés avec beaucoup d’acuité documentaire. De Gounod à Offenbach, de Massenet à Charpentier, de Berlioz et dès Rameau, le surnaturel inspire nombre de sensibilités à l’oeuvre, nombre de dispositifs scéniques, nombre d’écritures théâtrales.

Baroque merveilleux, romantisme fantastique: essor du surnaturel en musique

A travers ses presque 400 pages d’érudition synthétique et parfois très subjective, la publication dévoile de nombreuses approches et spécificités esthétiques selon époques et compositeurs… La machine merveilleuse s’appuie dès les opéras de Lully sur les ressources suggestives de la mécanique orchestrale. Après le créateur de la tragédie en musique, Colasse et Stuck s’intéressent aux effets spécifiques des instruments associés, entre nouveau sens du timbre, individualisation des pupitres, recherche des couleurs et des atmosphères, chacun prépare le grand œuvre surnaturel et fantastique développé ensuite par l’immense Rameau.
En prenant appui sur l’invention des faiseurs de machineries et de décors … de plus en plus proches des peintures d’histoire (voir ici les scènes réalisées par l’auguste et légendaire Ciceri), les compositeurs échafaudent tout un vocabulaire orchestral propre au surgissement surnaturel, merveilleux, fantastique, onirique; où visions et apparitions suscitent de nouvelles alliances de timbres; c’est après Rameau, l’autre grand théoricien de l’orchestre, Berlioz, romantique cette fois, qui propose la langue et la syntaxe du surnaturel et du merveilleux en musique.
Ainsi se distinguent au cours des analyses, des typologies du merveilleux: merveilleux  » obscur  » et  » lumineux « ; et leurs pendant dans le registre de l’effroi:  » terrible  » obscur « , terrible  » flamboyant « …
jusqu’au  » merveilleux chrétien  » qui dans le sillon tracé par Chateaubriand, n’hésite pas, occurrence politique oblige, à tisser la propagande du régime en place, tel L’Empereur Napoléon Ier, préfiguré en nouveau Jésus (La mort d’Adam de Lesueur). C’est aussi une approche passionnante du  » Fantastique chrétien chez Gounod  » (de La Nonne sanglante à Faust) ou une analyse non moins captivante de la notion de féerie chez Gustave Charpentier que l’on croyait rien que naturaliste.
Le lecteur prend note dans cette histoire poétique nouvelle de jalons décisifs pour l’évolution des formes: ainsi l’inatteignable Freischütz de Weber, sommet lyrique créé à Paris non sans retentissement en 1824…

Si magiciennes et mages, grands enchanteurs et sorciers attisent le traitement psychologique des caractères, offrant par opposition aux rôles plus vertueux, de saisissants contrastes, les visages du surnaturels sont aussi l’objet préféré des détournements parodiques. Au point de susciter toute une littérature lyrique secondaire et simultanée aux ouvrages originaux ( » tel qui pleure à la tragédie, rit ensuite à la parodie « ). Lecture passionnante donc livre incontournable.

Le surnaturel sur la scène lyrique, du merveilleux baroque au fantastique romantique. Les colloques de l’Opéra Comique. Ouvrage coordonné par Agnès Terrier et Alexandre Dratwicki. Editions Symétrie Recherche, série Musique romantique française sous la direction d’Alexandre Dratwicki. ISBN 978 2 914373 76 0. 360 pages. Parution: septembre 2012. 81,60 euros.