mardi 6 mai 2025

Karajan. Film de Robert Dornhelm (2008) 1 dvd Deutsche Grammophon

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Personnalité complexe que celle de Karajan dont la richesse du legs musical continue aujourd’hui d’occuper nos jours et nos nuits. Depuis le début du mois d’avril 2008, (le 5 précisément marque le centenaire de sa naissance), éditeurs de tous genres (cd, dvd, livres) célèbrent à juste titre, celui qui a définitivement affirmé sa marque comme chef d’orchestre le plus célèbre de la deuxième moitié du XXème siècle.

Le portrait documentaire de Robert Dornhelm, qui profite en extraits de tout le fonds filmique de DG, met surtout l’accent sur l’esthète: un homme de goût, à l’inflexible et super-active passion pour la musique qui était selon lui, l’expression de la beauté. Plus qu’un homme, Karajan est une exigence, un idéal et un système. Chacun parmi les témoins: et non des moindres, tels Solti, Osawa, Jansons, Thieleman…, le réalisateur Humphrey Burton, Placido Domingo, Christa Ludwig, René Kollo, Gundula Janowitz, … confirment les diverses facettes d’un profil pluriel dont le perfectionnisme terrorisait, le métier impressionnait… Les uns parlent de la pulsation et de l’agressivité de sa direction (Rattle), les autres de sa propension à ralentir (Anne-Sophie Mutter, Evgueni Kissin).

Un esthète autodiscipliné
Plus que l’évocation de sa carrière, d’Ulm (où dès 1931 il dirige en tyran), à Aix la Chapelle (où le travailleur autodiscipliné, d’une farouche détermination et même d’une nervosité explicite, impressionne), de son allégence au régime hitlérien (par opportunisme et par ambition) jusqu’à son retour à partir de 1947 (quand il est autorisé à diriger à nouveau en Allemagne), de sa direction à l’Opéra de Vienne où il fait chanter les opéras dans leur langue originelle (!), non sans justesse de vue, c’est surtout la partie dédiée finalement à l’individu qui retient l’attention. En plus d’être un musicien aguerri dont la connaissance s’appuie sur une vie de spartiate (lever à 4 heures du matin pour apprendre dans leur profondeur chaque partition… qu’il dirige ensuite yeux fermés), Karajan est aussi un mordu de technologies, qui regrette, anticipant les révolutions nouvelles à venir après lui, de n’être pas né 20 ans plus tard afin de les vivre (savait-il déjà la révolution numérique?), un pilote soucieux d’occuper tous ses créneaux de vol, un skyper chevronné, capable de diriger (comme ses orchestres) d’une main experte le gigantesque yacht dont il était propriétaire…

La musique est une expérience esthétique
En homme de théâtre qui pense et ressent tout, Karajan imagine à Salzbourg des répétions où les chanteurs approfondissent leur contact de la scène et leur jeu théâtral en playback!, un principe qui nous paraît aujourd’hui inconcevable mais qui se justifie alors car un chanteur doit savoir se déplacer sur scène. Voilà l’un des aspects du Karajan obsédé par la vraisemblance scénique et visuelle. L’homme de théâtre fut aussi cinéaste: c’est à Karajan que l’on doit finalement l’invention du film symphonique, certes après qu’il ait fait ses classes auprès de Clouzot et surtout d’Hugo Niebeling qui réalise le fameux témoignage légendaire de la Symphonie Pastorale de Beethoven. Ses propositions de films d’opéra témoignent d’une même vision totalisante et unificatrice: pour lui, la beauté du son doit aussi s’accompagner de la beauté plastique et visuelle. La musique est une expérience esthétique, tel serait l’adage que Dornhelm réussit à nous transmettre. La dernière partie concernant la collaboration des chanteurs tels Kollo, Ludwig, Fassbaender qui témoignent de l’exigence et ce contrat d’excellence si lourd à porter avec le Maître est passionnant, comme l’évocation très juste des différences de personnalités et de directions entre Karajan et Bernstein. Burton qui les a filmé chacun avec le Wiener Philharmoniker, commente sans compromis ni faux semblant leurs caractères. Le montage s’avère même succulent. Mais ce que le portrait donne aussi à voir, c’est l’humour du chef qui jusqu’à ses dernières années ne manque pas d’à propos, de malice, voire d’espièglerie comme d’auto-dérision: le réalisateur insère même un extrait de Karajan en répétition (Missa Solemnis) où le chef commente et imite les tics que doivent éviter les ténors sur le Dona Nobis… cet extrait hilarant suffirait à atténuer tout ce que l’on a dit et écrit sur la figure du commandeur, raidi dans sa grandeur… A ce sujet, Rattle se montre le plus zélé des ambassadeurs, plaidant pour un Karajan généreux, simple (à la différence de son entourage), qui n’aime pour rien faire des embrouilles…

Multiple, contradictoire, complexe, Karajan se précise pourtant devant nous par ce perfectionnisme et ce charisme exceptionnel. Ecrit par Robert Dornhelm, coréalisé par Christoph Engel, le film évite les poncifs du genre. La diversité des documents, la palette des facettes abordées, permettent de se faire sa propre opinion sur l’homme. Mais un aspect demeure indiscutable: la carrure du musicien qui fait de la musique, une vocation exclusive. La réalisation de Robert Dornhelm apporte une approche complète et large de la personnalité humaine et musicale de Karajan. Somme indispensable.

« Karajan »ou la beauté telle que je la vois. Film de Robert Dornhelm
(2008, 1h32mn). Montage et co-réalisation: Christoph Engel. A noter dans la notice, l’auto interview du biographe Richard Osborne qui se répondant à lui-même sur Karajan, laisse un portrait extrêmement précis sur l’intelligence du musicien, sur sa personnalité charismatique.

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