En quatre actes spectaculaires, par leur dimension narrative et aussi par l’ampleur des ressources musicales, dont un orchestre wagnérien, Esclarmonde reste l’un des ouvrages les plus ambitieux de Massenet. Et d’autant plus injouable que le rôle titre exige une tessiture coloratoure exceptionnellement étendue.
Le compositeur comme il le précise à son éditeur Hartmann, avait trouvé en Sybill Sanderson, l’interprète idéale : actrice et chanteuse, douée d’une agilité et d’une amplitude vocale, époustouflante. En 1975, Joan Sutherland renouvelle l’exploit en chantant et enregistrant l’opéra, permettant l’exhumation de l’ouvrage grâce au miracle d’une voix taillée pour le rôle.
L’oeuvre suit la création de Manon Lescaut (janvier 1884). C’est une période extrêmement féconde qui en 1885 inspire à Massenet, Le Cid puis Werther. Mais subjugué par le talent de son égérie, Sybill Sanderson, il réécrit le rôle de Manon Lescaut en 1887, et surtout s’attèle à Esclarmonde, l’opéra qui mettra en valeur le talent unique de la chanteuse. La cantatrice inspira encore Thaïs d’après Anatole France (créé en mars 1894). Il s’agit donc d’une rare collaboration entre un compositeur et son interprète, à la façon du peintre et de son modèle. Sybill Sanderson mourra d’une grippe en mai 1903.
Le sujet comme Lohengrin de Wagner, se concentre sur le voeu du chevalier Roland à la mystérieuse Esclarmonde, un voeu par lequel il s’engage à ne jamais chercher à connaître l’identité de sa belle fiancée. Comme Lohengrin demande à Elsa de ne pas lui demander qui il est. L’amour doit être un don, la promesse d’une confiance absolue, inaltérable.
Pourtant si Roland se parjure et trahit la promesse, sous la pression de l’Evèque de Blois (Acte III), les auteurs d’Esclarmonde, sauront conclure l’histoire sur une note positive, en permettant aux deux amants de se retrouver à la fin de la partition, résolution heureuse, absente chez Wagner.
Même si l’oeuvre a été conçue pour une interprète, l’ouvrage n’est pas qu’un prétexte : les autres rôles masculins, dont Roland, l’Evèque ou l’Empereur donnent du corps à l’ensemble et s’ils sont bien chantés, restitue à l’opéra romanesque, sa fascination féerique et épique. Dans la musique, opulente et parfois grandiloquente mais à dessein, l’antique puissance de Byzance est ressuscitée. Mais une Byzance filtrée par l’imaginaire parisien de la fin des années 1880 : le goût de l’orientalisme et du Moyen-Age, de la féerie et du fantastique se mêlent, offrant au genre lyrique, un cadre fécond pour de riches évocations musicales.
Esclarmonde
Opéra romanesque en quatre actes
Livret de Alfred Blau et Louis de Gramont
Créé à l’Opéra-Comique, à Paris, le 14 mai 1889.
Approfondir
Lire notre notule sur l’enregistrement Decca de 1975 dans lequel Joan Sutherland chante Esclarmonde.
Réédition réalisée pour les 80 ans de la cantatrice australienne.
Illustrations
L’Impératrice Theodora, mosaïques de Ravenne
La soprano Sybill Sanders dans le rôle d’Esclarmonde