(1842-1912)
Centenaire 2012
Le 13 août 2012 marque le centenaire de la mort de Massenet
Adolescence d’un génie hollywoodien
Né dans un faubourg de Saint-Etienne (Loire), le 12 mai 1842, Jules Massenet incarne à la fin du XIXè, ce postromantisme éclectique au souffle hollywoodien, comme le désigne aussi son aîné le peintre académique Gérôme (1824-1904) dont la récente exposition du Musée d’Orsay a souligné l’imaginaire méticuleux, épris de sensualité orientaliste autant que de vraisemblance photographique et d’exactitude archéologique. Les deux créateurs qui se sont liés (la curiosité de Massenet pour les autres disciplines artistiques et visuelles, reste constante toute sa vie durant) préparent par leur génie de la fresque grandiose et suggestive, l’essor futur du cinéma; voir et concevoir en grand certes mais rester fidèle à ce réalisme humain, fourmillement ciselé de détails qui ne sacrifie jamais la subtilité des évocations sur l’autel du spectaculaire.
Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’au moment où Gérôme perfectionne ses très nombreuses scènes orientalistes du Bain turc de 1872 à la grande piscine de Brousse de 1885, Massenet pareillement inspiré par l’Orient fantasmé et sensuel écrit son premier opéra pour Paris: le Roi de Lahore (1877).
Le dernier enfant d’une famille de 12 bambins grandit dans une ambiance confortable et bourgeoise féconde à l’éclosion de sa sensibilité artistique: son père Alexis est un riche industriel. A 6 ans, Jules suit la tribu à Paris; l’élève au Lycée Saint-Louis, suit la classe de piano d’Adolphe Laurent au Conservatoire de Paris dès ses 11 ans. Mais alors que le père décide pour raison de santé, une nouvelle implantation à Chambéry, l’adolescent fugue puis obtient de demeurer à Paris chez sa soeur (1855: 13 ans).
Chez Thomas, Premier Prix de Rome 1863
Installé rue de Ménilmontant (actuelle Rue Oberkampf), Massenet rafle un premier prix de piano (1859: 17 ans). Il entre dans la classe d’harmonie de Reber et d’orgue de Benoist. Le musicien se rêve compositeur, passionné déjà par la scène et le théâtre: il rejoint la classe de composition de son mentor, fidèle et constant protecteur, Ambroise Thomas, le plus grand créateur à l’opéra sous le second empire avec Gounod (1860: 18 ans). Les encouragements et l’enseignement de Thomas portent leurs fruits: Jules âgé de 21 ans remporte le prestigieux Prix de Rome de musique avec sa cantate David Rizzio (1863). Il séjourne à la Villa Médicis jusqu’en 1865: ses envois de Rome demeurent à redécouvrir, miroir d’une jeune et ardente, voire sombre et dramatique inspiration qui annonce les grands accomplissements des années 1880/1890.
A Rome, grâce à Liszt, Jules Massenet rencontre Nino de Gressy (Mademoiselle de Sainte-Marie), en octobre 1866, les deux jeunes gens se marient (octobre 1866). De cette période féconde marquée par la découverte de l’Italie datent Poème d’avril et la symphonie Pompeia.
En 1867, Massenet livre pour l’Opéra Comique, son premier ouvrage lyrique La Grand Tante.
En 1870, il est engagé dans la garde nationale. Tout en participant activement à la création de la Société nationale de musique il compose les Scènes Hongroises. Don Cézar de Bazan (1872: 30 ans) marque son retour sur la scène (Opéra -Comique). Tour à tour, les drames sacrés Marie-Magdeleine (Odéon, 1873) puis Eve (Cirque d’Hiver, 1875) marquent l’offrande de Massenet au courant de conscience religieuse très à l’honneur après les massacres parisiens de la Commune. Alors que les impressionnistes font scandale au Salon, Massenet affirme sa puissance créatrice symphonique dans les Scènes napolitaines (1876).
Le Roi de Lahore, 1877: l’envol lyrique
Pour le Palais Garnier flambant neuf, Massenet livre un opéra nouveau Le Roi de Lahore, au subtil orientalisme qui en 1877 l’impose définitivement à Paris sur la scène lyrique. A 33 ans, il obtient succès et distinctions officielles, la consécration d’une carrière dont les débuts ont été marqués par le Prix de Rome, obtenu 14 années auparavant. En 1878: Massenet (portrait ci dessus à l’époque du Prix de Rome), est nommé professeur de composition au Conservatoire et aussi, membre élu de l’Institut (contre Saint-Saëns!). Sa carrière officielle aurait gravi une marche plus haute encore s’il avait accepté la direction du Conservatoire, à la mort d’Ambroise Thomas: c’est Théodore Dubois qui occupera finalement le poste si prestigieux (1896).
Les années 1880
Pour l’heure au début des années 1880, Massenet inaugure un cycle de réalisations lyriques qui synthétisent les tendances opératiques de son époque: éclectisme historique, sensualité ardente, dramatisme souvent spectaculaire; avec, d’oeuvre en oeuvre, sur le mode sacré puis profane, le perfectionnement de son écriture de plus en plus dédiée à la psychologie des héroïnes féminines. Ainsi La Vierge (légende sacrée, Opéra, 1880), Hérodiade (La Monnaie, Bruxelles, 1881), Manon (Opéra-Comique, 1884). Le Cid (Opéra, 1885) conclue une première période où Massenet tente de réformer le genre du grand opéra français. Et de ce point de vue, Le Cid malgré ses immenses réussites dont des airs de solistes parmi les plus beaux composés pour l’Opéra de Paris, auprès de Gounod et de Thomas (« Pleurez mes yeux » de Chimène, ou les deux « tubes » du rôle-titre: « O noble lame étincelante » et « Ah tout est bien fini »…, par exemple) marque le sommet et aussi le dernier jalon du grand opéra français romantique inauguré par Meyerbeer et Halévy. Pourtant son succès fut retentissant, plus grand encore que Le Roi de Lahore. Il est vrai que Massenet, très scrupuleux sur le naturel et la précision prosodique, a toujours su vaincre le défi des choeurs et des foules parlantes (idem pour les airs individuels. En cela, l’évocation de la guerre à Blois dans Esclarmonde est un modèle du genre; cf acte III).
Bayreuth, 1886
En 1886, un voyage à Bayreuth, où il assiste à une représentation de Parsifal, le bouleverse: la découverte du théâtre wagnérien le transforme et sur ce plan il n’est pas le seul auteur français (voir les oeuvres de D’Indy ou Chausson et avant de Victorin Joncières wagnériste de la première heure). Immédiatement, Werther est sur le métier. Suit Esclarmonde (1889, Opéra Comique), formidable partition au byzantinisme onctueux écrit pour la soprano rencontrée fin 1887, Sibyl Sanderson (portrait ci-contre: future triomphatrice du rôle de Manon, après la créatrice du rôle Marie Heilbronn)… Dans Esclarmonde (dont la thématique onirique renoue avec les opéras baroques et la tradition des enchanteresses touchantes Armide, Alcina, amoureuses défaites et impuissantes), la magie et les enchantements incessants (déplacements impossibles dans les mondes de pure magie, élans amoureux extatiques du II) suscitent avec naturel, un flamboiement orchestral régénéré, véritable ambition néowagnérienne (« Esprits de l’air! esprits des ondes! », air d’Esclarmonde au I; utilisation raisonnée et lumineuse des leitmotive). Esclarmonde qui a succédé à son père l’Empereur de Byzance Phorcas, aime passionnément le chevalier Roland, vainqueur de Blois… contre les Sarasins. Mais l’évèque de Blois conspire contre la magicienne gênante… L’ouvrage a été commandé pour l’exposition universelle de 1889 (quand la Tour Eiffel est inaugurée). Evénement musical de l’année 1889, Esclarmonde est donnée 101 fois l’année qui suit sa création à l’Opéra-Comique !
Les années 1890
Le début des années 1890 est tout aussi fécond: Le Mage (Opéra, 1891, même tentation de la féerie spectaculaire qu’Esclarmonde, mais au succès plus confidentiel), puis surtout Werther en 1892 précise le talent du grand narrateur, poète de climats orchestralement somptueux, proche parfois de Strauss. Eclectique, la manière sensuelle et tendre, de Massenet se dévoilent dans deux autres chefs d’oeuvres: Thaïs (Opéra, 1894, immense succès), et La Navarraise (Londres, Covent Garden: oeuvre méconnue et pourtant décisive auprès des véristes italiens). Tandis que le Portrait de Manon permet au compositeur de « recycler » les motifs principaux de Manon en une nouvelle oeuvre rétrospective et intimiste, nostalgique aussi puisque DesGrieux vieux se souvient de ses amours passées. C’est le sommet de l’écriture sophistiquée mais poétique d’un Massenet, marqué par le moule académique (exigence réaliste, souci expressif), si proche en cela des oeuvres phares de Gérôme, au fini si délectable et aussi déroutant: en 1894, année faste dans la carrière de Massenet, Debussy compose l’Après midi d’un faune et enchaîne aussitôt sur Pelléas et Mélisande
Après avoir décliné le poste de directeur du Conservatoire, Massenet qui souhaite surtout préserver son activité de créateur, livre Sapho (Opéra-Comique, 1897), Cendrillon (Opéra-Comique, 1899). Le nouveau propriétaire du château d’Egreville (Seine et Marne) revient au genre oratorio et sacré avec La Terre Promise (Saint-Eustache, 1900). En 1901, Grisélidis est le dernier ouvrage écrit pour l’Opéra-Comique (hormis le ballet Cigale en 1904).
1900: pour Monte-Carlo
Désormais, au début des années 1900 et en pleine Belle Epoque, Massenet succombe aux rivages méditerranéens; il compose un nouveau cycle dramatique pour l’Opéra Garnier de Monte-Carlo. A part Ariane (1906) et Bacchus (1909) écrits pour l’Opéra de Paris, derniers volets du grand genre, vite oubliés (trop indigestes par leur éclectisme flamboyant?), Massenet sexagénaire écrit pour le Prince Albert Ier Monaco, assurant un âge d’or lyrique pour le théâtre de Monte-Carlo: Le Jongleur de Notre-Dame (1902), Chérubin (1905), Thérèse (1907: écrit pour la fille de Richard Wallace, la mezzo Lucy Arbell, nouvelle inspiratrice après Sibyl Sanderson), Don Quichotte (1910); enfin Roma livré et créé avant juillet 1912, où il tombe gravement malade (cancer de l’intestin). Jules Massenet, couvert de gloire et d’honneurs meurt le 13 août 1912. Après sa mort, trois autres ouvrages sont créés: Panurge (Gaîté-Lyrique, 1913), Cléopâtre (1914), Amadis (1922), ces deux derniers à Monte-Carlo.
La sombre mais saisissante Roma, qui semble ressusciter l’incandescente Vestale de Spontini (l’un des plus grands succès parisiens de l’époque napoléonienne) a cette rectitude néoantique et cette fulgurance dramatique que Gérôme expérimenta en peinture dans ses oeuvres précédentes: La mort de César (1867), Police Verso (1873), accomplissements académiques d’une efficacité spectaculaire indiscutable. En 1912, Massenet est lui aussi passionné par l’idée d’un théâtre musical de plus en plus dense, resserré, d’une concision morale et expressive au langage peu à peu sobre voire austère. Roma appartient aux meilleures oeuvres de Massenet : le musicien renoue avec le tragique sublime de Sarah Bernhardt (créatrice du rôle de la vestale pêcheresse en 1876: inoubliable interprète de la pièce tragique Rome vaincue d’Alexandre Parodi); Fausta évite la mort honteuse (en vestale qui a fauté, elle doit mourir emmurée vivante) grâce à sa grand mère aveugle qui la poignarde avant le supplice ultime. Lucy Arbell devait éblouir dans le rôle de Posthunia, arme du destin, permettant à la vestale perdue de s’éteindre dignement.
Génie visionnaire, pédagogue admiré
Ecouter Amadis, parmi les très nombreux ouvrages ici répertoriés permet de souligner l’activité créative et inventive du maître: à chaque sujet choisi, un nouveau traitement dramatique et musical. Une telle faculté de renouvellement reste déconcertant: Amadis qui renoue avec le climat médiéval et chevaleresque d’Esclarmonde, aurait été finalement composé en 1910; son langage annonce le Debussy de la Demoiselle Elue (Prélude du I): un ascétisme nouveau (comparé aux flamboiements orientalisants de Thaïs par exemple ou d’Hérodiade) qui inscrivent directement Massenet sur la route de la modernité; parmi ses élèves bon nombre obtiennent le Prix de Rome (dont surtout Gustave Charpentier au wagnérisme tout aussi subtilement assimilé) et agissent pour la régénération de la musique française dans la première moitié du XXè siècle: Lucien Hillemacher (lauréat en 1880), Alfred Bruneau et Gabriel Pierné (1881); Charpentier donc en 1887 avec la sublime cantate Didon (récemment révélée par le Palazzetto Bru Zane Centre de musique romantique française dont le directeur scientifique Alexandre Dratwicki s’engage de façon exemplaire, -et pionnière- pour la réévaluation des musiques du Prix de Rome (composées pour le Concours et après, depuis Rome, en tant qu’Envois de Rome)…; Henri Rabaud (1894); Charles Koechlin, Georges Enesco, Florent Schmitt (1900). Rappelons aussi la présence de Renaldo Hahn, élève et ami fervent qui cependant ne se présenta pas à l’épreuve académique mais connut une carrière particulièrement riche et florissante.
Huguette
Tourangeau, Clifford Grant, Giacomo Aragall, Robert Lloyd… National
Philharmonic Orchestra, direction : Richard Bonynge
des réalisations demeurées d’autant plus indispensables qu’elles restent
isolées, insurpassables. Déjà, la Stupenda était à son époque, la seule
à pouvoir tenir le rôle, sa tessiture inhumaine dont elle restitue
cependant, cohérence et crédibilité. Le sujet mi féérique mi héroïque, –
il s’agit d’un opéra « romanesque »-, où la chevalerie cotoie le
miraculeux, trouve en Sutherland, « son » interprète. Le reste du plateau,
dont Grant (l’Empereur), Aragall (Roland) et Quilico (l’Evèque de
Blois), confirme la valeur de cet opéra parfaitement oublié de Massenet.
Un exhumation exceptionnelle. Qui depuis trente ans culmine elle aussi,
au plus haut. De son côté, fidèle à son exigence déjà relevée, Richard
Bonynge sait insuffler à l’orchestre, le sens de la grandeur et des
évocations wagnériennes, le mystère de l’épopée berliozienne mais aussi
les accents émerveillés d’une partition riche en superbes passages
dramatiques (choeur très impliqué), en particulier dans les tableaux de
l’île enchantée de l’acte II. Saluons le choix judicieux de Decca de
rééditer cet enregistrement en tout point incontournable, réalisé à
Londres, du 2 au 15 juillet 1975.
compositeur) et traverse en en restituant les enjeux essentiels chacun
des opéras du grand Jules: de La Grand’Tante à Don César de Bazan,
premiers essais dans le genre comique et si subtilement réalisés, aux
grands chefs d’oeuvre des années 1880 et 1890: Manon, Le Cid,
Esclarmonde, Werther, Thaïs, Ariane, Thérèse, Roma… l’auteur montre
très justement la parenté de Jules Massenet (1842-1912), grand faiseur
narratif mais aussi immense mélodiste, comme dramaturge chevronné, avec
les peintres académiques tel Gérôme: Prix de Rome à 21 ans, encouragé
par Ambroise Thomas, Massenet ne cesse de renouveler sa manière lyrique,
trouvant à chaque fois, pour un sujet différent, la vérité musicale
requise: c’est un musicien visuel, et nous dirons même
« cinématographique »: il y a un souffle, une ardeur, une sensualité
prenante qui fonctionne… En lire +
l’opéra de tous les défis pour Massenet: Esclarmonde (voir page 101 du
présent ouvrage), présenté triomphalement en 1889 à l’Opéra-Comique,
avec la nouvelle muse du compositeur, la soprano américaine Sibyl
Sanderson qui en chantant le rôle de la magicienne Esclarmonde inaugure
une galerie d’héroïnes lyriques d’un nouveau type, si spécifique à
l’écriture de Massenet, et qui s’enrichit après Esclarmonde, de figures
telles Thaïs puis Manon. Rien que cela. On l’aura compris: le catalogue de l’actuelle exposition présentée sous le même titre au Palais Garnier: « La belle époque de Massenet » éclaire
bien des pans d’une carrière qui souffre encore de préjugés, d’images
abusives ou réductrices… Massenet, sucré et minaudant, parfait
« salonard », c’est à dire en rien un génie… gagne après lecture de la
publication une image nouvelle qui vient à propos pour le centenaire de
sa naissance en 2012. En lire +
dont 2012 marque le centenaire de la mort. Le Théâtre parisien est bien
inspiré de célébrer l’héritage musical de Massenet … lequel offrit
au Palais Garnier flambant neuf, sa première création à l’exotisme
spectaculaire, Le Roi de Lahore en 1877. Grand reportage vidéo exclusif