mardi 16 avril 2024

Joseph Haydn à Vienne: 1790-1809 Les dernières années du compositeur dans la cité impériale

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Joseph Haydn à Vienne

II. 1790-1809

Les ultimes années viennoises du compositeur correspondent à la maturation du style, déjà visionnaire et éclatante -dans la poursuite des symphonies et des quatuors, nouveau genre à la mode-, mais aussi enrichie par l’assimilation tardive des oratorios de Haendel – approfondie grâce à ses 2 séjours londoniens dans les années 1790. Un compositeur pourtant mûr et âgé (pour l’époque) se découvre de nouveaux champs d’expérimentation et d’accomplissement. Voici la chronologie et les lieux des étapes importantes de la vie de Haydn à Vienne, à partir de 1790, quand il peut regagner Vienne, libéré en partie de sa charge quasi exclusive de compositeur officiel à la Cour des Princes Esterhazy à Eisenstadt et Esterhaza …

Haydn et Mozart

Les années 1780 sont bien documentées. Alors qu’il héberge son père Léopold dans leur riche appartement viennois (qui se visite toujours), Mozart accueille Haydn en 1785 et lui dédie les Quatuors qu’il a composé en son hommage: les fameux Quatuors dédiés à Haydn, inspirés des Quatuors Russes de ce dernier (édités en 1781). Le compositeur qui est devenu un proche de Mozart est invité à nouveau pour le Nouvel An 1789, par ce dernier dans son nouvel appartement viennois au 3 Judenplatz (édifice aujourd’hui rasé) afin d’y assister à une répétition de Cosi fan tutte.

En 1790, Haydn est libéré de ses obligations vis à vis du Prince Esterhazy. Lui qui a toujours composé à Eisenstadt ou Estarhaza, ce Versailles hongrois, digne des plus grandes Cours européennes, peut désormais se concentrer à son rythme sur son propre travail. Il rejoint de façon permanente Vienne, incontournable cité musicale. Non pas mégalopole comme peut l’être la bouillonnante Londres, mais grande ville urbaine au prestige impérial certain: même s’il est attaché au service des Esterhazy, Haydn séjourne une bonne partie de l’année (printemps, automne et hiver) à Vienne, dans le palais de ville Esterhazy (toujours en place au 4 de la Wallnerstrasse). S’il n’est pas intégré directement au sein de l’appareil musical officiel, (Chapelle Impériale plutôt dominé par les Italiens, à part Gluck dans les années 1770), Haydn est une figure dominante cependant de la vie musicale à Vienne. Joseph II a certes comme compositeur officiel Salieri mais il encourage très fortement Mozart en assurant la création de ses opéras L’enlèvement au Sérail et surtout Les Noces de Figaro (quand la France fait interdire la pièce de Beaumarchais). Leopold II qui lui succède une courte période (1790-1792), préfère Cimarosa.

Johann Peter Salomon
Le violoniste et impresario Johann Peter Salomon, par ailleurs son ami (1745-1815) lui commande toute une série de nouvelles oeuvres, lui allouant une rente de 3.000 florins (une fortune pour celui qui à la fin de son service pour les Esterhazy, encaissait 961 florins annuels). De cette demande allait entre autres naître le dernier opéra de Haydn, l’un des plus énigmatiques et sombres sur le thème d’Orfeo (Orfeo ed Euridice ossia l’Anima del filosofo: une relecture allégorique et philosophique très inspirée par l’esprit des Lumières, et de façon surprenante très sombre voire désespérée). L’opéra L’anima del filosofo a récemment été abordé par Jean-Claude Malgoire à Tourcoing (reprise en vérité de mars 2009)

Les 2 séjours londoniens

Esprit universel, Haydn est l’objet de très nombreuses invitations et sollicitations: c’est Londres qui a ses faveurs. L’auguste musicien fait 2 séjours: le premier à 58 ans, de novembre 1790 à septembre 1792; le second, de janvier 1794 (il a alors 61 ans), jusqu’au mois d’août 1795.

C’est à son retour qu’il achète la maison toujours en place et dans l’ordonnance qu’il a connu. (il y emménage avec son épouse -qui s’y voyait bien plutôt seule, en heureuse veuve!-, à partir de 1797. Haydn est alors le compositeur le plus célébré de son temps, gloire musicale européenne: il se fait portraituré dans le style de Reynolds en un portrait digne d’un prince de sang: quelle ascension pour ce fils de la terre, né paysan… A Londres, outre les fameuses et sublimes symphonies « londoniennes », Haydn découvre les oratorios de Haendel. Il se passionne pour le genre et composera à Vienne, dans son domicile-atelier, les deux ouvrages majeurs que sont La Création (1798) puis Les Saisons (1801), amples portiques traversés par l’éclat des Lumières où l’homme bienheureux, comblé sait rendre grâce au miracle de la divine nature. Vienne offre ainsi l’une des rares demeures de compositeur: habitée pendant près de 12 ans par le phare musical de l’Europe des Lumières.

Les messes
Dans les mêmes années 1790, décidément d’une éblouissante créativité, Haydn compose de nombreuses messes, en liaison avec la ferveur du dernier prince Esterhazy qu’il sert, Nikolaus II, prince plus croyant que mélomane fastueux. Chaque messe est créée le jour anniversaire de l’épouse de son patron, la princesse Maria Hermenegilde); à savoir, Paukenmesse (Messe pour le temps de guerre, 1796), Heiligenmesse (ou Missa Sancti Bernardi de Offida, qui en 1796, profite de l’expérience du symphoniste, grâce ses sublimes 12 symphonies londoniennes, de 1791-1795), NelsonMesse (1798), TheresaMesse (1799), CreationMesse (1801), HarmonieMesse (1802).

Le musicien des aristocrates et des patriciens de Vienne
A l’époque de la décade Joséphine, pendant le règne de Joseph II (1780-1790) soit dans les années 1780 (celles où l’Empereur très mélomane comme son ancêtre Leopold Ier, commande à Mozart son opéra allemand, L’Enlèvement au Sérail en 1782), Haydn devient le compositeur de l’élite lettrée de Vienne. En particulier du riche banquier Johann von Fries. Ce dernier se fait construire (1783) un superbe Palais juste en face de la Bibliothèque Impériale, sur la Josephplatz: l’édifice édifié dans le pur style joséphin (simplicité droite néo-attique voire sévérité abstraite des lignes), est aujourd’hui le palais Pallavicini, reconnaissable entre tous grâce à son portail monumental plus tardif avec ses deux couples de cariatides à la pose altière. Les années 1780 sont alors marquées par l’esprit réformateur de l’Empereur Joseph II, soucieux de tolérance et d’asservissement de l’Eglise envers l’Etat. Jospeh II abolit la peine de morts, réforma la justice pour plus d’équité entre nobles et roturier… c’est l’illustration exemplaire du « Despote éclairé » tel que l’a dépeint dans ses nombreux livrets d’opéras sérias, le poète officiel de la Cour, Pietro Métastasio (Métastase).
C’est dans les salons du Palais Fries construit par Johann Ferdinand Hetzendorf, que les deux fils du Banquier, Moritz et Josef Fries furent d’importants patrons des arts et de la musique. C’est dans ce cadre que Haydn composa son dernier Quatuor, laissé inachevé en 1803.

Sa gloire et sa réputation sont suffisamment reconnues que, sur l’idée de son ami le baron Gottfried van Swieten, par ailleurs Préfet de la Bibliothèque Impériale, Haydn conçoit en une nouvelle forme pour les Viennois, ses 2 oratorios, manifestes de sa ferveur personnelle à l’époque où Joseph II, Leopold II puis François II occupent le trône, période esthétique de bouleversement, à l’extrême fin du XVIIIè et au début du XIXè, où une rigueur formelle, voire un ascétisme attique règne sans partage: pureté quasi abstraite des formes architecturales ou dans le mobilier d’alors auquel répond la musique de Haydn, qui touche directement le coeur, évitant les purs effets de virtuosité décorative.

Haydn et Bonaparte

Il s’agit aussi pour le compositeur très patriote, et fidèle sujet des Habsbourg d’exprimer sa résistance à l’envahisseur, en particulier Bonaparte qui « ose » assiéger Vienne: la maison de Haydn à quelques kilomètres du centre de la cité impériale reçoit même un boulet de canon (exposé dans le parcours muséographique actuel de la Maison Haydn). S’il prend soin d’éviter de rencontrer le général français, Haydn n’en est pas moins admiré de lui et le futur Empereur de France, fait même placer une protection rapprochée au seuil de la maison du vieil artiste, véritable gloire européenne qui mérite assurément une tranquillité légitime d’autant plus indiquée pour la paix de ses vieux jours. Comment le compositeur des rois et des princes auait-il pû « pactiser » avec l’ennemi de l’Empire, le victorieux arrogant , soumettant les armées de François II, qui marie sa fille Marie-Louise pour cimenter enfin la paix entre la France et l’Empire (du moins ce qu’il en reste) grâce à la Paix de Schönbrunn, signée le 14 octobre 1809. Haydn était mort depuis plus de 4 mois.

Dernière apparition publique

10 ans après sa création (Palais Schwarzenberg, 1798), une nouvelle représentation de l’oratorio La Création est donnée sous la direction d’Antonio Salieri, devant un vaste auditoire dont fait partie Beethoven: dans la vaste salle des fêtes de l’Université nouvelle bâtie à partir de 1753 par l’Impératrice Marie-Thérèse (actuelle Académie de Sciences, en face de l’école de musique où le jeune Schubert âgé de 11 ans, suivait alors sa formation chorale). Hélas, le compositeur trop affaibli ne restera pas jusqu’à la fin de la représentation. Ce concert viennois du 27 mars 1808 est la dernière apparition en publique de Haydn à Vienne. Le souvenir a pu en être conservé grâce à l’aquarelle de Balthasar Wigand.

Haydn meurt le 31 mai 1809 dans sa maison de Gumpendorf, à l’âge de 77 ans.

Illustrations: Joseph Haydn. Joseph II et son jeune frère Leopold (futur Leopold II) à Rome. Cariatides du portail du Palais Pallavicini. Dernière apparition de Joseph Haydn pour La Création (27 mars 1808) dans la salle des fêtes de l’académie des Sciences à Vienne (DR)

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