lundi 16 juin 2025

Jean-Philippe Rameau (1683-1764)Les opéras

A lire aussi

Jean-Philippe Rameau
Dramaturge et orchestrateur


L’actualité des concerts de février 2007, met à l’honneur un compositeur trop peu joué, Jean-Philippe Rameau. Grâce à la Cité de la musique à Paris( voir notre agenda en fin de texte), grâce à France Musique qui lui consacre une journée dédiée, le 19 février 2007, retour sur un génie de la scène lyrique baroque à l’époque de Louis XV. Et pour nous, superbe occasion d’évoquer l’audace du créateur.

Le plus grand musicien de son temps, dont on aime souligner le génie musical avant l’esprit dramatique, au regard de la faiblesse (supposée) de ses livrets, fut un dramaturge exigeant. Parcours au sein de ses oeuvres lyriques: aux côtés du bouillonnant orchestrateur, qui put aisément composer des symphonies mais préféra les intégrer dans ses opéras, visite guidée dans son antre lyrique, tragique et comique.

Assez de musique pour en faire dix

Dès l’âge de 12 ans, Rameau se déclare possédé par le démon de l’opéra. C’est le seul genre à la mesure de son génie. Il viendra tard sur le sujet, créant à 50 ans son premier opéra, en 1733, Hippolyte et Aricie, mais avec quel éclat: les fulgurances enharmoniques de la musique,- en particulier du trio des Parques qui terrifièrent les chanteurs-, le spectaculaire de l’écriture, firent l’effet d’une révolution. On n’écrira plus de musique pour l’Académie royale, de la même façon, après le choc d’Hippolyte.
Rameau commence d’abord à composer quelques pièces théâtrales pour le Théâtre de la Foire avant de franchir le perron de l’Académie Royale. Dans une lettre qu’il adresse au faiseur de livrets à la mode, Houdar de la Motte dont les textes font le succès des musiciens fameux tels Campra et Destouches, le compositeur de 44 ans réclame un livret se prévalant, mieux que les autres, de posséder la maîtrise des « couleurs et des nuances ».
Finalement, c’est un autre écrivain, l’abbé Pellegrin, qui lui fournira les vers de sa première tragédie en musique, Hippolyte et Aricie, inspiré de Racine. Le fleuve musical regorge de tempêtes et de déchaînements, d’invocations et de passions exacerbée, autant dans la tendresse que dans la haine. La peinture tragique connaît l’une de ses manifestations les plus fascinantes et Campra avouera, étonné, qu’il y a  » dans cet opéra, assez de musique pour en faire dix« .
Ne dira-t-on pas à propos de Mozart, au moment de la création de son Enlèvement au sérail, (1782) qu’il y avait trop de notes? Le génie ne s’encombre pas des capacités de son auditoire. Mais le pire vient de Voltaire: « c’est exact et ennuyeux » seront ses paroles. Des mots choisis qui ont l’apparence de la vérité, et qui, du vivant de Rameau, épinglera définitivement le compositeur scientifique, théoricien autant que pédant, d’une sophistication désincarnée, aux assommants artifices.Si le philosophe ne manquait pas de discernement et d’esprit critique, il n’avait aucun goût en matière musicale. Et au moment de la Querelle des Bouffons (1752), Jean-Jacques Rousseau portera un même avis générique sur Rameau: un scientifique pesant et artificiel, en rien séduisant comme l’opéra italien et la saveur des intermèdes buffa napolitains tel La Serva padrona de Pergolesi. Longtemps, l’idée d’un Rameau empoulé et solennel sera brandie, l’opposé des facéties légères et naturelles du Théâtre Italien.


Essor du tragique et du comique


Or c’était bien mal connaître l’auteur d’Hippolyte. Quatre autres tragédies verront le jour, toutes aussi élaborées, expressionnistes et voluptueuses, forçant la nature à se surpasser. Le théâtre de Rameau ne singe pas les passions et le coeur humain, il les exaltent.
Ainsi, Castor & Pollux (1737), Dardanus (1739), enfin Les Boréades en 1763, dont la création est annulée parce que son auteur meurt avant la fin des répétitions.
Castor prolonge les évocations extrêmes d‘Hippolyte: tableaux des enfers et grandeur pathétique des sentiments. L’esthétisme de la musique ramiste ne passera pas inaperçu auprès de Telemann qui reste subjugué par la vérité de la partition. En définitive, il faut rétablir le statut particulier de Castor & Pollux, en particulier dans sa seconde version de 1754, dans laquelle Rameau coupe, resserre l’action, façonne une manière de chef-d’oeuvre inégalé, inégalable du grand genre; un coup de génie qui fut applaudi pendant la Querelle des Bouffons, et que tentera, à peine, d’égaler Gluck, 20 ans plus tard, lorsque Marie-Antoinette lui demandera de renouveler la grande boutique.
Avec Dardanus porté à la scène en 1739, puis 1744, Rameau poursuit son exploration des passions. La musique y paraît de plus en plus en décalage avec le texte. L’intensité expressionniste des climats de l’orchestre atténue faiblement la déficience du livret. De même Zoroastre, qui connut également deux versions, celle de sa création en 1749, puis celle de sa reprise en 1756 et ne conquit pas véritablement le public. L’inclination de Rameau pour le versant des coeurs, cette âme qui tarde à se dévoiler quant elle est dite ou déclamée mais qui s’embrase dans la modulations du chant et les nuances de l’orchestre, dilue l’essence tragique du sujet. On voit bien que ce qui intéresse le musicien, sont ces liens et ces chaînes amoureux, entremêlant les destins opposés. Finalement Rameau est un grand sentimental. Du moins fit il fondre d’émotion D’Alembert qui ne tarit pas d’éloges sur Zoroastre. Comme d’ailleurs, il en sera de Rousseau, ailleurs rival et critique, ébahi par les outrances formidables de Platée.
Enfin, la véhémence rythmique des Boréades, l’audace de l’orchestre contredit le grand âge de l’auteur. A près de 81 ans, Rameau, plus inventif que jamais, ouvre de nouvelles perspectives dans l’écriture musicale, et même dans la dramaturgie. Il profite du prétexte mythologique, pour lever et souffler des vents cosmiques. C’est l’univers qu’il reconstitue à l’échelle de la fosse. Enterrée avec son auteur, l’oeuvre est créée à Aix-en-Provence, en 1982, sous la baguette de John Eliot Gardiner, cadeau préludant au Tricentenaire de sa naissance.

Platée

Mais l’on ne peut évoquer la richesse du paysage ramiste sans restituer aux côtés des profondes cavernes tragiques, l’arête affûtée des massifs comiques.
Les débuts du compositeur s’imposent d’abord à la Foire. Comme en témoigne, L’Endriague, représenté à Saint-Germain en 1723, le quadragénaire ne manque ni de cynisme ni de mordante ironie. Sur un texte d’Alexis Piron, un libre penseur et joyeu drille, comme notre musicien, dijonais de naissance, Rameau caricature gaillardement le mythe de Persée et d’Andromède. La veine comique de Rameau se cristallise dans une partition inédite, délirante, tissée de pure poésie, régalant l’esprit par sa liberté et son invention: Platée est un sujet jamais mis en scène, dans une forme inédite. L’oeuvre jouée devant le parterre royal à Versailles, en mars 1745, valut au compositeur titre et pension. Rameau se joue de tout, multiplie les points de vue: tragique, larmoyant, déchirant, triomphal et cinglant. Ce « ballet bouffon » est magistralement porté par l’invention magistrale de la Folie qui vole la vedette à la Reine des grenouilles. Aucun doute, par la voix de la Folie, capable de tirer les larmes comme exciter un diable, c’est Rameau qui parle: il affirme avant tout, la souveraine musique. C’est elle qui peut tout. Paroles ou musique? Rameau a tranché.

Agenda

Domaine privé de John Eliot Gardiner. Jardin secret du chef britannique, son travail musical de Mozart à Rameau. Paris, Cité de la musique. Du 10 au 17 février 2007.
Point fort:
Jean-Philippe Rameau
Castor & Pollux
Paris, Salle Pleyel
Les 16 et 17 février 2007 à 20h

Radio

Journée spéciale John Eliot Gardiner sur France musique
Le 19 février 2007. A 18h, Rameau. A 20h, Castor et Pollux.

Approfondir

Lire notre dossier Platée de Jean-Philippe Rameau
Lire notre critique du cd « La Symphonie imaginaire » par Marc Minkowski (Archiv)
Lire notre présentation du documentaire « Rameau retrouvé » de Reiner Moritz (2004, 52 mn), lors de sa diffusion sur Mezzo, en octobre 2006

Illustrations

Aved, portrait de Rameau
Les Dioscures

Derniers articles

CRITIQUE FESTIVAL. LILLE PIANOS FESTIVAL 2025 (2), le 14 juin 2025. Jean-Claude Casadesus, Behzod Abduraimov, Duo Berlinskaia / Ancelle, Marie Vermeulin, Théo Fouchenneret, …

C'est un bain musical superbement varié qui s'offre chaque printemps au Lille Piano(s) Festival ; varié... et aussi d'une...

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img