jeudi 28 mars 2024

Jean-Jacques Rousseau: Dictionnaire de musique, 1768 (Dauphin, 2007) Fac similé, éditions Actes Sud (Collection « Thesaurus »)

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Cette remarquable édition du fac similé de 1768 du Dictionnaire de musique, conçu par Jean-Jacques Rousseau est présentée par Claude Dauphin. C’est là son apport tout aussi capital, aux côtés des pages du Dictionnaire proprement dit: à la demande de Diderot et d’Alembert pour leur Encyclopédie, Rousseau que son « audace novatrice » et son « style alerte » rend incontournable, dans un grand oeuvre qui ambitionne de « secouer le joug social », répond favorablement en s’attelant à son Dictionnaire de musique. Or le maître de musique de l’époque reste Rameau dont la science et la pédagogie, magnifiquement illustrées dans son ouvrage édité en 1722, Traité de l’Harmonie réduite à ses principes naturels, rendent insurpassable, en érudition pertinente et précise et en clarté du propos. Malheureusement pour les fondateurs encyclopédistes, à 66 ans, Rameau fut trop occupé pour piloter les articles de musique, et Claude Dauphin souligne en guise d’éclaircissement préalables, combien le projet qui échut in fine à Rousseau, en comparaison de Rameau, est plus proche de la sensibilité de la rue et de la curiosité vivante des mélomanes: avec lui, la sociologie et les sciences humaines offrent de repenser la musique hors des spéculations ramistes aussi brillantes soient-elles. De fait, le texte de Rousseau prône une nouvelle esthétique, anti monarchique, donc anti ramiste, pour le naturel contre l’art et la sophistication. Il s’agit bien d’un retour à la Nature, adapté en musique.
Née dans les salons du mécène La Poupelinière, l’inimitié entre les deux « R » (Rousseau/Rameau) se cristallise de façon doctrinale et particulièrement dans leurs écrits qui portent chacun, l’intention d’un manifeste esthétique. Le texte d’introduction est passionnant: on y décèle les clans opposés, les conceptions nouvelles, un horizon de querelles vives que nourrit une détestation profonde entre les deux hommes, désormais frères ennemis: la Querelle des Bouffons en témoigne, qui éclate en 1752 opposant Grimm et Rousseau à l’abbé Raynal et Rameau, car derrière cette rivalité de théâtre, se cache la critique des modernes contre les anciens, le clan des italophiles contre les partisans de l’opéra français, incarné par Rameau, lui-même héritier du grand Lully.

Peu à peu se précise la personnalité musicale de Rousseau: ses goûts, sa passion « éclatante » pour la musique italienne (et la langue italienne, naturellement musicale, ardent enthousiasme qui transpire aussi dans La Nouvelle Héloïse), ses ivresses à peine dérobées à Venise en écoutant la musique du divin Vivaldi, et les opéras des napolitains de plus en plus présents dans la lagune (Leo, Jommelli, Durante…)… sans forcer le trait sur cette inimitié dogmatique et philosophique avec Rameau, comment expliquer chez Rousseau, un tel dégoût de la musique française? Y aurait-il finalement quelque mauvaise foi cachée et refoulée dont pourtant l’intensité rappelle justement celle de Mozart qui, lors de son second séjour à Paris, ne cesse d’épingler le milieu musical qu’il redécouvre avec horreur… Du reste, Mozart se targuait non sans un certaine affectation voire un effet de mode, de son gusto intact, qui lui rappelait lui aussi la si tendre Italie… De son côté, Claude Dauphin énonce une « réelle incompréhension éprouvée par le Européens de l’époque en présence des particularités de la musique française« …


Outre les pistes captivantes développées dans l’introduction, l’auteur qui présente ainsi ce fac similé, nous offre un portrait juste de Rousseau, musicologue et ethnologue, fondateur d’une approche critique et universelle, résolument moderne (dont l’une des récentes manifestations demeure, garante d’une indépendance de ton préservée, L’Encyclopédie pour le XXI ème siècle, publiée en 5 volumes chez Actes Sud également, sous la direction de Jean-Jacques Nattiez. Dernier volume paru en 2007). Autant Rameau reste un génie mathématique, occupé en musicien et en compositeur indiscutable de spéculation pure, autant Rousseau pose dans son Dictionnaire (édité tout d’abrd, en 1767), les bases de la musicologie contemporaine. Il a bien rédigé, ce « premier grand ouvrage de taxinomie musicale en langue française », transmettant aux générations suivantes, les profits d’une terminologie de base qui a grandement servi à la lexicographie musicale actuelle. Le lecteur, préparé par tant de subtilité esthétiques, terminologiques et historiques, se reportera dans un premier mouvement (avant de contempler par les yeux, les planches illustrées compilées en fin d’édition), à l’article « Musique« : tout Rousseau s’y livre en une synthèse lumineuse. Digne de l’esprit des Lumières. Edifiant et … éblouissant.

Jean-Jacques Rousseau: Dictionnaire de musique
. Fac similé de l’édition de 1768, augmenté des planches sur la lutherie tirées de l’Encyclopédie de Diderot

Illustration: Jean-Jacques Rousseau (DR)

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