vendredi 19 avril 2024

Henri Sauguet: La Chartreuse de ParmeMarseille, Opéra. Les 8, 10, 12, 14 février 2012

A lire aussi

Henri Sauguet
La Chartreuse de Parme

Marseille, Opéra
Les 8, 10, 12 et 14 février 2012

Lawrence Foster, direction
Renée Auphan, direction

« Une création à Marseille », et sans doute en bien d’autres lieux lyriques : La Chartreuse de Parme, d’après le roman-fétiche de Stendhal, fut en « première » création en 1939… Les occasions ne sont pas nombreuses de reprendre contact avec cette musique d’un Henri Sauguet, jalon important et significatif d’une musique à l’art très français, dans la lignée…mais de qui exactement ? On pourra s’en faire une idée plus précise, avec la direction de Lawrence Foster, Nathalie Manfrino et Sébastien Guèze dans les rôles principaux, et la mise en scène de Renée Auphan.


Fabrice à Waterloo

Dites le titre du roman français qui vous paraît le mieux synthétiser le génie non moins français ? Et si c’était La Chartreuse de Parme ? Le roman que vous auriez voulu écrire ? Quoi, encore La Chartreuse ? Votre héros préféré dans le roman tricolore ? Fabrice Del Dongo, bien sûr ! Oh ça tombe bien, tout comme moi ! Et votre opéra hexagonal XIXe-XXe? La Chartreuse de Parme. Je vous entends, mais quelle Chartreuse ? Celle d’Henri Sauguet, ça va de soi. Henri qui ? Sauguet ! Ah bon, ça date de quand ? Vers 1939, je crois. Et les autres Chartreuse ? Il n’y a que celle-là, je crois. Tiens, c’est curieux… Un roman si génial, où Fabrice est à Waterloo, puis avec sa tante Gina, puis dans les bras de Clelia Conti, et finit en prédicateur mondain ? Eh bien non, une seule Chartreuse !

Les Forains

On pourrait ajouter : d’ailleurs, qui a déjà écouté cette Chartreuse, au disque, à l’opéra ? Et même, et même, la musique de cet Henri Sauguet (1901-1989), que les moins de 30 ans lèvent le doigt pour dire ce qu’ils en ont entendu. Naguère, on vous citait illico « Les Forains », qui fut un des plus grands succès de musique chorégraphique au milieu du XXe. Mais il y avait aussi 4 Symphonies, à sous-titres (la 1ère, « Expiatoire, à la mémoire des victimes innocentes de la guerre » ; la 2nde, « Allégorique »; la 4e , « Troisième âge »…). Et des mélodies , d’Eluard (en1924) à Michaux (1965)… -Et bien d’autres musiques de ballet (La Chatte…), et des musiques de scène qui jalonnent sa carrière prestigieuse dans ce domaine où il travailla pour Dullin et Jouvet (38 partitions !)…Et tant de musiques pour le cinéma (en commençant – 1925 – par Marcel L’Herbier, continuant par « Premier de Cordée » (1943) et finissant par Les Amants de Teruel (avec de la musique concrète ou « métaphonique » , 1962)

Un Aquitain à Paris

…Et de l’opéra, donc, la Chartreuse, mais aussi Les Caprices de Marianne, de Musset… Oui, oui. Il semble n’en rester pas grand-chose au niveau des mélomanes et des discophiles. La personne même de Henri Sauguet est extrêmement porteuse de sympathie. Il fut autodidacte de la musique, découvrant par illumination à 16 ans une « idole » que restera d’ailleurs pour lui Claude Debussy. Il fut toute sa vie un partisan de la présence des chats, racontant avec humour la vie de chacun de ses hôtes, pour la plupart excellents conseillers en matière d’art des sons… L’obligation qui fut la sienne de commencer à gagner sa vie dans des petits métiers de son Sud-Ouest natal ne l’empêcha pas – bien au contraire – de fréquenter les écrits, puis dans la capitale, l’activité des « gendelettresmodernes » (Cocteau, Radiguet, Max Jacob, Valéry, Mauriac, Gide…), et une fois à Paris (à 21 ans) ne va plus cesser de mêler sa fréquentation « littéraire » et son « installation » dans le monde musical où il a fait ses premières armes sur les conseils de Darius Milhaud, avec la bénédiction du Groupe des Six. C’est Milhaud qui présente à Erik Satie quelques jeunes admirateurs du vieux maître : ceux-là – à côté de Sauguet, Roger Désormière, plus tard connu comme chef d’orchestre, et Maxime Jacob qui bientôt sera « résident monastique » -, deviendront l’Ecole d’Arcueil (la résidence un peu mystérieuse de Satie en banlieue parisienne). Ces éléments de « vie et œuvre », on peut les trouver dans l’excellent livre de Hélène Rochefort-Parisy (éditions Séguier, 2000), qui relaie un Seghers de…1967 (France-Yvonne Bril).…

Madame Pernelle

« Suivi » par Charles Koechlin, Sauguet connaîtra en fait – la chance aidant – des succès précoces de compositeur, notamment dans le domaine de l’opéra « léger » ( Le Plumet du Colonel ) et de la musique pour chorégraphies (La Chatte, d’abord, en 1927, pour les ballets de Diaghilew). Le musicien est extrêmement sympathique, amusant en société, et doué d’un vrai talent d’imitateur et d’inventeur théâtral ( « les récits passionnés de la princesse Poutoff, née Fléau de Dieu….les interminables commentaires qui précédaient l’exécution fulgurante des 47.724 Variations en ut maj de J.S.Bach pour … l’illustre Wanda Landowska » , ainsi que le cite le livre d’Hélène Rochefort) ; en 1945, il jouera même Madame Pernelle et dans le Tartuffe mis en scène par Marcel Herrand ! Il fréquente avec aisance et plaisir les salons de l’aristocratie parisienne la plus « engagée » en modernisme ( les Polignac, le comte de Beaumont, les Noailles). Il est également amené à travailler avec des décorateurs et créateurs picturaux d’esthétique fort variée – les Russes Pevsner et Gabo, côté avant-garde, Christian Bérard, Jacques Dupont,Cassandre côté tradition -.

De l’Hôtel Nollet au théâtre de Tardieu

Après la Libération, ces fastes auront disparu à l’horizon des années Vingt et Trente. Il y aura eu la douleur de voir disparaître l’ami de toujours, Max Jacob, raflé par la Gestapo et mort au camp de Drancy, dont il mettra en musique deux séries de poèmes. Et qui lui rappellera aussi toujours avec émotion le temps de « l’Hôtel Nollet », ce haut-lieu de l’intelligentsia artistique et bohême de Paris où il avait fait en 1927 la connaissance du poète. Ce sera aussi le temps de composition pour la « mémoire des victimes innocentes », sa 1ère Symphonie, sous-titrée Expiatoire, dont le dernier mouvement est berceuse où ce sont les morts qui consolent les vivants… Puis la vie reprendra , dans laquelle Henri Sauguet jouera son rôle de compositeur honoré par les institutions officielles mais toujours modeste, très aimable, et… paradoxal (« un académicien autodidacte », dit H.Rochefort).
Car jusqu’à la fin de sa vie, H.Sauguet aura « mélangé » avec grâce et humour des contradictions essentielles. C’est avant tout un mélodiste de qualité reconnue par tous, « avec une sorte de gaucherie qui, non sans un certain charme pervers, pesait sur ses premiers ouvrages » (Claude Rostand), très attaché à une clarté du langage – néo-classique et néo-satiste à la fois – qui pourtant, au-delà de quelques imprécations contre l’expérimental et l’atonal, n’hésite pas à se risquer du côté d’une musique…concrète alors toute neuve (Trois Aspects Sentimentaux, partitions de scène pour le théâtre de Tardieu…) . De même qu’il a écrit sur le jazz de façon très lyrique : « C’est immense, indéniable, vaste comme la mer. Comme la mer élémentaire, le jazz vient et va et berce et enlace, et brise, et caresse et nous enveloppe tout entier . » (cité par Claude Samuel) . Ce compositeur « d’amusement » fondamental, d’illustration séduisante, garde ses refuges romantiques en mélodie ( Hölderlin, Heine), et peut s’assombrir, comme lorsque le voisinage de la mort s’impose brutalement – ainsi en 1949, quand il écrit la musique de scène pour les Fourberies de Scapin, chez Jouvet, et que son ami Christian Bérard tombe foudroyé devant le décor en disant : « Oui, comme ça c‘est très beau » (selon le récit de H.Rochefort)… La disparition de sa mère, en 1947, lui inspire un 2nd Quatuor qui « relate » la vie et le caractère de la morte. Il illustre une prose poétique de Rilke – la mort du Cornette : « Chevaucher, chevaucher…le jour, la nuit…et le cœur est si las, la nostalgie si grande… » . Et surtout fait surgir la vision du texte bouleversant de Jean Cayrol – en une cantate, « L’Oiseau a vu tout cela » : l’agonie d’un condamné à mort lié à un arbre –(1960)…

Le sens de l’Histoire ?

Revisiter l’œuvre et la vie de Henri Sauguet, la Chartreuse de Parme peut donc en donner l’occasion. Que les fervents admirateurs de Stendhal-inducteur-de-réflexion-sur-le-sens-de-l’Histoire ne soient pas trop déçus. ! L’opéra de Sauguet s’en tient à la seule…histoire sentimentale de Fabrice del Dongo, et en paraphrasant un leitmotiv du roman de Diderot, le Maître (Henri) pourrait seulement demander « Jacques (Fabrice), conte-moi l’histoire de tes amours ». La musicologie nous apprend pourtant que l’ouverture de l’opéra « montrait » le fameux épisode de Fabrice spectateur à la bataille de Waterloo : Sauguet a prélevé ce passage pour en faire un mouvement de sa Symphonie Expiatoire… Trop long pour l’opéra, peut-être…mais surtout « corps étranger » qui empêcherait de se consacrer au Sujet Principal, la merveilleuse trajectoire de Fabrice en travaux pratiques selon la théorie stendhalienne codifiée dans le traité « De l’amour » : admiration, espérance, cristallisation(s), fièvre dévorante dans l’attente…

Un professeur de philosophie pour Léo Ferré

Car c’est une longue histoire…d’amour que constitue pour Sauguet la mise en musique lyrique du roman de Stendhal. Dès 1927, après le triomphe du ballet « La Chatte », Milhaud présente au jeune compositeur son ami Armand Lunel, professeur de philosophie (au lycée de Monaco, où il aura pour élève…Léo Ferré !), romancier, spécialiste de l’histoire des communautés judaïques en Provence, auteur de livrets d’opéras. A.Lunel (1892-1877), nous apprend-on, fut le dernier locuteur vivant du judéo-provençal, une langue qui s’est éteinte avec lui… C’est lui qui, depuis 1929 et pendant la dizaine d’années où Sauguet consacre une partie de son temps à l’écriture de cet opéra,( mais il est victime de crises psychologiques récurrentes, et doit se consacrer à d’autres commandes) sera l’interlocuteur privilégié pour ce que son musicien appelle « le journal de ma vie pendant cette décennie ». « J’ai fait sauter les ronces et les épines de la politique, explique le librettiste, et je n’ai gardé que le sentiment, le romanesque et la poésie ». Les 5 actes, donc , « promènent le miroir sur la grand’route », selon la définition stendhalienne du roman. Le coup de foudre avec Clelia , les adieux de Fabrice à sa tante Gina –(la Sanseverina), la fuite de Fabrice après son meurtre du comédien Giletti, la mise en forteresse où Fabrice retrouve Clelia (son père le Général y est gouverneur), les entrevues amoureuses du prisonnier et de Clelia, le plan de la Sanseverina qui fait évader son neveu et lui fait ainsi perdre l’amour de Clelia, l’impossible reprise d’amour entre Fabrice et Clelia, le dernier sermon de Fabrice devenu ecclésiastique et décidant de se retirer à la Chartreuse de Parme, tels sont les jalons de ces 10 tableaux.
La Chartreuse sera donc « dans la lignée dramatique et lyrique de Berlioz et Verdi », et « avec la délicatesse psychologique d’un musicien qui avait compris, sans chercher à la copier, la précieuse leçon de Pelléas. » En 1938, l’œuvre achevée peut être mise en répétition, mais d’autres épreuves surviendront : le père de Sauguet meurt au moment de la création, et les 7 représentations (de mars à juin 1939) n’auront pas leur prolongement prévu en automne, puisque la guerre européenne commence en septembre. Le public aura beaucoup apprécié, la critique est divisée, et les compositeurs sont plutôt favorables, Milhaud évidemment, tout comme Koechlin, Poulenc , et même…Stravinsky .

« Ses voisins les oiseaux saluaient le jour »

Pour la reprise marseillaise, c’est la cantatrice Renée Auphan, ensuite directrice à Lausanne puis Genève et Marseille, qui ordonne les cérémonies dramaturgiques– continuant ainsi une activité souvent illustrée, au début de sa carrière et depuis sa retraite de la scène. Le chef américano-roumain Lawrence Foster, spécialiste d’Enesco, très attaché à la musique française (et à l’ opéra de Debussy en particulier) conduit l’orchestre et le chœur de l’Opéra de Marseille. Bruno de Lavenère (Glass, Prokofiev, Copland, Bizet, Stroppa…) est décorateur, Katia Duflot (qui travaille beaucoup pour Marseille et le festival d’Orange) imagine et fait réaliser les costumes, Laurent Castaingt (théâtre, opéra, cinéma) « éclaire » la Chartreuse… Nathalie Manfrino, Révélation Lyrique aux Victoires de 2006, et lumineuse spécialiste de l’opéra français (Bizet, Massenet, Berlioz, Gounod) sera Clelia, Marie-Ange Todorovitch (de Rossini à Strauss, d’Offenbach à Massenet, de Haendel à Saariaho…), Sébastien Guèze (Révélation aux Victoires de 2009 : des Verdi, Puccini à l’opéra)incarne Fabrice, le prestigieux et généraliste d’opéra (et encore acteur de cinéma…) Jean-Philippe Lafont est le Généra lConti. On espère la magie que ressuscitent en nous quelques lignes – d’essence si musicale de Stendhal : « Verrai-je Clelia ? se dit Fabrice en s’éveillant. Mais ces oiseaux sont-ils à elle ? Les oiseaux commençaient à jeter des petits cris et à chanter, et cette élévation c’était le seul bruit qui s’entendit dans les airs. Ce fut une sensation pleine de nouveauté et de plaisir pour Fabrice que ce vaste silence qui régnait : il écoutait avec ravissement les gazouillements ininterrompus et si vifs par lesquels ses voisins les oiseaux saluaient le jour… »


Opéra de Marseille.
Henri Sauguet (1901-1989). La Chartreuse de Parme. Mercredi 8 février 2012 et vendredi 10 , mardi 14, 20h ; dimanche 12, 14h30. Direction musicale Lawrence Foster, (Orchestre Opéra ; chœurs, dir.Pierre Iodice ) ; mise en scène Renée Auphan, avec Nathalie Manfrino, Sébastien Guèze, Marie-Ange Todorovitch, Nicolas Cavallier, Jean-Philippe Lafont.
Concert samedi 11 février, 16h, bibliothèque de l’Alcazar. Concert-conférence (Cantate de Jean Cayrol ; Quintette), entrée libre
Information et réservation : T. 04 91 55 11 10 ; http://opera.marseille.fr

- Sponsorisé -
- Sponsorisé -
Derniers articles

OPÉRA GRAND AVIGNON. VERDI : Luisa Miller, les 17 et 19 mai 2024. Axelle Fanyo, Azer Zada, Evez Abdulla… Frédéric Roels / Franck Chastrusse...

Malentendu, quiproquos, contretemps… Luisa Miller puise sa force dramatique dans son action sombre et amère ; la tragédie aurait...
- Espace publicitaire -spot_img

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img