vendredi 19 avril 2024

Haydn, Schulhoff et Schubert. Quatuor Vogler et Alain Meunier Lyon, Salle Molière. Mercredi 17 décembre 2008 à 20h30

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Haydn, Schulhoff

et Schubert



Quatuor Vogler
Alain Meunier
,
violoncelle

Mercredi 17 décembre 2008 à 20h30

Lyon, Salle Molière

Haydn et Schulhoff en quatuor, Schubert en quintette, par le Quatuor Vogler et Alain Meunier. La Société de Musique de Chambre lyonnaise propose, au milieu des festivités baroques à la Chapelle de la Trinité, un concert en son temple acoustique de la Salle Molière : le Quatuor Vogler et le violoncelliste Alain Meunier font redécouvrir l’abîme intérieur du Quintette op.163 de Schubert, après qu’aient été évoqués Haydn et le plus rare Erwin Schulhoff.

Etre dans l’Histoire


Trois destins d’Autriche, et en des heures si différentes – pas seulement par la chronologie…Quand Joseph Haydn compose sa série des quatuors op.74 – avec les 83 quatuors à cordes, on a sans doute le « bloc » de contribution le plus décisif du compositeur pour l’histoire de la musique -, il est « libéré d’obligations de service ». Le Prince Paul Esterhazy a dissous en 1790 son orchestre et généreusement attribué pension à Haydn, désormais célèbre dans toute l’Europe et qui franchit à deux reprises le Channel pour des séjours glorieux en Angleterre. La Révolution Française ne tourmente guère ce parfait serviteur des Grands et qui entre ses voyages à Londres multiplie les chefs-d’œuvre de son laboratoire chambriste. Le 1er de l’op.74 est d’une grande science d’écriture, presque masquée par l’allégresse de l’esprit haydnien et sa promptitude à ouvrir des fenêtres sur l’élégance un rien nostalgique et pré-schubertienne (trio de l’allegretto), puis à conclure – sur thèmes populaires mélangés à des motifs abstraits – en un finale de prestidigitation des formes et des couleurs.


Un chemin de Wanderer



Quand Franz Schubert parvient en la dernière année de sa si courte vie, il ne peut évidemment savoir – malgré la maladie inguérissable qu’il a découverte 5 ans plus tôt – que ces quelques mois seront ses Chants du Cygne. En 1828 aura lieu le seul concert consacré à ses seules œuvres, lui donnant l’espoir de voir la lumière de la reconnaissance publique le toucher enfin. Et surtout ses partitions témoignent d’un niveau d’inspiration qui à lui seul aurait suffi – l’espace de trois saisons – à sa future gloire. La rapidité d’écriture qui a toujours été sienne touche aussi ce Quintette pour deux violoncelles devenu l’une des œuvres les plus mythiques de la musique de chambre romantique…après que la postérité ait attendu jusqu’en 1850 pour en assurer la 1ère audition. L’atmosphère générale de Vienne, sous la tutelle de Metternich et de son système répressif, n’incline guère à la manifestation d’une liberté d’esprit, mais Franz, après avoir subi en compagnie de ses amis les jeunes libéraux quelques sévères avertissements d’avoir à se tenir tranquille, semble surtout songer à sa création. Le Quintette est dans la continuité de l’ultime Quatuor (15e, 1826), de la dernière Symphonie (9e, été 1828), des deux Trios (1827), des trois dernières Sonates pour piano(été 1828), mais aussi du cycle de lieder du Voyage d’Hiver (1827) et de la partie Heine du recueil « Chant du Cygne » (1828) : toutes musiques d’une philosophie hardie, souvent angoissée, véritables « dictionnaires portatifs de pensée » pour un voyageur (Wanderer) hanté par les questions-sans-réponse. Le Quintette n’est pas confession romantique – au sens parfois un peu trop spectaculaire des termes -, plutôt parcours où l’obsession des rythmes de marche signifie un « chemin mystérieux qui va vers l’intérieur », selon l’inépuisable formule de la poésie Novalisienne. Dans le 1er allegro, ces « marches » énigmatiques se mêlent à des expansions d’un lyrisme bouleversant, à des véhémences, des tremblements (le 15e Quatuor…), et finissent par murmurer l’adieu sur la route. L’adagio est indicible souffrance scandée par des pizzicati et tout à coup envahie d’un déferlement de violence à couleur d’horizon tempétueux. La sauvagerie âpre d’une danse paysanne de nulle part conduit dans le scherzo à un choral exténué de solitude. Le finale semble ressurgir dans la lumière, mais se baigne aussi des mystères d’une pure nostalgie…


La tragédie de la liberté maintenue



Erwin Schulhoff est lui, à jamais, sous le signe de l’Histoire tragique, puisque ce compositeur pragois périt à 48 ans au camp de Wützburg, où il avait été déporté dès 1942 : son militantisme politique dans le cadre de l’idéologie communiste et contre l’asservissement de son pays au nazisme l’avaient désigné tout comme son « art dégénéré » à l’anéantissement par les criminels de la croix gammée. Jeune musicien, il s’était tourné vers la France debussyste, l’Allemagne de la modernité (Hindemith, Schreker, K.Weil) et surtout les Trois Viennois, et tout en nourrissant son oeuvre des chants et danses populaires tchèques il s’imprègne du jazz. Dans les années 20 et 30, ses compositions sont jouées dans les Festivals européens. Son 1er Quatuor est de 1924, ses quatre mouvements adoptent le cadre classique pour témoigner de vivacité rythmique audacieuse et de l’apport des musiques populaires, mais le finale (andante) s’immerge dans la tristesse et l’étrangeté au monde.
Ce programme généreux a été choisi par des interprètes exigeants et conscients de leur devoir de recherche. Le Quatuor Vogler (Tim Vogler et Franck Reinecke, violons ; Stefan Fehland, alto ; Stephan Forck violoncelle) s’est révélé au milieu des années 80, notamment à Evian, et « grandissant » en réputation internationale, il n’en a pas moins continué à travailler avec d’autres « grands » (les Lassalle, Sandor Vegh) et surtout avec des compositeurs dominants mais difficiles d’accès pour le « grand public » : Giorgy Kurtag, Morton Feldman (son 2e Quatuor en création dure 5 heures !), Wolfgang Rihm…Ils se sont aussi intéressés – ce dont témoigne une partie de leur discographie, par ailleurs très romantique et moderne- à des auteurs longtemps minimisés, voire oubliés par l’Histoire officielle : l’Allemand Karl-Amadeus Hartmann – qui fut un résistant de l’esprit, sans compromission avec le nazisme en son propre pays, alors que bon nombre de ses compatriotes, certains illustres, vous connaissez leurs noms, se couchaient en excellents collaborateurs devant les maîtres -, et les compositeurs juifs-autrichiens, parqués à Terezin avant d’être envoyés dans les camps d’extermination comme Auschwitz : Victor Ullmann, Pavel Haas, Gideon Klein…


Un autre voyageur de notre temps



Pour le Quintette de Schubert, les Vogler jouent avec Alain Meunier, l’un des très grands (mais modestes) violoncellistes de notre époque. Alain Meunier est complètement et très activement lié à la transmission de son art, ce que marquèrent sa présence aux côtés de Rostropovitch pour le Festival d’Evian, puis lorsque le Concours du Quatuor à cordes s’est transporté à Bordeaux, une « résidence permanente » dans ce cadre de Directeur : « passage de l’eau au vin », comme le dit avec un humour qui ne semble jamais lui faire défaut ce voyageur impénitent, illustre soliste et chambriste impénitent . Fidèle de l’Académie Chigiana à Sienne, habitué du Festival américain de Marlboro, il a très tôt et beaucoup œuvré pédagogiquement en Italie – avec ses complices le violoniste Salvatore Accardo, l’altiste Bruno Giuranna -, à Naples et Asolo. Et cette complicité s’est transférée en France, plus particulièrement à Lyon, où avec l’amitié agissante du pianiste Christian Ivaldi et de B.Giuranna, s’est jouée l’aventure du Festival des Musicades. En 1956, à 14 ans, il avait commencé, à peine ado, le travail du contemporain : un Trio de Paul Méfano, en compagnie de ses très aînés (enfin tout est relatif : des quadras !) S.Collot et R.Tessier. On ne saurait dire qu’il s’est lassé à ce jeu, créant tant de Donatoni, Bancquart, Dusapin, Finzi, Monnet , Yung, Xenakis…. Tout en gardant, comme il l’avait dit à J.Duffourg, « beaucoup de mépris pour ma propre carrière », et citant son collègue Anner Bylsma, en faisant l’éloge du « devoir d’insolence ». D’où ses remarques gentiment ironiques à l’usage des jeunes (il est aussi enseignant en CNSM, Paris après Lyon, et dans de très nombreux lieux de rencontres en festivals ou stages, sans oublier la Direction bordelaise), pour leur suggérer que le quatuor à cordes a aussi une dimension sociologiquement observable et critiquable, et que les publics n’ont pas besoin d’être sacralisés, surtout s’ils donnent dans la tradition dévotieuse et conservatrice…que tout le monde peut observer comme péché mignon et au moins tentation de cela. Mais il y aussi en Alain Meunier, à travers ses interprétations passionnées des romantiques, une dimension émotionnelle que la pudeur affective ne dissimule parfois plus. A la grande époque des Musicades lyonnaises et de leur répétitions publiques, les auditeurs admis à une séance sur le Trio de Tchaikovski ne peuvent que se rappeler ce qu’en disait Alain Meunier à ses partenaires : « Cette musique-là, vous voyez, il faudrait la comprendre et puis la jouer comme seuls osent le faire les Russes : en pleurant. » Salle Molière, et pour le Quintette de Schubert, il n’est pas impossible qu’on retrouve ce goût des larmes discrètes…

Mercredi 17 décembre 2008, Salle Molière de Lyon, 20h30. J.Haydn ( 1732-1809), Quatuor op.74 n°1 ; F.Schubert (1797-1828), Quintette op.163 ; E.Schulhoff ( 1894-1942), 1er Quatuor. Information et réservation : T.04 78 38 72 66 ; www.musiquedechambre-lyon.org

Illustrations: Joseph Haydn, Franz Schubert, Erwin. Schulhoff (DR)

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