Grand format
C’est d’ailleurs tout ce qui distingue ici le travail spécifique du chef depuis deux saisons, de l’OPS (Orchestre des Pays de Savoie), Nicolas Chalvin: approfondir toujours l’interprétation sur les oeuvres centrales du répertoire symphonique, les Viennois certes, de Haydn, Mozart à Beethoven et Brahms (comme ici), mais aussi les partitions françaises (d’Honegger à Roussel) qui devraient dans les mois et saisons à venir gagner en présence au sein de la programmation de l’orchestre.
Depuis le début de l’actuelle saison 2010-2011, Nicolas Chalvin poursuit avec ses musiciens deux intégrales: avec piano pour les Concertos de Beethoven; pour les instruments à vents, dans les Concertos de Mozart. En travaillant l’équilibre des pupitres, la précision et la sonorité, le chef a depuis sa prise de fonction en 2008, imprimer immédiatement sa marque. Il est vrai qu’excellent chef lyrique, soucieux autant de lisibilité que d’urgence et de tension dramatique, la maestro reste un atout majeur pour la phalange savoyarde, l’une des plus dynamiques sur le territoire où son activité rayonne.
« Oser » un programme aussi ambitieux, de Gorecki à Brahms (2è Symphonie) avec le superbe Concerto pour violon de Sibelius est une gageure qui dure plus d’1h30 et peut s’avérer périlleuse. Or la tenue générale et l’engagement du chef à la tête des deux orchestres totalement associés, s’avère des plus intéressants.
ni routine, ni emphase
Belle entrée en matière que les Trois danses pour orchestre de Gorecki (né en 1933). L’opus 34 du Polonais, composé en 1934 s’affirme par ses effets de contrastes et de plénitude sonore en un triptyque particulièrement caractérisé: le Presto marcatissimo martèle ses notes pointées à la Stravinsky; avec d’autant plus d’intensité qu’il fait place à l’enchantement plus intérieur et contemplatif du volet central –Andante cantabile– dont la tranquillité pacifiée permet aux cordes de tisser à l’unisson un climat hypnotique et suspendu. Le cycle s’achève par un final frénétique, véritable ébullition et trépidation de rythme.
Encore méconnu en France, le violoniste norvégien Henning Kraggerud, presque quadra, offre sa sensibilité nuancée au Concerto du finnois Sibelius. Dans sa version révisée de 1905, la partition saisit par sa force lyrique, son hyper virtuosité jamais gratuite… une plongée romantique particulièrement engageante que le soliste traite avec une tension remarquable dans les premiers et seconds mouvements; avec moins de clarté et de construction dans le dernier: baisse de tonus anecdotique tant le jeu tout en nuances et cette élégance suggestive tirent le Concerto sibélien vers ses sommets allusifs et intérieurs. A son écoute, l’orchestre sculpte et cisèle les couleurs de la tendresse et de l’amertume, une alliance si propre à Sibelius, l’un des orchestrateurs les plus originaux du début du XXè.
un Gracioso qui respire
Après l’entracte, place à la 2è de Brahms dont on regrette souvent la lourdeur solennelle des approches, ce caractère pompeux et surjoué qui devient un défaut destructeur. C’est ici que Nicolas Chalvin montre sa capacité: veiller aux nuances, préserver la clarté, souligner l’évidente ossature -monumentale- d’une symphonie que Brahms définissait pourtant comme « petite et gaie », minimisant d’emblée son format colossal… C’est peut-être pour souligner d’abord l’esprit sur la forme: les deux premiers mouvements sont traversés par une urgence émotionnelle particulièrement prenante, dont chef et musiciens savent détacher la saveur amoureuse (en particulier dans les thèmes enveloppants et vénéneux, réservés aux violoncelles). Le geste jamais appuyé, la finesse de la direction, cette préoccupation permanente qui veille à la lisibilité contrapuntique sont particulièrement convaincants. Nicolas Chalvin évite et la routine, et l’emphase. Son sens des respirations, l’ampleur de certains phrasés confèrent à sa lecture, une réelle profondeur: on notera entre autres, ce caractère gracioso esquissé avec l’élégance requise (l’adagio), plus nettement affirmé dans l’allegretto qui suit. Cordes en phase, harmonie somptueuse, et de très belles couleurs au cor solo: ce Brahms sourit avec bonheur et même son final, d’une construction charpentée, très élaborée, souvent joué trop solennel, respire ici avec clarté et tension. Chapeau bas. Le concert Gorecki, Sibelius, Brahms est repris mardi 9 novembre 2010 à Genève (Bâtiment des forces motrices). Incontournable.
Grenoble. MC2, le 6 novembre 2010. Gorecki: Trois Danses (1973). Jean Sibelius: Concerto pour violon (version 1905): Henning Kraggerud, violon. Johannes Brahms: Symphonie n°2 en ré majeur opus 73. Orchestre des Pays de Savoie. Orchestre de Chambre de Genève. Nicolas Chalvin, direction.