Opéra. Mort de Gérard Mortier, ex directeur de l’Opéra de Paris. Diagnostiqué au printemps 2013, le cancer du pancréas aura foudroyé Gérard Mortier, décédé à Bruxelles, ce samedi 8 mars 2014, à l’âge de 70 ans. Le gantois était né en 1943 à Gand (Belgique). L’ex directeur de l’Opéra national de Paris entre 2004 et 2009 laisse une empreinte inoubliable dans la capitale française, aussi contesté et critiqué fut-il. En rétablissant le lien entre rue, actualité et scène lyrique, Gérard Mortier a donné l’idée d’un théâtre engagé, sensible comme un oscilloscope aux vibrations et aux tensions de son temps. En menant une politique exigeante sur le plan dramatique, choisissant les metteurs en scène avec minutie (Le couple Herrmann, Christophe Marthaler, Patrice Chéreau, Peter Sellars, Herbert Wernicke, Peter Mussbach, Luc Bondy, Klaus-Michael Grüber, et tardivement Krzysztof Warlikowski plus contestable…), le directeur d’origine flamande insuffle une nouvelle aspiration artistique et culturelle, faisant du spectacle lyrique, un acte poétique et aussi un engagement dénonciateur, source de questionnements et d’interrogation critique adressée à l’endroit des publics.
Gérard Mortier : réenchanter l’opéra
Sous sa direction, l’opéra ne fut pas uniquement un divertissement bourgeois poussiéreux et démodé : l’œuvre de Gérard Mortier l’aura parfaitement démontré avec quel talent et même de façon exemplaire, mieux que tous ses confrères. Ni provocateur ni anticonformiste, Gérard Mortier incarne l’action d’un humaniste militant, soucieux de rétablir l’opéra dans l’actualité critique : grâce à lui, le genre que l’on dit toujours et encore, dépassé et mort, n’a jamais suscité autant de passion, de scandales, d’attentes. Sa dernière commande d’importance reste au Teatro real de Madrid, l’opéra brokeback mountain d’après le film d’Ang Lee lui-même inspiré de la nouvelle d’Annie Proulx (création mondiale présentée en janvier-février 2014), une incontestable réussite.
Aucun théâtre au monde ne semble partager une même exigence. La scène lyrique doit questionner notre société, repérer les mythes encore vivaces, rétablir le lien entre culture et citoyens ; partisan du sens critique, le penseur Mortier aura renouvelé notre conception du genre. Jamais sous sa direction, l’Opéra de Paris n’aura autant fait parler de lui, ni finalement suscité autant d’achat de billets. L’Opéra comme genre ouvert sur le monde était pour Gérard Mortier, nécessaire au débat public, la culture étant seule, capable de rassembler tous les européens.
Désormais la distinction biennale « Mortier Award » distinguera les professionnels du lyrique, dignes successeurs du visionnaire, méritants par leur sens du risque, leur exigence intellectuelle, leur souci de l’enchantement visuel.
Dans un communiqué diffusé ce jour, l’Opéra national de Paris précise que la reprise de Tristan et Isolde donnée à l’Opéra Bastille à partir du 8 avril 2014 « lui sera dédiée ».
LIRE : « Gérard Mortier, L’Opéra réinventé », Parcours musique par Serge Martin (éditions Naïve, 2006). Dramaturgie d’une passion par Gérard Mortier. Christian Bourgeois éditeur, 2009.
Illustration : Gérard Mortier ©MaxPPP