dimanche 27 avril 2025

Genève. Grand Théâtre, les 18 et 19 septembre 2010. Gioacchino Rossini : Il Barbiere di Siviglia. JF Gatell / J. Tessier, S. Tro Santafé / Jane Archibal… Alberto Zedda, direction. Damiano Michieletto, mise en scène

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Pour ouvrir la saison 2010-2011, le Grand Théâtre de Genève offre à son public le toujours populaire Barbier de Séville du cygne de Pesaro, Gioacchino Rossini. Pourtant, ces représentations recèlent un trésor, subtil et malicieux : non content de montrer la belle Rosine sous les traits bien connus d’une mezzo-soprano, le Grand-Théâtre la révèle sous ses atours de soprano aigu, version très courante il y a encore une cinquantaine d’années, mais laissée de côté au profit de l’original pour contraltino.
En effet, bien qu’écrit pour une voix grave de femme, le rôle de la jeune rouée a bien vite été chanté par des instruments plus aigus, les sopranos s’en étant emparées, afin de donner à la demoiselle une féminité plus en accord avec l’époque, qui voyait la femme plus volontiers incarnée par un soprano.

Double Barbier pour double couleur

Pour donner vie à cette version aux doubles couleurs, le Grand-Théâtre a fait appel au metteur en scène italien Damiano Michieletto et à son décorateur, Paolo Fantin. Le scénographe transforme l’histoire du comte Almaviva et de sa bien-aimée en une amourette d’adolescents d’aujourd’hui, lui en short et capuche, elle en collants roses et minijupe. Figaro est un Barbier « de qualité », toujours tiré à quatre épingles et aux manières distinguées, plus noble que son prétendu « maître ». L’histoire se déroule dans une rue espagnole, avec son bar et son immeuble, ses paraboles et ses balcons sur lesquels sèchent les vêtements.
Ce décor est réalisé avec un soin remarquable et un réalisme saisissant, quasi-cinématographique. Le sommet est atteint lorsque Figaro, dans son célébrissime air, fait pivoter la façade de l’immeuble pour en révéler l’intérieur, ses escaliers et sa multitude de pièces, de la cuisine au salon en passant par le bureau de Bartolo, la chambre de Berta, et… son inénarrable gardien. Un décor à couper le souffle, d’une minutie rarement égalée.
La direction d’acteurs est elle aussi élaborée avec une précision infinie, les personnages admirablement caractérisés, mais force est de constater qu’elle nuit plus souvent au chant et à la musique qu’elle ne les sert. Les chanteurs sont tous obligés de cavaler constamment dans les escaliers et à travers les pièces, quand ce n’est pas de phraser, comme doit le faire le comte durant sa sérénade, une main accrochée à la gouttière et l’autre au balcon. Performance impressionnante mais peu favorable à un appui vocal correct.
Chaque personnage, y compris les figures du chœur, a sa vie propre parfaitement millimétrée dans sa réalisation scénique, y compris en-dehors des airs solistes. Et là se situe sans doute l’écueil principal de cette direction d’acteurs trop multiple : l’œil est sans cesse attiré ailleurs qu’à l’endroit où est censée se dérouler l’action principale, et l’oreille est, par le fait, bien souvent distraite au point de ne rien retenir de ce que chante le protagoniste à cet instant-là dans son air. Un comble pour de l’opéra, et plus encore pour le répertoire rossinien, centré comme peu d’autres sur la vocalité. Beaucoup de théâtre, mais peu d’intérêt accordé visiblement à la musique et à son rôle fondamental.
Les interprètes, jeunes pour la plupart, font de leur mieux pour servir cette scénographie épuisante, certains plus acrobates que d’autres.
En Almaviva, Juan-Francisco Gatell, déjà applaudi au Théâtre des Champs-Elysées dans Don Pasquale avec Riccardo Muti, présente quelques duretés dans son émission vocale durant la première partie du premier acte, aigus légèrement poussés et vocalises prudentes, mais il faut reconnaître que les cascades physiques qui lui sont demandées ne l’aident guère. Lorsqu’il revient, déguisé en militaire, la voix semble transfigurée : plus de trace d’effort, donnant l’impression de ne chanter que dans une superbe mezza voce parfaitement timbrée, il se promène littéralement dans la partition. Il s’offre le luxe de clore sa prestation avec l’air final du comte, le terrifiant « Cessa di più resistere », qu’il affronte avec ce qu’il lui reste d’énergie, non sans panache. Toutes les notes sont là, lui manque encore la fluidité dans les agilités, mais gageons qu’il l’obtiendra bien vite.
Le lendemain, l’américain John Tessier révèle une émission vocale remarquable de légèreté et de concentration sonore, un modèle du genre. Les vocalises sont parfaitement sur le souffle, coulent sans effort, impeccablement déroulées, et les aigus sonnent percutants et faciles. Un nom à suivre de très près.
Dans le rôle du barbier, le roublard Figaro, osons donner notre préférence au baryton grec Tassis Christoyannis, extrèmement charismatique, visiblement à l’aise dans ce rôle au fort magnétisme, et semblant avoir noué avec son Almaviva une complicité réjouissante. Vocalement, il est à saluer très bas, tant la place de la voix est sans reproche, l’émission mordante, les nuances très raffinées, et les vocalises – chose rarissime chez les barytons – réalisées à la perfection, jamais savonnées ou escamotées. « Di qualità », vraiment. Pietro Spagnoli, lui succédant, connaît son barbier sur le bout des doigts, le chante impeccablement, mais force est de constater qu’il semble scéniquement plus discret que son prédécesseur.
Pour Rosine, tout est affaire de goût : les amateurs de voix corsées et de graves puissants apprécieront le mezzo accompli de Silvia Tro Santafé, au timbre cuivré, et à l’agilité bien maîtrisée.
Les amoureux de pyrotechnie et autres acrobaties vocales seront comblés par le soprano sans reproche de la canadienne Jane Archibald. La voix semblant sans limite dans l’aigu et le suraigu, elle étonne par l’ampleur de son registre grave, osant dans son air « Una voce poco fa » les descentes dans le grave écrites par Rossini, même si transposées ici un demi-ton au-dessus de l’original, puisque pour soprano. Les variations, éblouissantes, sont superbement exécutées, et toujours avec une exquise musicalité. A suivre, assurément.
Son tuteur, le bougon Bartolo, se voit merveilleusement servi. Alberto Rinaldi, malgré son âge, affiche une voix encore étonnamment préservée, et un art du sillabato époustouflant. Plus encore que la performance vocale, c’est son incarnation scénique qui suscite l’admiration, tellement il semble posséder son rôle, en vieux briscard de la scène. Tout en lui respire le naturel, comme une évidence, un extraordinaire comédien.
Le lendemain, Eduardo Chama, plus jeune, offre un portrait plus traditionnel du barbon, plus outré, moins fin, même si vocalement tonnant et en place. Pour Bartolo, malheureusement, nous n’échappons pas à une tradition malheureuse : Burak Bilgili, le premier soir, offre à entendre une caricature de basse, avec des sons grossis et lourds, et un registre aigu qui s’étouffe à force d’engorgement. Pourtant, la voix semble monumentale, et l’air de la Calomnie est couronné par un sol aigu puissant et fort impressionnant. Nous ne pouvons que rêver à ce que pourrait donner cette voix avec une autre émission et une autre technique. Ugo Guagliardo, qui lui succède, démontre une conception du chant autrement plus saine, mais non dénuée d’une certaine artificialité dans la couleur sombre.
En Berta, rires garantis avec Bénédicte Tauran, hilarante en nymphomane hystérique, coiffée d’improbables bigoudis. Le personnage prend avec elle une dimension insoupçonnée, au point d’en éclipser parfois ses partenaires, y compris dans son air, chanté avec aplomb et un plaisir communicatif.
Carine Séchaye fait son office dans le même rôle le lendemain, efficace mais sans la présence scénique démesurée de sa consœur.
Les seconds rôles sont tous bien tenus, occupant l’espace avec bonheur.
A la tête d’un Orchestre de la Suisse Romande des grands soirs, l’un des plus grands défenseurs de la musique de Rossini : Alberto Zedda. Le maestro italien connaît cette musique et l’aime comme personne. Sa direction fuse, pétille, tournoie, dans des crescendi savamment élaborés, parfaitement structurés et à l’efficacité redoutable, de ceux des plus grands chefs.
Deux superbes soirées, riches de jeunes talents, dont on sort d’humeur joyeuse et en pleine forme, le sourire aux lèvres.

Genève. Grand Théâtre, 18 et 19 septembre 2010. Gioacchino Rossini : Il Barbiere di Siviglia. Livret de Cesare Sterbini. Avec Il Conte d’Almaviva : Juan Francisco Gatell / John Tessier ; Rosina : Silvia Tro Santafé / Jane Archibald ; Figaro : Tassis Christoyannis / Pietro Spagnoli ; Bartolo : Alberto Rinaldi / Eduardo Chama ; Basilio : Burak Bilgili / Ugo Guagliardo ; Berta : Bénédicte Tauran / Carine Séchaye ; Fiorello : Nicolas Carré / Harry Draganov. Chœur du Grand Théâtre de Genève. Orchestre de la Suisse Romande. Alberto Zedda, direction ; Mise en scène : Damiano Michieletto. Décors : Paolo Fantin ; Costumes : Silvia Aymonino ; Lumières : Fabio Barettin ; Chœurs : Ching-Lien Wu ; Continuo : Xavier Dami

Illustration: © V.Lepresle Genève 2010: les deux distributions 1 puis 2
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