samedi 3 mai 2025

Genève. Grand Théâtre, le 13 février 2010. Alban Berg: Lulu (version 1979). Patricia Petibon (Lulu). Olivier Py, mise en scène. Marc Albrecht, direction

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Lulu acide

Au grand dam des conservateurs (toujours effrayés avant de voir), osons dire que ces images pornographiques cryptées projetées au moment où Lulu fait le tapin (en l’occurrence une sodomie à peine lisible) est avec le recul digne d’un pétard mouillé, tant, anecdote infime, ce détail qui avait déclenché les foudres médiatiques, reste épisodique dans une production éblouissante par sa tenue vocale et sa cohérence scénique d’ensemble. On aime toujours, ici et là, annoncer la décadence et la mal-scène de l’opéra sans voir, sans prendre soin de mesurer, tester, enquêter, et ici, comprendre ni reconnaître tout simplement … l’une des très fortes mises en scène d’Olivier Py.
Au public échaudé de Genève, frappé par le metteur en scène français depuis 2005 avec son Tannhäuser obscène (un hardeur, HPG, était sollicité sexe turgescent, et ici parfaitement visible, dans la fameuse orgie vénusienne), de reconnaître la grande qualité de la lecture de Lulu. Tobias Richter poursuit ainsi une collaboration exemplaire avec l’un des acteurs de la scène lyrique les plus captivants. Reconnaissons là encore que, après Tristan und Isolde présenté à Angers Nantes Opéra (mai 2009) ou Pelléas, Py fait à l’opéra, des étincelles.

De quoi s’agit-il? D’un spectacle mordant et âpre, violent et barbare, cynique et inhumain, l’équipe fait un spectacle d’une cohérence idéale, dévoilant la barbarie familière: tout ce qui est le lot commun de notre époque où l’homme n’a jamais tant exploité l’homme (et la nature). Les spectateurs les plus indignés gagneraient à méditer ce que dénonce dans le fond cet opéra qui malgré son presque centenaire d’existence, n’a jamais été plus juste dans ses aigreurs satiriques. Créature ingénue et fatale, Lulu manipule, détériore, séduit pour avilir, détruit tout ce qu’elle touche par sa beauté troublante. Il faut bien Jack l’éventreur (habillé en Père Noël dans la neige!) pour achever cette bête inhumaine et immonde, monstrueuse invention du désir de l’homme (et de la femme: la comtesse Geschwitz aime elle aussi cet ange démoniaque). La 6è création lyrique d’Olivier Py à Genève collectionne les couleurs acides et criardes sous influence expressionniste, mais aussi les images chocs (enseignes lumineuses et sex shop, boucherie et rue sordide…): voudrait-il provoquer cet électrochoc qui doit saisir la conscience des spectateurs? Trop d’inhumanité dévoilée peut susciter un regain d’humanisme.

Avec Lulu, Alban Berg (1881-1935) reprend et même réinvente le mythe légué par Wedekind. Du brûlot contre l’establishment bourgeois, le compositeur fait une oeuvre de distorsions aiguës: au sujet barbare, il fait correspondre une partition foisonnante qui déborde du début à la fin. L’écoute est continue, comme saisie par un continuum finalement plus lyrique que tendu, comme les yeux sont captivés par un théâtre d’horreur.
Le chef d’oeuvre visionnaire trouve à Genève une équipe particulièrement engagée. Elle en fait surgir la modernité cinglante, comme la criante poésie des atmosphères musicales. Palmes à l’excellente soprano Patricia Petibon, déjà complice de ses Contes d’Hoffmann: la chanteuse a non seulement la silhouette du rôle, souple et ondulante comme le serpent du péché, lubrique et pénétrante, mais elle déploie aussi ce chant musical et ciselé qui donne un relief suractif et dominateur à la femme-enfant. En Pandora capiteuse et provocante, la soprano française se délecte à sculpter chaque volute érotico-mordide du personnage central. Saluons ses partenaires qui donnent vie et sang, nerfs et désirs aux personnages aimantés par Lulu: excellents à ce titre sont le docteur Schön/Jack de Pavlo Hunka; l’Alwa de Gerhard Siegel; le peintre de Bruce Rankin
L’implosion interne que fait entendre la musique de Berg (en cascades répétées) se lit sur la scène. Le dispositif mouvant de Pierre-André Weitz ondule lui aussi, en miroir avec l’ascendance de la pêcheresse; puis, se rétracte et s’inverse au III, quand il ne s’agit plus que de peindre la chute et l’assassinat de la diva du stupre.
Si Py mesure ses effets, en fidèle d’une lecture architecturée, le chef Marc Albrecht construit aussi la progression du flux musical comme un tout organique. Sa direction finit de polir une approche de Lulu, à l’ostinato chambriste (rapport voix/scène, idéal), en autant de facettes irrésistibles. Superbe production. Et nouveau défi relevé par Olivier Py sur la scène Genevoise. Ne manquez pas Lulu au Grand Théâtre de Genève: dernière, le 19 février 2010 prochain. Nous n’avions pas salué de Lulu de Berg plus convaincante ni plus subtile.

Genève. Grand Théâtre le 13 février 2010. Alban Berg: Lulu (version Friedrich Cerha,1979). Patricia Petibon (Lulu), Julia Juon (la Comtesse Geschwitz), Silvia de la Muela (l’Habilleuse, le Lycéen, le Groom), Robert Wörle (le Professeur de médecine, le Prince, le Valet, le Marquis), Bruce Rankin (le Peintre, le Nègre), Pavlo Hunka (Dr Schön, Jack l’éventreur), Gerhard Siegel (Alwa), Hartmut Welker (Schigolch), Sten Byriel (le Dompteur, l’Athlète), Wolfgang Barta (le Banquier, le Directeur de théâtre), Jean Lorrain (le Commissaire de police), Emilie Pictet (la Fille de quinze ans), Monique Simon (Sa mère), Magali Duceau (la Décoratrice), Heikki Kilpeläinen (le Journaliste), Alexandre Diakoff (le Serviteur), Michael Tschamper (le Clown). Orchestre de la Suisse romande, Marc Albrecht, direction. Olivier Py, mise en scène. Grand Théâtre de Genève. Le 19 février 2010 à 20 heures. Tél. : 00-41-22-418-31-30.

Illustration: Grand Théâtre de Genève, Lulu d’Olivier Py (DR)

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