mercredi 11 juin 2025

Gaetano Donizetti (1797-1848), L’elisir d’amore (1832)

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Un buffa superficiel?
Donizetti, musique facile, un tantinet superficielle, au dramatisme creux et aux ficelles remâchées ? Le jugment est facile. Or rien de moins vrai s’agissant d’un génie de la scène lyrique italienne. Talent vite oublié et minoré après Rossini, avant Verdi, rival douloureux de Bellini, son cadet de quatre ans. Autant dire son incontournable contemporain.
Sa Lucia di Lammermoor (1835) continue d’être jouée : logique pour une partition qui reste le chef d’oeuvre de l’opéra romantique italien. Pendant un bref séjour à l’été 1832, Berlioz se révèle un témoin imprévu. Arrivé à Milan, il témoigne de sa découverte à l’opéra, de cet Elisir d’Amore. Témoin furtif, finalement étranger à sa séduction buffa, car le bruit de la salle, dont les loges bruyantes où les spectateurs dînaient au mépris du spectacle qui se jouait dans leur dos, empêchait d’écouter la musique et les chanteurs ! Notre Hector, touriste français dans la capitale du bel canto, se retira illico.
Comment mesurer la valeur de cette partition comique, aussi légère que séditieuse, dont la composition fut « bâclée » en l’espace de quelques semaines?

Genèse
Alessandro Lanari demande à Donizetti qui vient pourtant d’essuyer un échec cuisant à La Scala avec Ugo, conte di Parigi, demande à Donizetti, pour son théâtre du Cannobiana, un nouvel opéra pour la saison 1832. Donizetti s’attèle avec joie, d’autant que pour librettiste, il bénéficie des vers du plus grands versificateurs de l’heure, résidant à Milan lui aussi, Felice Romani. Donizetti a 34 ans et déjà le même cota d’opéras composés (en vérité 36!). Il s’est imposé sur la scène lyrique mais dans la veine tragique, grâce à Anna Bolena, créé en décembre 1830, au Teatro Carcano de Milan.
Donizetti souffre de la rivalité croissante du jeune Bellini qui vient de triompher avec sa Sonnambula (1831, avec la Pasta dans le rôle-titre!). Romani signait le livret.
Romani adapte le livret préexistant du Philtre d’Auber, rédigé par Scribe. D’ailleurs, la basse française dont dispose Donizetti pour son Elisir, Henri-Bernard Dabadie, a chanté dans le Philtre. Le librettiste regarde aussi, du côté d‘Il filtro de Malaperta. L’action se passe également en pays basque. Mais, les noms des quatre protagonistes ont changé.
Bien que caractériel et bourru, Romani rédige un texte élégant et inventif, deux adjectifs qui peuvent être avancés pour la musique de Donizetti. En génie de l’imagination fluide, Donizetti imposa contre l’avis de Romani, l’air de Nemorino, « Una furtiva lagrima« , l’un des plus beaux airs pour ténor de l’époque.

Un elisir tendre
Comparé aux autres ouvrages Donizettiens dans la veine comique, l’Elisir se révèle plus tendre et gracieux, comme adouci. La veine est d’une essence plus diluée que le futur Don Pasquale, chef d’oeuvre d’esprit rossinien, aussi cruel que Cosi fan tutte de Mozart. Le personnage de Nemorino qui est la proie du faux elixir à l’efficacité plus que douteuse, conduit l’action. Tendre et sincère, en rien ridicule ni grotesque, il exige de l’interprète de la subtilité, y compris dans les épisodes comiques dont le tableau où sous l’action du philtre d’amour (en fait, un vin de Bordeaux), Nemorino devient ivre. Adina quant à elle, dévoile cette même profondeur psychologique : elle comprend que seule la constance paie. A leurs côtés, Donizetti et Romani ajoutent deux rôles comiques : le charlattan et le matamore. Les deux rôles qui proviennent directement de la commedia dell’arte tentent chacun des deux amoureux, du moins les écarte-t-il symboliquement l’un de l’autre ; il les conduisent à éprouver en définitive la valeur de leur attachement. En les séparant, il permet qu’ils se retrouvent définitivement. C’est une école amoureuse de caractère napolitaine et buffa, mais au cynisme et au sarcasme beaucoup moins persistant que Cosi.

Réception
A sa création, l’ouvrage suscita quoiqu’en dise Berlioz, finalement peu attiré par les vocalises italiennes, un franc succès. Le génie de Donizetti, en digne héritier de Rossini, manie la légèreté avec profondeur. La sincérité des sentiments succèdent souvent aux tableaux de pur buffa. En deux actes, efficace et accessible, séduisant et émouvant, l’ouvrage reste l’une des meilleures partitions du Donizetti plein de verve et d’humanité, précuseur du futur Don Pasquale (créé à Paris, à l’Opéra-Comique, le 3 janvier 1843).

Discographie
Richard Bonynge, 1970
Joan Sutherland (Adina), Luciano Pavarotti (Nemorino)… Ambrosian opera chorus, English Chamber Orchestra. Difficile de rester insensible à la qualité superlative de cet enregistrement qui fait partie des meilleures réalisations de Dame Joan. Le timbre idéalement tendre et fragile accomplit le personnage d’Adina. A ses côtés, le feu et l’éclat solaire de Pavarotti sont tout simplement époustouflants : sa vitalité brûle les planches. Coffret Decca, réédité en novembre 2006, dans le cadre de l’édition Decca des 80 ans de Dame Joan Sutherland.

Illustrations
Portrait de Gaetano Donizetti (DR)
Watteau, Pierrot et les comédiens italiens (Paris, musée du Louvre)

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