Fritz Lang
Les Nibelungen, 1924
De la beauté atemporelle de l’homme armé, du combattant sans peur ni scrupule… 3 ans avant son chef d’oeuvre Métropolis (1927), également impressionnant par les moyens et personnels requis pour sa réalisation, Fritz Lang (aidé de son épouse Thea von Harbou) s’engage sur le thème des Nibelungen… trucages saisissants et souvent inédits, lumières millimétrées aux clairs obscurs photographiques (Carl Hoffmann, directeur de la photo)…: les performances techniques montrent l’efficacité des studios de l’Ufa à Babelsberg.
En deux parties (la mort de Siegfried, puis la revanche de Kriemhild), la fresque cinématographique de Fritz Lang achevée en 1924, Les Nibelungen entend rivaliser par son souffle et son ampleur visuelle au Ring wagnérien. Les 5 heures de film revisitent selon la vision du cinéaste, légendes et épopées germaniques et scandinaves afin de produire la geste du peuple allemand. Le cinéaste propose une vision qui n’a rien à voir avec la Tétralogie de Wagner.
La mort de Siegfried (2h25) après son prologue dans la forêt met surtout en avant le riche et spectaculaire palais des Burgondes, lieu d’une froideur inhumaine qui contraste avec la figure plus énergique du héros Siegfried. Une forêt avec des arbres de 8 m de haut a été reconstituée: le monstre à lui seul mesure 21 mètres et ses mouvements ont été conçus de manière aussi réaliste et fluide que possible. Au final, le dragon, le champs de brume quand Albérich invisible attaque Siegfried, l’aurore boréale, la mer de feu en Islande, les nains changés en pierre, l’arbre en fleurs qui se transforment en crânes terrifiants… sont autant d’effets spécieux et spectaculaires à l’époque qui aujourd’hui conservent leur puissant effet d’enchantement et de merveilleux. C’est la partie qui de loin eut le plus de succès.
Dans la seconde partie (2h), plus ambivalente, plus étrange, plus échevelée aussi donc moins immédiatement accessible, La revanche de Kriemhild, Fritz Lang évoque la vie des Huns, peuple apparemment sauvage voire barbare mais dont les pulsions souterraines sont proches de celles des Burgondes. L’ensemble des tableaux et scènes ont été tournés en studio et répondent à l’esthétique distanciée voire cynique de Fritz Lang, où l’homme dérisoire figure dans l’immensité des sites, est comme dans les paysages de Poussin, un frêle avorton, occupé à combattre… pour mieux accélérer sa fin. Les scènes de foules aux mouvements mesurés, les vues en perspective de la ville de Babelsberg où vivent les Huns… sont des réussites mémorables. Toute l’action de la seconde partie met en branle la machinerie de la vengeance: et la version 2011 des Nibelungen souhaite compléter le volet jusque là incomplet, selon le scénario originel de Lang. Après que Kriemhild tue Hagen, une série d’images extraites d’archives jamais remontée, la montre foudroyée elle-même par l’épée car Fritz Lang avait écrit la mort de Kriemhild par Hildebrand.
Les nazis y décèlent immédiatement une arme de propagande efficace pour glorifier l’idéal aryen : une version nouvelle, sonorisée en particulier de la première partie dédiée à Siegfried, voit le jour en 1933 sans la validation de Lang qui auparavant avait rejoint la France puis les Etats Unis.
Arte, Lundi 3 octobre 2011 à 20h40. Les Nibelungen de Fritz Lang. Version révisée et complétée 2010, 4h30mn. Restauration réalisée par la fondation Murnau à partir des 18 copies d’époque, version finale 35 mn recolorisée. Musique originale de Gottfried Huppertz (Orchestre symphonique du Hessischer Rundfunk. Franck Strobel, direction).
La diffusion sur Arte de la nouvelle version des Nibelungen de Fritz Lang accompagne la projection du film à la Cinémathèque française, avec accompagnement de piano (Olav Lervik, compositeur et Christian Schumann, pianiste), le 26 octobre 2011 à 19h (5 rue de Bercy 75012 Paris).