Feuilleton 1 Frédéric Chopin 2009
George et Frédéric
Paris, hôtel de France, automne 1836: ils se voient pour le première fois lors d’une réception à l’automne 1836. Pas de choc réciproque alors, mais bientôt s’installe chez l’écrivain, un désir d’en savoir plus sur le pianiste au spleen si magnétique, sur cet être féminin à l’hypersensibilité sympathique qui réanime sa quête de trouver enfin le grand, le pur amour. George Sand, trentenaire, collectionne les aventures, la dernière pour Michel de Bourges dont l’autorité virile et puissante agace finalement l’hôtesse de Nohant. Elle s’est aussi éprise – ou du moins s’est laissée porter- par le précepteur de son fils Maurice, Félicien Mallefille, mais face à l’attraction pour Chopin, Sand n’hésite pas un seul instant pour faire sa cour et leur idylle débute en avril 1838: après une courte nuit faite d’un « embrasement céleste » (selon les mots de Sand), les deux amants décident de quitter Paris pour s’aimer librement (emmenant cependant les deux enfants de l’écrivain, Maurice -15 ans- et Solange -10 ans- ainsi qu’une gouvernante, Amélie)… à Majorque.
Chopin a bien conscience que sa liaison avec une femme plus âgée que lui (de si peu: elle en a 34, et lui, 28 ans) pourrait choquer ses élèves et les familles au sein desquelles il donne ses cours (si appréciés). Mais il sait aussi que la chaleur lui fera du bien, à son pauvre corps malade rongé par la phtisie; qu’il pourra enfin, loin des mondanités inévitables, composer, achever en particulier ses 24 Préludes (promis à Camille Pleyel qui en retour pour lui permettre d’écrire sur un bon piano, lui fera livrer un bel instrument de sa fabrique, digne de ses compositions. L’instrument mettra un certain temps pour parvenir jusqu’au musicien dans sa retraite espagnole… (pas avant janvier 1839! C’est à dire le mois où il achève ses 24 Préludes).
Avant de partir de Paris, son ami le marquis de Custine, visité avant son départ, en octobre 1838, se désespère de voir filer son bien-aimé pianiste dans les griffes d’une amoureuse « vampire » dont il craint que l’épuisante énergie n’use définitivement le si faible compositeur.
Chopin lui joue la Prière des Polonais (Largo d’après le chant de jan Kaszewski de 1816: « Dieu, toi qui créas la Pologne... », sorte d’hymne engagé, qui porte dans le coeur du déraciné, son cher et indéfectible amour de la patrie polonaise trop lointaine… cet air deviendra l’hymne national polonais. Le pianiste interprète aussi sa nouvelle Polonaise en la majeur, au ton ample, solennel et héroïque comme une fanfare, constituée d’accords sans ornementations… Le 27 octobre 1838, le jeune amoureux est sur la route, impatient de retrouver celle qui règne désormais sur son coeur. Leur relation ombrageuse, riche en non-dits et tensions affectives durera 9 années.
3 mois à Majorque…
Arrivé sur l’île, le couple d’originaux ne manque pas d’être remarqué et l’on prendra soin de rendre leur séjour plus insupportable encore qu’il n’a commencé. Après avoir occupé un logement indigent et sale (une auberge de fortune car tous les hôtels étaient complets), Sand et Chopin s’installent finalement dans la chartreuse de Valldemosa, perchée entre ciel et forêt… Chopin ne cesse d’y penser, c’est là qu’il pourra terminer les Préludes, la Polonaise en ut mineur, préciser le plan de la Mazurka en mi mineur (opus 41), enfin le développement de sa nouvelle (deuxième) Ballade en fa majeur… De nature chétive, mis à rude épreuve pendant son voyage depuis Paris, il tombe malade (grosse bronchite). Mais l’esprit rasséréné par le paysage enchanteur des palmiers, cyprès, et des orangers, ayant toujours près de lui son cher Bach (et la partition du Clavier bien tempéré), Chopin reprend des forces, couvé par Sand, plus infirmière et cuisinière attentive (Chopin ne mange ni porc ni huile du cru) que maîtresse romantique.
Mais ce qui devait être un doux nid d’amour devient refuge cauchemardesque: les pluies torrentielles qui s’accumulent font craindre en raison de l’humidité récurrente qui s’infiltre partout et continûment, pour la santé du pianiste… Pire, les paysans aux alentours, et le personnel de la Chartreuse regardent d’un oeil noir le couple parisien et ne font rien pour les aider (au contraire). Ils décident d’ajourner leur périple et de profiter du passage du cargo qui les avait acheminés, pour regagner la Provence française … et y demeurer. Le départ a lieu non sans péripéties, éprouvantes là encore pour le pauvre Chopin, le 13 février 1839.
Entretemps, le musicien a vendu son Pleyel (à la femmes du Consul). Sur le bateau, Chopin crache du sang, entassé avec ses compagnons (d’infortune) dans un réduit qui empeste l’odeur des cochons car le cargo a pris tout un chargement de bêtes… Malade, Chopin à Barcelone reste alité une semaine. Puis, le couple rejoint Marseille le 24 février non sans soulagement d’avoir enfin regagné la France.
Les 24 Préludes
Epuisant, le séjour espagnol aura duré 3 mois. En janvier 1839, Chopin y termine les 24 Préludes, mais aussi les Polonaises opus 40. Sur le modèle de Bach (et de son Clavier bien tempéré), Chopin écrit ses Préludes comme autant de miniatures, parcourant les 24 tons, dans toutes les tonalités. Le compositeur y adapte la forme d’une ballade, mazurka, scherzo, d’une marche funèbre… Le cycle ouvre des perspectives nouvelles propres aux années de maturité: Chopin à 29 ans, possède son instrument et l’art de la composition, d’une manière unique et singulière. L’unité y est donnée par l’utilisation et le retour cyclique d’un motif identique: montée et descente immédiate de l’intervalle de seconde. Comme Schumann le fera dans Carnaval en faisant émerger des motifs d’une formule mère (quatre notes d’un triton). Sous le masque d’une diversité de climats et d’affects, miroir synthétique de toutes les passions humaines, Chopin préserve la cohérence sur le plan mélodique.