vendredi 29 mars 2024

Franz Schubert: Les Conjurés. Les Solistes de LyonOullins, Vienne. Du 12 au 14 janvier 2011

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Franz Schubert


Les Conjurées
, D.787

Domaine réservé, domaine bien méconnu : l’opéra schubertien. En
variations sur le thème « Les femmes au pouvoir ! », voici Les
Conjurées, écrit par Schubert en 1823, d’après Lysistrata d’Aristophane
transposé au Moyen-Age. Bernard Tétu dirige ses Solistes de Lyon,
accompagnés au piano par Philippe Cassard, et dans une mise en espace
minimaliste de Jean Lacornerie. A (re)découvrir.

Les Solistes de Lyon
Bernard Tétu, direction

Oullins (69),
Mercredi 12 et jeudi 13 janvier 2011

Vienne (38),

Vendredi 14 janvier 2011

Le Pavillon du diable et le Comte de Gleichen

« Il croyait en l’opéra, mais il n’a jamais su en écrire. » « Ses opéras sont de chambre, ils s’appellent lieder. » Vrai ou faux, à propos de Schubert ? Disons : une part de vrai. Mais comme toutes les opinions couramment admises, la réponse demande documentation puis nuance du jugement… On a noté que le compositeur ne manqua pas de persévérance dès l’âge de 15 ans pour emprunter la voie lyrico-scénique, celle qui vous (im)posait dans la société culturelle viennoise. Entre esquisses et ouvrages achevés et dans le domaine du singspiel (« opéra-comique » à l’allemande, celle qui eut comme modèle absolu L’Enlèvement au Sérail mozartien, en 1782), pas moins de 20 titres entre 1814 et 1823, dont les moins « inconnus » demeurent Alfonso et Estrella (1822), Fiérabras et Rosamonde de Chypre (1823), Salieri ayant donné sa bénédiction au juvénile Pavillon du diable (1814) et Franz s’obstinant jusqu’à l’ultime maladie dans la rédaction d’un Comte de Gleichen qui narre l’audace d’un Croisé ramenant de « là-bas » une belle Suleika qu’il impose à sa légitime chrétienne…

Grotesque censeur autrichien

Nous rencontrons ici un Personnage en quête d’auteurs déviants, le Censeur aux grands ciseaux, grotesque de la société monarchique autrichienne. Et dans une Capitale dont on disait qu’un 20e de la population émargeait aux registres de la police plus ou moins secrète, il fallait se méfier des écarts de conduite ou même de « langage ». Schubert appartenait de cœur et d’esprit à une opposition politique et certains amis des Schubertiades, ces cercles d’art où joyeuses beuveries allaient de pair avec expérimentations poétiques ou musicales et discussions passionnées sur un « meilleur des mondes à venir », versèrent franchement dans la subversion cruellement punie. Si l’écrivain Johann Senn connut la prison avec bastonnades, l’exil au Tyrol et finit par payer d’une vie gâchée – un enrôlement forcé dans l’armée – son courage, Schubert lui-même fut tabassé en 1820 par la police, puis se garda de tout excès de zèle oppositionnel, tout en conservant son amitié au proscrit Senn (il mit en musique son « Chant du cygne », devenu titre pour le dernier cycle de lieder). Ces éléments biographiques – on se rafraîchira ou s’ornera la mémoire non seulement en revenant au livre capital de Brigitte Massin mais en recherchant le moins connu « Schubert » de F.Reininghaus – vont à l’encontre souhaitable d’un « angélisme a-politique » de Franz, pur caviardage bien-pensant qui pèse encore sur la mémoire du compositeur.

Le serment de ces dames

Donc, en 1823, Les Conjurées (Verschworenen), alias Croisade des dames (dans une traduction française pour la représentation à Paris en 1868), alias La Guerre domestique, à Vienne : pour camoufler ce que le titre initial aurait pu avoir d’inquiétant par allusion politique – les Autrichiens feront mieux en Italie occupée de 1859 avec délocalisation du Bal Masqué Verdien d’un assassinat royal en meurtre de moindre envergure… – , la censure viennoise changera le titre. Par prudence – cette fois côté Ordre Moral – la comédie d’Aristophane (Lysistrata, IVe avant J.C.), adaptée en expurgeant toute obscénité du langage de ce poète antique, aura trouvé refuge dans le retour des hommes germaniques au temps des Croisades. Et la meneuse Lysistrata, comme chez Aristophane, n’a pas le droit de faire prêter serment à ses compagnes en des termes aussi nets que « Aucun homme ici-bas, mari ou amant, n’aura le droit d’avancer vers moi en bandant, une femme sans homme au foyer je serai, vêtue de beaux atours et bien parée afin que mon mari soit grillé de désir… ». Il s’agit tout de même de grève du sexe pour contraindre les hommes par le sage conseil : « Fate l’amore, non la guerra ! ». Le librettiste Castelli – un ami de Schubert dont il partage les idées libérales – désamorce donc et expurge l’intrigue de tout élément « scabreux ». D’ailleurs peine perdue pour le compositeur, puisque l’opéra en un acte sera joué en 1824 à Berlin et avec une musique…d’un certain Georg Schneider. Les vraies Conjurées ne seront représentées à Vienne qu’après la mort de Schubert, en audition privée d’abord, puis au théâtre… en 1861.

Une Vénus de barrière

Et en arrière-pensée de ce singspiel en un acte, au-delà des réussites – ou davantage, échecs – pour le jeune compositeur en quête de notoriété, résonnent probablement aussi les échos d’un sujet « à risque personnel ». Les femmes veulent prendre le pouvoir, et certes elles ont raison, mais à défaut de l’avoir en politique, elles l’imposent sous la forme d’amours parfois un rien tarifées et périlleuses. C’est en cette année 1823 que Franz doit constater qu’il a contracté avec une « Vénus de barrière » la maladie mortelle dont pour l’instant les signes extérieurs attirent l’attention navrée de ses proches et qu’il « traite » en public avec humour, mais dont il devine qu’il ne guérira jamais…Le reste est littérature, poésie, musique : «il faut créer tant qu’il fait encore jour », belle devise de Schumann – 30 ans plus tard – que Franz appliquera avec le plus discret mais déterminé des courages. Evidemment, dans le singspiel, le propos musical semble demeurer « comique » et léger, soft-and-cool dirions-nous familièrement, mais il n’est pas interdit d’aller au-delà du charme enjoué de la partition…

Esprit de schubertiade

Bernard Tétu avait déjà entraîné ses Solistes de Lyon, en automne 2009, vers… le Musée de Port-Royal pour y recréer sa version du singspiel. Voici les Conjurées de retour au bercail rhône-alpin pour 5 représentations de janvier à mars. C’est Jean Lacornerie – le Patron de la Renaissance à Oullins va succéder à Philippe Faure, disparu cet été, à la direction du Théâtre lyonnais de la Croix-Rousse -, qui en assure la mise en espace « avec peu de mots et de gestes : Schubert hésite sans trancher entre profondeur et superficialité, mélancolie et joie, et j’opte pour l’esprit d’une schubertiade ». Pas d’orchestre pour cette version allégée, un surtitrage et des ajouts videos (Patrick Millet), et un piano – et quel pianiste, puisque comme à Port-Royal, Philippe Cassard « accompagne » au sens plein du terme les chanteurs et la comédienne Elisabeth Macocco ! – que Bernard Tétu guide dans ces partitions romantiques qui sont son domaine d’élection. Philippe Cassard « remplace » l’ouverture instrumentale par le 1er allegro de la Sonate D.850, d’emblée une jolie occasion de s’enchanter grâce à ce parfait schubertien…

Théâtre de la Renaissance, Oullins (69), mercredi 12 et jeudi 13 janvier 2011, 20h ; Théâtre de Vienne (38), vendredi 14 janvier, 20h30 ; Théâtre, Oyonnax (01), mardi 22 février, 20h30 ; Maison des Arts, Thonon(74), vendredi 25 mars, 20h30.

Franz Schubert (1797-1828), Les Conjurées, D.787. Solistes de Lyon, dir. Bernard Tétu, m.e.s. Jean Lacornerie, surtitrage et video Patrick Millet ; Elisabeth Macocco, récitante ; Philippe Cassard, piano. Information et réservation : T.04 72 98 25 30 et www.solisteslyontetu.com. T.04 72 39 74 91 et www.theatrelarenaissance.com

Illustrations: Les Solistes de Lyon (DR), Franz Schubert (DR)
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